Élisabeth de Feydeau

Maupassant évoque cette puissance de la mémoire olfactive :
"que de fois une robe de femme lui avait jeté au passage,
avec le souffle évaporé d'une essence,
tout un rappel d'événements effacés."
P 182

Robespierre se piquait d’élégance et s’était fait peindre une rose à la main. Mais l’Incorruptible n’usait pas d’eau de toilette. On en fabriquait pourtant qui portaient des noms nouveaux et effrayants : élixirs à la guillotine ou Sent-bon à la Sent-sont par référence au nom du bourreau. Un jabot ou un mouchoir imprégnés d’essence de lys ou d’eau de la Reine pouvaient vous coûter la vie.

- Rien n’est secret à la Cour, et tous les secrets aboutissent dans les boutiques de mode. C’est pourquoi les espions les fréquentent. N’avez-vous par remarqué un grand escogriffe, qui, sous prétexte qu’il a la passion des gants, est toujours fourré ici ? C’est le secrétaire de l’ambassadeur d’Espagne qui vient faire provision de rumeurs. Ne doutez pas qu’il est là non pour nous acheter des gants, mais pour informer son maitre”.

... texte du sage Ptah-Hotep : " Si tu es un homme raisonnable et accompli, aime ta femme avec sincérité et loyauté. Rassasie-la, habille-la et sache que les parfums sont les meilleurs des soins pour son corps."

Car pour Hippocrate, " la nature est le premier médecin des maladies et ce n'est qu'en favorisant ses effets que l'on obtient quelques succès."

La ville (Montpellier) possédait son port de mer en Aigues-Mortes mais, à la fin du siècle précédent, Sète l’avait supplanté comme lieu de débarquement des denrées orientales au même titre que Marseille.

La boutique offrait aussi à la vente, disposés dans un aimable désordre, divers petits objets : sacs à ouvrage, houppe de cygne, cure-dents, mouches, éponges, tabatières et même jarretières ainsi que des sultans, petites corbeilles ou sachets de parfum.

Le parfumeur s'étonnait de voir critiquer la reine avec tant de malveillance (,,,)
La raison en est très simple : le roi n'a pas de maîtresse. C'est là un malheur sans remède car il est fort probable, fait comme il est, qu'il n'en aura jamais (...) selon une partition chantée depuis des siècles mais jamais écrite, la favorite royale avait pour rôle principal d'attirer sur sa personne la haine et la jalousie des dames de la Cour.

En matière de mode, tout devait être "à la reine", jusqu'aux gestes et à la façon de s'exprimer. En termes de notre temps, la reine de France était l'étoile qu'épiait et admirait le monde élégant de toutes les capitales, de Madrid à Saint-Pétersbourg. Ceux qui n'avaient pas le privilège de l'apercevoir apprenaient comment elle était mise par les comptes rendus du Journal des Dames. Le statut de souveraine de la mode dévolu à sa fille irritait l'impératrice Marie-Thérèse. Elle se fâcha en voyant l'un de ses portraits : "Non, ce n'est pas le portrait d'une reine de France, il y a erreur, c'est celui d'une actrice !".

Dans cette enquête qui commence, j'ai plusieurs indices : Mademoiselle Chanel, cette femme visionnaire qui est la clé de voûte, la pierre philosophale de ce parfum, par qui et pour qui tout a commencé dans la liberté et l'audace. La Maison Chanel qui, au travers de ses créateurs, a permis au N°5 de continuer sa trajectoire. Les égéries, belles et célèbres, qui ont contribué au mythe du N°5, tout comme les artistes qui ont gravité autour de lui et qui l'ont nourri de leurs influences. Cette enquête méthodiquement conduite n'éteindra pas le charme du N°5, elle le renforcera.

Cependant , dans la vie quotidienne des royaumes de Perse, le parfum occupe une place importante. Ainsi, dans chaque couple, le mari doit fournir du parfum à sa femme tout au long de leur vie commune : c'est à la fois une marque d'amour et un rite de purification.

L'opinion était de plus en plus hostile à "l'Autrichienne" et les acclamations se faisaient rares sur son passage. Libelles et chansons la villipendaient. Elle s'obstinait à les imputer à l'esprit des Français : " Leur caractère est bien inconséquent, mais il n'est pas mauvais ; les plumes et les langues disent bien des choses qui ne sont point dans les cœurs ", écrivit-elle à l'impératrice sa mère.

Un mot définit et résume le N°5 : le Mystère. Celui auquel il faut savoir s'abandonner pour en avoir les clefs.

Et si toutes ces explorations odorantes que nous enfermerons dans des flacons étaient les préfaces de mondes encore non écrits...

- Sire, je viens vous demander justice d'un de vos sujets qui m'a insultée avec violence.
- Que me dites-vous là, madame? Cela ne se peut.
- Sire, je puis vous affirmer que j'ai même été frappée.
- Allons donc ! C'est une plaisanterie !
- Nullement, sire. Il s'est trouvé un être assez audacieux pour me donner force coups de pieds dans le ventre.
Le roi, qui avait enfin compris, poussa un cri de triomphe.

Elle adorait les pommade à la rose, à la vanille, à la frangipane, à la tubereuse, à l'oeillet, au jasmin, aux mille-fleurs.
Pour le bain, elle usait de savonnettes aux herbes, a l'ambre, a la bergamote ou au pot-pourri, et pour maintenir l'éclat de ses dents, elle commandait des poudres et des opiats.
Le maître parfumeur conçut une poudre et une pommade à la reine qu'il ne vendait à personne d'autre qu'elle.

Dans son esprit, commençait à germer le projet d'un "village français" comme ceux qu'elle avait vus lors de son arrivée en France et qui lui avaient semblé doux et charmants. A Trianon, ce serait le Hameau. Elle y mettrait un étang, des maisons, un moulin et autour des arbres fruitiers, des noyers, des cerisiers, des pruniers, des poiriers, des pêchers, des abricotiers et un jardinet. Elle y mettrait aussi des gens, mais pas des vilains, des bergères, des moutons et des vaches tout propres et sentant bon, trois coqs et ses soixante huit poules.

Elsa, elle, en raison de son ouverture d’esprit, est profondément portée vers le mysticisme et se pose des questions d’ordre existentiel dès son plus jeune âge et auxquelles la préparation religieuse de sa première communion n’a pas totalement répondu. Elle en déduit que « la croyance est nécessaire à l’âme et les plaisirs au corps, mais la croyance demeure une abstraction, tandis que les satisfactions du corps sont de courte durée » De ses heures passées enfant à écouter des lectures de la Bible qui la fascine, dans les écoles religieuses et les couvents les plus huppés, aurait-elle intégré inconsciemment ces influences religieuses pour les incorporer dans certaines de ses « créations haute couture » ? Ne peut-on voir, par exemple, le reflet en miroir des soutanes noires et blanches des prêtres romains ou des habits de nonnes, dans les formes fluides des robes Schiaparelli ?

« Shocking » était son expression favorite. Elle en avait fait une devise, un mot d’ordre, une règle de vie. Choquer pour plaire dans un monde où la beauté est une politesse qu’il faut avoir pour briller en société ! Choquant, cet ouvrage de poésies érotiques, Arethusa, qui lui valut, dit-on, à l’âge de 20 ans, d’être mise au couvent. Choquants, ses motifs de tatouages, squelettes ou faux cols. Choquants, ces étranges matériaux. Choquant, ce poudrier en forme de cadran de téléphone. Choquante, la combi-pantalon avec d’énormes zips ou cette jupe-culotte qui scandalisa l’Angleterre des années 1930. Choquant ou bien simplement le fruit d’un esprit libre amusé par le surréalisme et l’extravagance d’un Salvador Dalí qui dessine pour elle un homard géant couleur sang, à installer à l’entrecuisse, sur le devant immaculé d’une de ses robes5.
Elsa Schiaparelli, qui se considérait comme une sorte de « jolie laide » et en souffrit toujours, n’en fut pas moins l’un des diamants les plus étincelants de la haute couture des années 1930, mais, en dépit de l’adulation dont elle était l’objet, un diamant solitaire aux facettes multiples et changeantes. Adepte des qualités et des défauts extrêmes, elle demeure donc une ombre, même en pleine lumière, en recherche perpétuelle de cette beauté, qu’elle avait pensé lui manquer.
C’est à la rencontre d’Elsa autant que de « Schiap » que je souhaite vous entraîner, vers « la suprême évasion qui réside en soi-même », selon ses propres mots.

De la Renaissance jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, c'est la corporation des gantiers parfumeurs qui s'assure le monopole de la distribution des parfums, au détriment des apothicaires, distillateurs, droguistes et chimistes. Le terme "parfumeur" est un dénominateur commun à plusieurs autres activités qui se partagent entre Paris, Montpellier et Grasse, faisant de la France la terre d'élection du parfum.