07 janvier 1989
Le chanteur Yves SIMON parle de son livre "Né en France", livre qui raconte des souvenirs anecdotiques dignes de passer à la postérité. Il se livre au jeu de l'anti-portrait chinois : que voudrais-tu être... Quelle serait pour toi la pire injure, etc. Images d'archive INA
Institut National de l'Audiovisuel.
Si par une chance inouïe nos routes ne se trouvent pas trop éloignées, on peut encore imaginer que nous nous apercevrons, et même, que nous nous croiserons… Pour nous saluer, nous ignorer, échanger quelques mots avant de repartir, avec ce dernier, cet unique souvenir : avoir rencontré un visage sur la piste, un seul visage, et vivre avec lui.
INESPERANCE . Un jour une fatigue insupportable prend possession de nos corps et de nos pensées .Ce n'est pas une maladie, et cela n'a rien à voir avec l'âge, les voyages, un chagrin, c'est une inaptitude soudaine à espérer . Comme si, soudain, le monde n'était plus la fabuleuse devanture devant laquelle il y avait eu un plaisir extrême à flâner et à désirer . Cette fatigue n'est pas une fatigue, c'est un ennui, une mélancolie sans cause, indéfinissable, provoquée par rien . Comme si le cerveau et les rêves avaient perdu la suite du programme, ou étaient définitivement parvenus à la fin de celui-ci .

Je vous aime, vous le savez et je ne sais toujours pas ce que ce mot signifie. Qu'il m'ait détourné des autres hommes ? oui, sans doute, sans pourtant écarter mon regard d'eux. Je les ai observés, certains m'ont émue, mais pour vous, vous seul, ce fut une évidence. Des gens, sans doute, élisent un lieu du monde parce que c'est là qu'ils vivront, qu'ils construiront une maison, la rempliront d'enfants, d'objets, de rires et de temps. Pour moi ce lieu, ce fut vous, sans que jamais j'aie à me poser la question du pourquoi de cette élection. Il y a eu cette longue séparation des années quarante. Sans êtres à vos côtés, chaque jour, chaque nuit, aux pires moments, j'ai pensé à votre visage et à cette souciance du monde qui fut la vôtre. Tant d'années passées ensemble à aimer les mêmes villes, à détester les mêmes personnes ! C'est tout cela qui aura été ma joie d'être avec vous : partager avec quelqu'un et au même moment les mêmes goûts, les mêmes attirances pour tout ce qu'est la vie et l'au-delà de la vie : l'art, la poésie, les lieux mêmes où se nouent et se dénouent les existences.
L'amour, ce n'est pas une histoire de perfection, c'est brut de décoffrage, une forme imparfaite boursouflée de scories. [...] l'amour ce n'est pas a priori, c'est live, vivant, immensément présent. Ça n'a rien d'une balade romantique, c'est offrir et travailler. Travailler sur soi, sur l'autre, sur l'affrontement de deux mondes que le hasard et quelques affinités ont curieusement réunis. Offrir et s'offrir, car la quête dans laquelle on est lancé est sans solution. L'amour est l'histoire de ce parcours qui part d'un mystère pour parvenir, une éternité plus tard, au même mystère: irrésolu.

On dit que l'amour est la seule chose à ne jamais chercher puisqu'on ne le trouve justement pas de cette manière. Alors, faut-il se planter au coin d'une rue, un printemps et un hiver, et n'attendre rien ni personne. Être là avec ses seules ressources et sa misère. Savoir, être certain que cela peut durer des siècles, mais rester là, car rien n'est écrit nulle part qui puisse exprimer une certitude à ce sujet. Tout n'est qu'approximation, hésitation, compromis. Les films et les romans parlent sans cesse de l'amour, mais la vie se tait. La vie c'est bruissements, frôlements et caresses... Chacun est organisé pour seulement effleurer, les murs, les passants, les gares, et ne pas être embouti par la vitesse d'un corps lancé depuis des années, dès sa naissance, n'importe où, sauf sur un autre corps. Les collisions sont des accidents. L'amour est un accident. Tout est orchestré pour qu'il n'ait pas lieu et pourtant chaque projection de l'imagination ne parle que de cela.
J'ai gardé de mon enfance les cruautés simples et les imaginations désordonnées. J'ai erré à la recherche de sorcières, de déesses, de Christ buvant des demis pression aux comptoirs des gares terminales, et je n'ai trouvé que moi, avec cette cicatrice étrange dans le regard et ces mains qui tremblent quand il faut se quitter.
Si je ne t'avais pas rencontrée, je serais incomplet et infirme de ce qui me serait demeuré caché à jamais, inculte moi aussi de cette partie des choses qui font souffrir, donnent du plaisir et posent au coeur les justes questions.
Les chanceux sont ceux qui écoutent, qui regardent, qui tissent des liens avec des inconnus, qui voyagent et s’étonnent, qui ne se découragent pas et persistent quand tout semble résister
Quand un jour je prendrai un avion, une voiture ou un bateau, je sais que je n'irai pas à la recherche de paysages, de déserts ou d'océans, j'irai à la recherches des nez, des yeux, des joues, des bouches, des démarches, des mains, des iris, de tout ce qui ressemble aux hommes et aux femmes et nous ressemble parce qu'ils ont tous à faire quelque chose avec leurs corps plantés sur ce décor de monde et où il faut bien interpréter un rôle, quel qu'il soit, pour que la représentation ne se termine pas trop vite.
Ils portent une blessure invisible, qu'ils ne peuvent oublier car c'est cela que le corps cicatrise le moins bien, les maladies qui n'ont pas de nom. Elles se taisent et n'osent rien avouer.