Citations de Zhang Yueran (60)
La nounou portait toujours des leggings qui faisaient plein de plis sur ses jambes courtaudes, si bien qu'on aurait dit des trompes d'éléphants.
L'enfant entra dans le salon. De la papaye, des fraises équeutées et des pêches - son fruit préféré - se trouvaient dans un récipient en verre posé sur la table ; voilà pour le goûter. Des brochettes d'ailes de poulet badigeonnées de miel, d'autres d'éperlans au ventre tendu à craquer d'alevins, des tranches de bœuf salé et des pattes de crabe du Kamtchatka avaient été également préparées.
La soupe de courge dégageait des volutes de chaleur. Yu Ling s'essuya les yeux, baissa le feu et s'accroupit. Dada entra à sa suite et vint se placer derrière elle. "Ling, je te promets que je ne jouerai plus jamais au bord de l'eau" souffla-t-il en collant sa tête tout contre son dos. Elle resta sans bouger, sensible à la moindre bouffée d'air chaud qui s'échappait de sa bouche. Il reposait contre elle de tout son poids. Elle ne savait pas de quoi demain serait fait mais il y avait au moins une chose dont elle était sûre : il avait besoin d'elle. Pas comme un enfant peut avoir besoin d'une nounou ou une femme d'un homme. A vrai dire, elle ne savait pas trop ce que c'était. Mais elle était heureuse qu'on ait besoin d'elle de cette manière-là. Amy avait dit "On est tous aussi démunis quand vient la souffrance", ce à quoi elle aurait aimé ajouter "On est tous aussi forts quand vient le bonheur". Un courant de chaleur lui traversa le coeur et, à cet instant précis, elle se sentit capable de porter le monde sur ses épaules.
La faiblesse des gens bien intentionnés est parfois criminelle.
[…] la faiblesse des gens biens intentionnés est parfois criminelle.
Elle savait que beaucoup de gens la trouvaient bizarre, avec son incapacité à soutenir le regard, sa mine sombre et sa réticence à discuter avec ses employeurs. Mais elle n’avait pas son pareil pour s’occuper des enfants : elle était une nounou attentive et efficace, qui trouvait toujours le moyen de se faire obéir…
Le malheur est la chose du monde la mieux partagée. Moi je ne m'occupe que de ce qui est à ma portée.
Mais la faiblesse des gens bien intentionnés est parfois criminelle. L'aura de l'homme avait fini par disparaitre et elle n’éprouvait plus que de la compassion pour lui.
Après la mort d'un dictateur, les gens sombrent dans une sorte de vacuité redoutable. Résister était devenu la grande affaire de leur vie, ils ne savent rien faire d'autre.
Le coffre-fort béait et les bijoux que Chen Wen rangeait dans le tiroir de sa coiffeuse ainsi que les appareils photo hors de prix de son mari avaient disparu. « C'est quoi les autres endroits où ils gardaient des trucs ? » demanda M. Courge depuis le couloir. « La cave à vin, répondit Yu Ling en lui adressant un regard, tu y es déjà allé. »
« Du vin ? On s'en fout ! Y a quoi d'autre qui peut valoir quelque chose ici ? » répliqua-t-il avec impatience. « Ici, tout a de la valeur », répondit Yu Ling. L'homme lorgna le lustre de cristal qui pendait du plafond et parut s'interroger sur la marche à suivre pour le décrocher. « A quoi ça sert acheter des trucs aussi chers si c'est imbougeable ? » finit-il par soupirer.
« Le printemps de l’année où elle avait débarqué à Pékin, ces tempêtes qui bouchaient l’horizon lui avaient fait une peur bleue .Elle avait pensé que la fin du monde était arrivée .
On pourra me donner tout l’argent qu’on veut je ne resterai pas un jour de plus dans cet endroit , s’était - elle dit.
Elle y était restée dix ans ……. »
La soupe de courge dégageait des volutes de chaleur. Yu Ling s'essuya les yeux, baissa le feu et s'accroupit. Dada entra à sa suite et vint se placer derrière elle. "Ling, je te promets que je ne jouerai plus jamais au bord de l'eau" souffla-t-il en collant sa tête tout contre son dos. Elle resta sans bouger, sensible à la moindre bouffée d'air chaud qui s'échappait de sa bouche. Il reposait contre elle de tout son poids. Elle ne savait pas de quoi demain serait fait mais il y avait au moins une chose dont elle était sûre : il avait besoin d'elle. Pas comme un enfant peut avoir besoin d'une nounou ou une femme d'un homme. A vrai dire, elle ne savait pas trop ce que c'était. Mais elle était heureuse qu'on ait besoin d'elle de cette manière-là. Amy avait dit "On est tous aussi démunis quand vient la souffrance", ce à quoi elle aurait aimé ajouter "On est tous aussi forts quand vient le bonheur". Un courant de chaleur lui traversa le coeur et, à cet instant précis, elle se sentit capable de porter le monde sur ses épaules.
Les gens heureux vivent des bonheurs différents, mais le malheur est identique pour tous. Cette commune infortune lui procura un certain sentiment de sécurité.
Telle ne devait pas être ma vie, celle d'une graine de pissenlit qui tombe où le vent la pousse et laisse éclore une fleur. Mais, sans mes entraves des racines, qui sait, peut-être aurait-elle pu laisser s'épanouir quelque chose de sa propre vitalité. Tout au moins aurait-elle pu être plus pure. Tous les vieux pays sont couverts d'une couche de poussière dont l'individu peut s'affranchir par l'exil. J'éprouve une grande attirance pour cette liberté mêlée de souffrance.
"Les jeunes instruits à la campagne !", sans ce slogan, je ne serais pas de ce monde. Devoir sa naissance à un slogan, voilà qui relativise la valeur de la vie. Mais je devrais m'en réjouir car, dans ce pays, il y a encore plus d'enfants qu'un autre slogan a empêché de voir le jour.
Le malheur est la chose du monde la mieux partagée
"Ca fait quatre ans que tu bosses chez eux et tu ne connais aucun des amis de Chen Wen ?" s'emporta M. Courge. " Je t'ai déjà dit qu'elle n'avait pas d'amis, répondit Yu Ling. Beaucoup de gens gravitent autour d'elle, vont skier avec elle, boivent du vin rouge avec elle, l'invitent au restaurant, bref s'amusent avec elle. Mais elle a un caractère de cochon, elle se fâche avec tout le monde. Elle change d'amis tout le temps, comment veux-tu que la moindre relation résiste à ça ?" "Bon, on n'a qu'à garder le petit. Elle finira bien par t'appeler quand elle verra qu'il a disparu". "Tu peux toujours attendre. Chen Wen ne refera pas surface tant que l'affaire ne sera pas classée.""Même pour son propre fils ?" "Il y a un moment, un type haut placé s'est fait arrêter. Sa fille, qui vivait au Canada, est aussitôt rentrée en Chine, ce qui lui a valu à elle aussi de se faire embarquer. Figure-toi que Chen Wen l'a traitée d'idiote : non seulement elle se retrouvait en prison mais elle allait aussi devoir cracher les billets !" "Elle est capable de laisser son père et son mari au trou sans bouger le petit doigt ? Elle a pas de coeur ou quoi ? Et toi au fait, tu risques pas de te faire interroger dans cette affaire ?" reprit M. Courge en observant Yu Ling. "C'est possible", lâcha-t-elle en bombant le dos et en posant le front sur ses genoux. Elle n'avait pas dormi de la nuit, ni les nuits précédentes d'ailleurs. Elle était trop inquiète que leur plan soit découvert ou échoue. Maintenant que toute la tension retombait, elle se sentait épuisée. Elle n'avait envie de réfléchir à rien, elle voulait jusque qu'on la laisse dormir.
Dans cette famille, dans ce monde, Grand-Père n'avait plus sa place. Cette pensée m'a rendu mélancolique. Les bandes dessinées que je lisais autrefois mettaient toujours en scène des enfants, enlevés par des créatures monstrueuses ou des extraterrestres, qui vivaient des aventures dans l'espace ou dans le monde des Immortels avant de rentrer chez eux. J'enviais ces enfants et, dans la rue, je gardais toujours un oeil sur les gens bizarres dans l'espoir qu'ils m'enlèvent. Je comprenais à présent qu'on n'était pas kidnappé impunément: au retour, il n'y avait plus de place pour vous.
La bienveillance est une disposition innée, mais on la perd en grandissant, avec l'expérience du mal et de la méchanceté.
Ce désespoir qu'on éprouve lorsqu'on tente, au milieu des ténèbres, de préserver la seule minuscule flamme qui nous reste, j'étais surpris de le sentir aussi proche de moi, comme s'il continuait, aujourd'hui encore, à m'envelopper. Mais, étonnamment, il éveillait en moi une vague attente car, au coeur de cette détresse se nichait la joie la plus sublime. Et c'est peut-être parce qu'on ne pouvait accéder à cette joie qu'au prix du désespoir le plus absolu, qu'elle devait rester enfouie avec lui, éternellement.