Elisabeth Roudinesco - Soi-même comme un roi : essai sur les dérives identitaires
[...] j’ai envie de dire à tous ceux qui, au nom d’une introuvable normalité, fustigent les familles monoparentales, homoparentales, anormales, divorcées, que chaque enfant aimerait avoir pour mère et père à la fois l’équivalent d’un Jean Valjean.
Pourtant, chaque époque construit sa propre représentation de la mélancolie pour y inscrire les stigmates de son histoire.
Ex, de même qu'au lendemain du "choc traumatique" induit par la Commune, l'hystérie, théorisée par Charcot, deviendra la maladie dominante de la fin du siècle, de même la mélancolie apparaît, à la veille de la Révolution, comme le symptôme majeur d'un mal de l'ennui véhiculé par le climat délétère de la vieille société.
Ainsi Prud'homme demande-t-il aux femmes d'être des meurtrières quand elles descendent dans la rue et des esclaves quand elles restent à la maison.
Que ferions-nous sans Sade, Mishima, Jean Genet, Pasolini, Hitchcock, bien d’autres encore, qui ont donné les œuvres les plus raffinées qui soient ? Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme boucs émissaires – c’est-à-dire pervers – ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? Que les pervers soient sublimes quand ils se tournent vers l’art, la création ou la mystique, ou qu’ils soient abjects quand ils se livrent à des pulsions meurtrières, ils sont une part de nous-mêmes, une part de notre humanité, car ils exhibent ce que nous ne cessons de dissimuler : notre propre négativité, la part obscure de nous-mêmes.
L'identité de la France, dis-je, n'a rien à voir avec une quelconque "identité nationale", fût-elle française. L'identité pure ou parfaite n'existe pas. Aussi bien l'identité de la France est-elle toujours divisée - entre ses régions et ses villes, entre ses idéaux divergents -, même si la république est indivisible, laïque et sociale. La France, ce n'est rien d'autre que la France décrite par Michelet : des France "cousues ensemble", c'est -à-dire la France construite autour de Paris et qui a fini par s'imposer aux différentes France.
Le petit monde germanopratin a décerné à Roudinesco un prix littéraire pour son roman historique : «Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre», publié par son compagnon, le PDG de Fayard.
Pour découvrir à quel point son livre est futile (une érudition de pacotille sur ce que Freud mangeait, ses voyages, la vie de ses chow-chow, le noms de ses 14 neveux et nièces, etc.) et n’apporte rien de substantiel sur la psychanalyse par rapport à des auteurs qu’elle cite à peine ou mal (Borg-Jacobsen, Onfray notamment), voir cette analyse d’une vingtaine de pages par quelqu’un qui, contrairement à un certain nombre de journalistes, a lu attentivement cet ouvrage
Document : « Roudinesco.Freud.Rillaer.2014.pdf »
Sur le site
http://icampus.uclouvain.be/claroline/document/document.php?cidReset=true&cidReq=EDPH2277
ou via Mediapart :
http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-laroche/071114/jacques-van-rillaer-deboulonne-sigmund-freud-en-son-temps-et-dans-le-notre-ecrit-par-elisabeth-r
L’hypnotisme est un état pathologique et non physiologique. C’est une manifestation névropathique qu’il est permis de rapprocher de l’hystérie.
-Babinski-
Depuis la publication, en 1993, de la troisième partie de mon Histoire de la psychanalyse, entièrement consacrée à la pensée, à la vie, à l’œuvre et à l’action de Jacques Lacan, j’ai souvent eu le sentiment qu’il me serait un jour nécessaire d’effectuer un bilan, non seulement de l’héritage de ce maître paradoxal, mais aussi de la manière dont fut commenté mon propre travail à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté psychanalytique.
(…) j’ai eu envie, trente ans après la mort de Lacan, alors que se profile l’évanouissement progressif d’une certaine époque (dite ‘héroïque’) de la psychanalyse et que les psychanalystes se transforment en psychothérapeutes organisés en une profession réglementée par l’Etat, de parler autrement, et de façon plus personnelle cette fois, du destin du dernier grand penseur d’une aventure intellectuelle qui avait commencé à déployer ses effets à la fin du XIXe siècle (…)
J’ai voulu évoquer, à l’intention du lecteur d’aujourd’hui, quelques épisodes marquants d’une vie et d’une œuvre à laquelle toute une génération a été mêlée, et les commenter avec le recul du temps, de façon libre et subjective. Je voudrais que ce livre soit lu comme l’énoncé d’une part secrète de la vie et de l’œuvre de Lacan, un vagabondage dans des sentiers méconnus : un envers ou une face cachée venant éclairer l’archive, comme dans un tableau crypté où les figures de l’ombre, autrefois dissimulées, reviennent à la lumière.
En un premier temps (1936-1950), marqué par la phénoménologie, [Jacques Lacan] fait de l’imaginaire, compris comme le lieu du moi par excellence, l’instance dominante de toutes les formes de relation duelle à l’image du semblable. En un deuxième temps (1950-1970), devenu structuraliste, il accorde au symbolique une place primordiale en tant qu’il incarne l’ordre de la loi, du langage et de l’interdit auquel est confronté le sujet à la fois dans son psychisme, dans sa position oedipienne et dans sa relation au social. En un troisième temps (1970-1979), celui de sa relève logicienne, Lacan donne au réel, compris comme réalité hétérogène à la représentation et impossible à symboliser […], une place de plus en plus prépondérante.
– C’est quoi exactement, l’inconscient ?
– Cela ressemble à un iceberg. Tu sais, cette montagne de glace qui apparaît au-dessus de la mer, près du pôle Nord : un bloc gelé à la dérive, pointu, trapu, biseauté ou érodé. Imagine un instant ce bel objet inerte, dont une moitié
est immergée dans la profondeur des océans tandis que l’autre vogue à la surface des eaux. Les deux moitiés sont inégales : la partie invisible est plus importante que la partie visible, plus dangereuse aussi, parce qu’elle reste dissimulée.
Tous les navigateurs le savent. Ils redoutent bien plus ce qui est caché que ce qui est apparent. C’est cela l’inconscient, la partie immergée de la montagne blanche, composée de plusieurs étages avec des tranchées, des passerelles, des labyrinthes. On peut la comparer à une maison flottante dont on ne parvient pas à définir le contour mais dont on sent la présence.