J'ai enfin lu Nous sommes Charlie, après (déjà!) Toutes ces années.
Je me souviens...
Ces soixante textes, certains brefs et d'autres plus longs, me ramènent encore à ce jour funeste, cette matinée maudite du 07 janvier 2015. Matinée de mort, cauchemar éveillé, et ce chagrin, ce chagrin!
Philippe Lançon, Chloé Verlhac, Riss et Patrick Pelloux sont passé avant.
J'avais laissé ce poche collectif noir sur l'étagère huit années entières avant d'enfin, tout de même, de l'ouvrir et de l'enfin lire.
Toute la sidération, l'incompréhension, la colère et la réaction me sont revenues intactes car à peines enfouies et toujours prêtes à ressurgir.
Ces soixante-là ont unis leurs voix, leurs mots, leurs cœurs pour parler et dire... Dire NON à la peur et à l'indicible. Tous.
Soixante voix qui, au final, n'en font qu'une riche et variée dans une cantate à la Liberté.
Horusfonck est Charlie, encore et toujours, à jamais.
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Plus qu'une biographie d'Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, Surnommée « La belle Liégeoise », Femme politique, salonnière, féministe de la Révolution française, il s'agit d'un essai sur les idées "féministes", le rôle et la place des femmes pendant la Révolution Française.
Difficile à lire par la rédaction partiellement non chronologique, ponctuée par des erreurs fréquentes de dates (par exemple le discours de Camille Desmoulins en juin 1789, au lieu de juillet ) : un moìs pas grave diront certains... Or le 12 juin ne rime à rien, le Serment du Jeu de Paume n'est pas intervenu et le discours de Desmoulins au Palais Royal a induit la destruction des barrières de l'octroi et "la prise de la Bastille"
L'étude du mouvement des femmes bien analysé et la captivité de Theroigne bien étudiée.
Dommage pour une des rares (unique ?) biographie de cette révolutionnaire.
Deuxième partie consacrée à l'étude de l'histoire de la psychiatrie : beaucoup mieux rédigée et intéressante.
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Ouvrage collectif divisé en chapitres. Historiens, philosophes, écrivains, comédien, artiste, parlent de ce que la peur représente, sa place en chacun de nous ou au sein d'une société; d'où vient-elle, par qui vient-elle, pourquoi est-elle véhiculée ou pourquoi est-elle si présente.
Le sujet me semblait intéressant mais certains chapitres étaient difficiles à ma compréhension et donc rébarbatifs. Par contre, j'ai bien aimé les passages où un artiste de cirque parle de son métier, et un chapitre dans lequel l'auteur fait référence à de nombreux films de cinéma. C'était plus concret.
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De Jacques Attali à Voltaire en passant par Denis Diderot, Bernard Pivot, Katherine Pancol, ce recueil regroupe les écrits de soixante auteurs sur les évènements de janvier 2015. Ceux-ci ont le plus souvent été composés à chaud, avec les tripes. Cet engagement se ressent de manière variable mais avec une intensité plutôt étonnante.
En elles-mêmes les compositions sont variées : fictions, lettres, citations, articles de presse mais elles véhiculent le même message, sans pour autant verser dans des répétitions ou un pathos malvenus. Il est toutefois recommandé d'éviter la lecture "d'une seule traite" qui laissera un sentiment de lassitude. Le recueil doit être compris dans la même perspective que le célèbre Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Il s'agit ici d'un éloge de la République, des valeurs qui lui sont attachées, des idées des Lumières, de l'esprit français. Chacun à sa manière tente d'apporter sa pierre à l'édifice mais la philosophie est la même : être fier de nos valeurs et les défendre.
Certains textes sont de véritables pépites. A cet égard, la fiction humoristique de Romain Puértolas est une véritable bombe de table. Ce fruit d'une imagination fertile est immédiatement suivi par un hommage à un autre Charlie composé par Serge Raffy. Au titre des découvertes intéressantes, l'analyse faite par Maxime Chattam doit être signalée, car il nous apprend au passage une nouvelle qui attristera ses fans.
Écrire est une forme d'engagement... mais qu'en est-il des actes ? S'il est impératif de saluer cette initiative littéraire (profits reversés au journal, délais de parution très courts) il est difficile de donner un avis sur la suite. A lire les quelques pages de ce corpus, tout le monde est d'accord sur la nécessité d'agir. Mais concrètement, nos chers penseurs ne nous livrent pas forcément leur manière d'agir. Écrire et participer aux rassemblements républicaines, certes... mais encore ? Cette impression de manque (aisément compréhensible) porte toutefois un grand préjudice à cette initiative, pourtant emplie d'une bonne dose d'émotion.
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En-deçà du conscient jusqu’au-delà, Pierre Morel, Jean-Pierre Bourgeron et Elisabeth Roudinesco se chargent de nous retracer une histoire concise du développement de la psychiatrie du Moyen Âge à la fin du 20e siècle en Occident. Le parcours ne fera rien découvrir de surprenant à ceux qui sont déjà renseignés sur le sujet mais il permettra peut-être de prendre conscience du pouvoir accru des mots dans la conceptualisation des phénomènes et des comportements qui s’ancrent progressivement et profondément dans une culture. On découvre également les ramifications empruntées par une pensée à partir d’une époque dont le point de départ ici choisi est celui du mesmérisme et de l’hypnose de Charcot. Il faut toutefois bien reconnaître que notre équipe de collaborateurs s’attarde plus longuement sur le cas de la psychiatrie en France dans la dernière moitié du 20e siècle que sur n’importe quel autre pays ou n’importe quelle autre époque.
Ce livre aurait pu être dispensable s’il n’avait pas été accompagné de son lot d’illustrations et d’images d’archives venant densifier le propos. L’entreprise de synthétiser totalement l’histoire de la psychiatrie étant difficilement réalisable dans un ouvrage de ce genre, la chronologie reste sommaire et se contente ni plus ni moins de tenir ses promesses de vulgarisation.
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Suite aux terribles événements qui ont endeuillé notre pays en janvier 2015, "Le livre de poche" a pris l'initiative de publier plusieurs textes d'auteurs et de reverser le bénéfice de la vente à Charlie Hebdo.
60 textes d'auteurs contemporains et d'auteurs des siècles passés composent ce recueil.
Autant d'auteurs, autant de points de vue, autant de manières de réagir face à la barbarie.
Certains textes apportent des pistes de réflexions, d'autres écrits à chaud sont davantage empreints d'émotion. Les textes d'auteurs des siècles passés nous apprennent que certaines problématiques ont la vie dure, que la liberté de pensée est un combat.
Autant d'auteurs, autant de points de vue, écrivais-je plus haut. Donc difficile d'adhérer à toutes les opinions publiées, question de sensibilité, de vécu, de personnalité. Mais je ne peux que louer l'élan de solidarité suscité par cette belle initiative.
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Cet essai tente de répondre à la question : Où commence la perversion, et qui sont les pervers ? Pour bien comprendre cette analyse d'Elisabeth Roudinesco, il est utile de rappeler sa définition de la perversion : Forgé à partir du latin "perversio", le substantif "perversion" apparaît entre 1308 et 1444. Quant à l'adjectif "pervers", il est attesté en 1190 et dérive de "perversitas" et de "perversus", participe passé de "pervertere" : retourner, renverser, inverser, mais aussi éroder, dérégler, commettre des extravagances. Est donc pervers - il n'y a qu'un adjectif pour plusieurs substantifs - celui qui est atteint de "perversitas", c'est à dire de perversité (ou de perversion). p.11. La part obscure de nous-mêmes. Une histoire des pervers, revient sur les cas qui ont marqué les civilisations occidentales depuis le Moyen-Age jusqu'à nos jours et livre une étude inédite sur l'histoire des pervers. En effet, si les déviances sexuelles ont maintes fois été analysées (notamment par la psychanalyse), aucune étude transversale n'a encore été faite sur les pervers. Elisabeth Roudinesco tente donc de combler ce vide en soulevant la question suivante : la perversion est-elle propre à la nature humaine ou découle t-elle de la culture ? Par extension, l'historienne et psychanalyste questionne son lecteur sur l'utilité de combattre cette "déviance" : les pervers, classés au banc des marginaux par la société, ne permettent-ils pas paradoxalement aux hommes de différencier le bien du mal, fondement même de la civilisation ?
Cette ambitieuse étude, point de départ d'une conférence donnée en 2004 pour l'ouverture du symposium annuel de l'International Federation of Psychoanalytic Societies (IFPS), a le mérite de faire le lien entre les théories et les pratiques qui ont contribué à parfaire l'image du pervers : du Moyen-Age marqué par l'affluence des mystiques et les méfaits de Gilles de Rais, en passant par le libertinage de Sade, l'érotisation de l'acte sexuel du Siècle des Lumières, les barbaries du nazisme et la société perverse de nos jours, l'auteure établit un état des lieux très documenté sur la question. D'après elle, la perversion est nécessaire à l'homme car elle lui permet de faire la part entre ce qui est socialement acceptable et ce qui ne l'est pas d'un pas d'un point de vue moral. Abordant son ouvrage sous un angle historique, Elisabeth Roudinesco l'enrichit de considérations sociologiques, politiques, religieuses et philosophiques, qui confèrent à son analyse un caractère inédit. Ainsi, cette histoire des pervers qui fourmille de références empruntées à la littérature, l'histoire, la psychologie, la philosophie, l'histoire des sciences et de la médecine, constitue une formidable composition où se croisent et s'affrontent de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales. L'auteure réussit d'ailleurs un véritable exploit en donnant une unité à son analyse tant le sujet étudié est vaste. On y glane une foultitude de références remarquables et on y (re)découvre des analyses littéraires plus fouillées les unes que les autres. Bien que certains arguments soient discutables, on ne peut que reconnaître l'énorme travail qu'a exigé cette passionnante analyse. Même si cet essai m'a quelquefois semblé verser dans le dilettantisme, son objet est pertinent et j'y ai trouvé de nombreuses sources à exploiter (à lire, donc). De mon point de vue, les références citées dans cet ouvrage doivent faire partie de la culture littéraire de tous les lecteurs curieux du sujet...
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Pour apprendre ce que le livre a d'original,mais aussi ses erreurs factuelles et d'interprétation, voir l'analyse détaillée parue dans "Science et pseudo-sciences":
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2368
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Lacan peint grandeur nature par Elisabeth Roudinesco : ni sur un piédestal comme beaucoup l'ont mis dans la deuxième moitié du XXe siècle, ni plus bas que terre, escroc, pédant, simulateur comme d'autres l'ont décrit, en en rajoutant dans la caricature. On découvrira ici un homme non exempt de travers, qui s'accentueront avec le temps, mais qui est d'une curiosité intellectuelle insatiable et qui ne cessera de questionner, de réinventer, de relier entre elles différentes formes de pensées. A travers ce livre, c'est non seulement la biographie d'un homme et son parcours intellectuel qui se dévoilent, mais aussi l'histoire de la psychanalyse en France depuis les années 20 jusqu'aux années 60, ainsi qu'une bonne part de l'histoire de l'intelligentsia française (Breton, Bataille, de Saussure, Levi-Strauss, Sartre, Althusser, Foucault et bien d'autres). Un livre exigeant, qui sans vouloir expliquer Lacan (ce qui est une entreprise probablement vouée à l'échec), donne des éléments solides pour commencer à le comprendre.
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Il s'agit d'un recueil de textes de 60 écrivains classiques et surtout contemporains unis pour défendre la liberté d'expression suite aux attentats de janvier.
Certains textes sont ecrits à chaud et se situent plutôt dans le registre de l'émotion, d'autres se situent plus dans la réflexion.
Si tous sont intéressants, ils sont de styles et de longueurs variables , et il y a sans doute moins d'unité et de cohérence que dans la BD car les événements sont abordés sous des angles très différents. L'initiative n'en reste pas moins à encourager.
Pour ma part, j'ai été plus particulièrement sensible aux textes d'Eric-Emmanuel Schmitt, Bernard Pivot, Gérard Mordillat et Julien Blanc-Gras pour ne citer qu'eux.
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Trouvé au hasard des visites dans les boîtes à livres, ce recueil de textes édité par le livre de poche un mois après l’attentat survenu le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo m’est tombé dans les mains fort à propos. En effet, je terminais la lecture du Lambeau de Philippe Lançon, il me paraissait intéressant de confronter à ce texte très personnel, cette vision plus large des tragiques événements. J’ai eu beaucoup plus de mal à venir à bout de ce recueil que du témoignage de Lançon mais certains textes m’ont particulièrement interpelée : le texte de Claude Halmos sur le rôle de l’école dans la nécessité d’apprendre à penser par soi-même ou celui de Caroline Fourest qui s’adresse avec émotion à « ses camarades » dans un bel hommage à leur esprit frondeur ou enfin celui de Romain Puértolas qui met l’humour et la dérision au cœur de son récit, très beau clin d’œil là aussi à l’esprit Charlie Hebdo. On y retrouve également de quoi nourrir sa réflexion sur cette absolue et nécessaire liberté d’expression à travers la prose de Voltaire, de Victor Hugo ou Beaumarchais et sous la plume de notre contemporain, Jacques Attali. Malgré les cigales qui chantent à tue-tête, un ouvrage grave mais nécessaire pour nous aider à choisir les chemins que l’on souhaite tracer demain pour notre pays. Sans contexte, une lecture citoyenne et républicaine qui garde tout son sens et son actualité cinq ans plus tard.
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Alors on aime ou pas Mme Roudinesco, (éternelle querelle des anti-psychanalyse et des pro-psychanalyse, dont le plus virulent contre, étant, comme chacun sait, Mr Onfray), mais qu'elle masse de travail !
Je l'ai lu peu à peu, allant et venant parmi toutes ces entrées plus intéressantes les unes que les autres.
Je m'y suis attardée sur certaines, je suis passée outre d'autres, j'ai adoré cette promenade dans le petit milieu fermé de la psychanalyse, dans lequel, il faut le dire, à la décharge de Mme Roudinesco, il n'y a pas ce jargon psychanalytique qui, j'avoue, parfois, me semble bien abscons... Pour ne pas le citer, Lacan, pour moi, en est l'exemple sidérant ; ces oeuvres sont illisibles.
Pas besoin de mon dictionnaire de la psychanalyse de Pontalis, et c'est bien reposant. Ce fut une belle surprise que de ce vocabulaire usité et sans prétention, pour tout un chacun, ou n'importe qui...
Sinon, merci car j'ai pu apprendre quantité d'informations, et grâce à cet ouvrage, j'ai pu faire une belle rencontre, celle d'un vieux monsieur, disparu depuis un moment déjà, et dont je ne connaissais que le nom. Il s'agit de Julien Green. J'ai découvert ainsi son oeuvre que j'aime énormément.
C'est passionnant.
Effectivement, il s'agit bien d'un dictionnaire AMOUREUX ; et Mme Roudinesco aime son domaine, et c'est tant mieux pour nous.
A picorer sans modération.
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A la fois passionnante et lourde, cette nouvelle biographie historique de Freud se lit tantôt avec passion, tantôt avec ennui. Elisabeth Roudinesco tente (avec succès) de rétablir l'image de Freud par toute une série d'arguments, aussi fondés les uns que les autres, qui tendent à donner à l'ouvrage une tonalité érudite (tant mieux) mais qui a tendance à s'enliser un peu et à s'enchaîner sans réels liens logiques. Cette masse d'informations, qui explique l'homme, son parcours et son époque, montre une évidente volonté de répondre à ses détracteurs, aux anti-freudiens (le nom d'Onfray revient souvent dans les notes de bas de pages, avec son ouvrage "Le crépuscule d'une idole") et, de ce fait, ne s'apparente qu'à un vaste amoncellement de preuves, largement étayées, dont on a vite fait de perdre le fil, parfois.
En revanche, certains chapitres sont absolument fascinants, notamment lorsqu'il s'agit de connaître l'évolution de la psychanalyse à travers une Europe vieillissante, celle de la fin du XIXe siècle, foisonnante et inquiète, où les théories de Freud viennent considérablement ébranler les idées reçues. De même, Elisabeth Roudinesco dresse le portrait d'un homme ambivalent (et il est appréciable de voir qu'elle ne donne pas à voir Freud comme un homme foncièrement bon), avec ses craintes, ses doutes et surtout ses contradictions (comme beaucoup de grands penseurs). Elle dégage l'homme de toutes les accusations de misogynie, d'homophobie et d'antisémitisme qui ont pesé sur lui durant des décennies, et elle expose alors comme arguments des extraits de ses nombreuses correspondances pour dévoiler l'ouverture d'esprit et la liberté de mœurs auxquels Freud semblait attacher.
Que l'on considère le père de la psychanalyse sous un bon ou un mauvais jour, il reste indubitable qu'il fut un penseur de génie, qui a profondément ébranlé les bases d'une société patriarcale ancestrale et qui a largement influencé notre conception de l'homme et de ce vaste territoire encore inconnu, l'inconscient.
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Pourquoi la psychanalyse? / Élisabeth Roudinesco. Fayard, 1999. 194 p.
Plaidoyer pour une psychanalyse aux abois avec cette citation de Freud en exergue : "Les créations de l'homme sont aisées à détruire, et la science et la technique qui les ont édifiées peuvent aussi servir à leur anéantissement".
La psychanalyse aux abois? Je recopie l'avant propos (p. 9) :
"Ce livre est né d'un constat : je me suis demandé pourquoi, après cent ans d'existence et de résultats cliniques incontestables, la psychanalyse était aussi violemment attaquée aujourd'hui par ceux qui prétendent lui substituer des traitements chimiques jugés plus efficaces parce qu'ils atteindraient les causes dites cérébrales des déchirements de l'âme.
Loin de contester l'utilité de ces substances et de négliger le confort qu'elle apportent, j'ai voulu montrer qu'elles ne sauraient guérir l'homme de ses souffrances psychiques, qu'elles soient normales ou pathologiques. La mort, les passions, la sexualité, la folie, l'inconscient, la relations à autrui façonnent la subjectivité de chacun, et aucune science digne de ce nom n'en viendra jamais à bout, fort heureusement.
La psychanalyse témoigne d'une avancée de la civilisation sur la barbarie. Elle restaure l'idée que l'homme est libre de sa parole et que son destin n'est pas limité à son être biologique. Aussi devrait-elle à l'avenir tenir toute sa place, à côté des autres sciences, pour lutter contre les prétentions obscurantistes visant à réduire la pensée à un neurone ou à confondre le désir avec une sécrétion chimique."
L'inquiétude d’Élisabeth Roudinesco devant cette contestation de la psychanalyse est éminemment politique ; le terme de barbarie n'est pas employé à la légère. Ainsi (p. 16) :
"La société démocratique moderne veut bannir de son horizon la réalité du malheur, de la mort et de la violence, tout en cherchant à intégrer, en un système unique, les différences et les résistances. Au nom du mondialisme et de la réussite économique, elle a tenté d'abolir l'idée de conflit social. De même, elle tend à criminaliser les révolutions et à deshéroïser la guerre afin de substituer l'éthique à la politique, la sanction judiciaire au jugement historique. Ainsi est-elle passée de l'âge de l'affrontement à l'âge de l'évitement, et du culte de la gloire à la revalorisation des lâches. Il n'est pas choquant aujourd'hui de préférer Vichy à la Résistance ou de transformer les héros en traîtres comme on l'a fait récemment à propos de Jean Moulin ou de Lucie Aubrac. Jamais on n'a autant célébré le devoir de mémoire, jamais on ne s'est autant préoccupé de la Shoah et de l'extermination des Juifs, et pourtant jamais la révision de l'histoire n'a été aussi loin."
Les accusations sont graves ; l'affaiblissement de la psychanalyse serait-il le symptôme d'une dérive fascisante de notre société? Ce paragraphe le suggère avec insistance.
Les chapitres suivants s'attachent monter l'insuffisance des théories visant à réduire la psyché aux métabolisme cérébraux et des approches comportementalistes américaine. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) américain est essentiellement pris pour cible sur la base du livre Aimez vous le DSM? La triomphe de la psychiatrie américaine de Stuart Kirk et Herb Kutchins (Synthélabo, 1998). Côté français sont contestés par Roudinesco ; Henri Korn (neurobiologiste français) dans article "L'inconscient à l'épreuve des neurosciences" le Monde diplomatique, septembre 1989, p. 17 ; Jean-Pierre Changeux, L'Homme neuronal et Marcel Gauchet, L'inconscient cérébral.
Ces attaques contre le freudisme, sont qualifiées de scientistes : théologie laïque, le scientisme accompagne sans cesse le discours de la science et l'évolution des sciences en prétendant résoudre tous les problèmes humains par une croyance en la détermination absolue de la capacité de la science à les résoudre. Autrement dit, le scientisme est une religion au même titre que celles qu'elle veut combattre. Elle est une illusion de la sciences aux sens où Freud définit la religion comme une illusion. Mais bien plus que la religion, l'illusion scientiste prétend combler par des mythologies ou des délires toutes les incertitudes nécessaires au déploiement d'une investigation scientifique.
Puis l'auteur nous fait un bref historique de la théorie psychanalytique dans ses rapports avec le biologique pour expliquer comment Freud renonça à une réduction de la psyché au biologique (entamée dans Esquisse d'une psychologie scientifique, 1895. Publiée dans Naissance de la psychanalyse, PUF, 1956). Sur le constat que toutes ses tentatives ne débouchaient que sur une "mythologie cérébrale" insatisfaisante scientifiquement, il renonça à ce projet (sans vraiment le considérer comme irréalisable semble t'il) pour construire une théorie purement psychique de l'inconscient (p. 76).
Je ne m'attarde pas sur le chapitre consacré aux antifreudismes américains et au scientisme français anti freudien que madame Roudinesco observe aujourd’hui.
Le chapitre "La psychanalyse et la science" situe la contestation de psychanalyse par rapport à l'affaire Sokal. Sokal et Bricmont sont accusés de scientisme. Élisabeth Roudinesco, auteure d'une biographie de Jacques Lacan montre comment ces deux auteurs, dans leur livre "Impostures intellectuelles" ont voulu discréditer Lacan sur la base d'un texte que Lacan lui même aurait pu renier. De plus le texte en question n'est pas celui qu'il aurait fallu utiliser pour contester l'utilisation (jugée abusive par les auteurs) de la topologie par Lacan ; en effet, les fameux développements topologiques du psychanalystes sont véritablement exposés dans des écrits bien postérieurs ; ce sont ces textes qu'ils aurait fallut critiquer.
Le scientisme et la neurobiologie exclusive sont accusés de dépouiller l'individu de sa qualité de sujet, qualité absolument nécessaire à l'exercice de la démocratie ; cette dernière étant le lieu de la libre confrontation des subjectivités, c'est-à-dire de points de vues construits sur des histoires essentiellement personnelles.
Contrairement au réductionnisme scientiste, la psychanalyse inviterait à la redécouverte de l'Homme tragique (Œdipe, Hamlet) en sus et place de l'homme dépressif gouverné par le marché et le Prozac. Du moins est-ce ce que j'ai cru comprendre de ce chapitre intitulé "L'Homme tragique".
Psychanalyse et rationalité : je note cet extrait (p. 155) :
[contre la contestation popperienne d'infalsifiabilité], "pour comprendre ce peut être la rationalité en psychanalyse, il faut s'éloigner de cette hypothèse [qu'il existe une opposition science/fausse science] et montrer que le critère de scientificité d'une théorie dépend autant de son aptitude à inventer de nouveaux modèles explicatifs que de sa capacité permanente à réinterpréter les modèles anciens en fonction d'une expérience acquise.
Freud n'a pas cessé de remanier ces propres concepts. Non seulement il modifié sa théorie de la sexualité en fonction de son expérience clinique - auprès des femmes en particulier -, mais il a aussi transformé de fond en comble sa doctrine en passant de sa première topique (conscient, inconscient, préconscient) à la seconde (moi, ça, surmoi), puis en forgeant la notion de pulsion de mort."
Le chapitre "L'universel, la différence, l'exclusion" est une critique de la notion de discrimination positive établie par le droit américain en vue de protéger des minorités. Élisabeth Roudinesco montre bien qu'aucune discrimination ne peut être positive en ce que toute revendication identitaire est génératrice de clivages et d'antagonismes. p. 174 "La différence biologique existe et l'on doit en tenir compte, mais elle n'est pas tout.
Cette différence n'empêche pas non plus que chaque sujet est toujours différent (ou autre) dans la relation qu'il entretient avec un autre ou avec sa propre identité. Chaque être humain s'avance masqué dans son rapport à son semblable dès lors qu'il est traversé par le désir de se faire aimer ou reconnaître. Il y a donc une infinité de différences qui, prises ensembles, sont constitutives de l'universel du genre humain.
C'est pourquoi dans une société égalitaire, la loi doit être la même pour tous les sujets quelle que soit la culture, la religion ou l'identité à laquelle chacun souhaite par ailleurs se rattacher. Quant à l'interdit, c'est à dire l'intériorisation subjective d'une loi symbolique (l'interdit de l'inceste par exemple), il est absolument nécessaire au fonctionnement de toutes les sociétés humaines.
Autrement dit, il est aussi erroné de valoriser l'universel au nom du refus de la différence que de rejeter l'universalisme au nom de la valorisation arbitraire d'une seule différence : l'anatomie par exemple…"
Ce qui semble inquiéter madame Roudinesco c'est qu'une politique de valorisation de la différence (induisant une fétichisation de la différence, comme la pratique de discrimination positive américaine) mettrait la société sur la voie non seulement de la barbarie, mais aussi rendrait la survie de la psychanalyse impossible dans cette société.
Après avoir fait remarquer que, contrairement aux régimes "caudillistes" latino américains (qui se contentaient de réprimer leurs opposants) les deux grand totalitarismes du xxème siècle n'ont put laisser s'implanter la psychanalyse (science juive pour les nazi, science bourgeoise pour le communisme), Élisabeth Roudinesco en vient au constat suivant :
"Érigée en fétiche, la différence est alors source d'exclusion. Et c'est bien ce phénomène de fétichisation des différences qui conduit tendanciellement à la disparition de la psychanalyse dans les pays où avaient été réunis depuis cent ans toutes les conditions d'une implantation parfaitement réussie : aux États-Unis notamment."
Ce diagnostique ne semble pas s'appliquer aussi sévèrement à la France. Voir paragraphes suivants.
Le dernier chapitre est une "Critique des institutions psychanalytiques".
Je recopie ce paragraphe sur la situation de la pratique psychanalytique actuellement en France (p. 182) :
"Malgré tout pourtant, la communauté psychanalytique française reste solide. La France compte en effet cinq mille psychanalystes répartis en plus de vingt associations, soit un taux de quatre-vingt-six psychanalystes pour un million d'habitants : le plus élevé du monde, avant l'argentine et la Suisse. Huit à neuf cent d'entre eux (élèves compris) font partie des deux société composante de l'IPA : la société psychanalytique de Paris (SPP) d'une part, l'association psychanalytique de France (APF) de l'autre. Les autres psychanalystes appartiennent pour la plupart à des groupes ou à des associations issus de l'ancienne École Freudienne de Parie (EFP), fondée par Jacques Lacan en 1964 et dissoute de son vivant en 1980."
Ensuite ce passage intéressant sur les patients (p. 192) :
"Quant aux patients des années 1990, ils ne ressemblent guère à eux d'autrefois. D'une manière générale, ils sont conforme à l'image de cette société dépressive dans laquelle ils vivent. Imprégnés par le nihilisme contemporain, ils présentent des troubles narcissiques ou dépressifs et souffrent de solitude et de symptômes de perte d'identité. N'ayant souvent ni l'énergie, ni le désir de se soumettre à des cures longues, ils ont du mal à fréquenter des psychanalystes de façon régulière.
Ils manquent facilement les séances et parfois n'en supportent pas plus d'une ou deux par semaine. Faute de moyens financiers, ils ont tendance à suspendre la cure dès qu'ils constatent une amélioration de leur état, quitte à la reprendre lorsque les symptômes réapparaissent. Cette résistance à entrer dans le dispositif transfériel signifie bien que si l'économie de marché traite les sujets comme des marchandises, les patients ont aussi tendance à leur tour à utiliser la psychanalyse comme un médicament, et l'analyste comme un réceptacle de leurs souffrances.
Le modèle de la cure-type - transmis de génération en générations à travers l'image mythique du fauteuil et du divan - est désormais réservé à des privilégiés. La plupart des jeunes thérapeutes ne pratiquent plus la psychanalyse à temps plein et tendent à substituer au dispositif classique une "situation analytique" en face à face, qui a l'apparence d'une psychothérapie…"
Je suis tenté de lire du mépris dans ces lignes.
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Ouvrage de référence très complet, à la fois pour les étudiants ou les professionnels ayant un lien direct avec la psychanalyse que pour les étudiants en littérature ou les autres arts, car arts et psychanalyse ont souvent des liens étroits (des références). Que l'on adhère ou non à certains concepts, force est de constater qu'ils sont bien définis, présentés de manière détaillée et complète et que les auteurs sur ce sujet sont tous présents.
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