Citations de Élisabeth de Fontenay (99)
...Descartes, en déclarant l'âme ou le langage ou la pensée apanage des seuls êtres humains, de tous les êtres humains, a résolu de refonder méthodologiquement et métaphysiquement une égalité entre les hommes, quelle que soit l'accidentelle faiblesse de ceux qu'on tient pour les derniers d'entre eux.
L'existentialisme n'est donc pas un humanisme, en vertu du trait même par lequel certaines de ces philosophies se servent de "l'existence" (italique) pour destituer les êtres qu'elles tiennent "seulement vivants" et peut-être pour des êtres déclarés indignes de vivre.
Les chemins de pensée tracés par Heidegger ont tellement compté pour moi que j'ai toujours refusé de débusquer dans son oeuvre "l'introduction du nazisme dans la philosophie". Pourtant, en ne cessant de penser l'humanité de mon frère, je me suis toujours trouvée contrainte de reconnaître que la rupture de Heidegger, dans son livre "Etre et Temps", avec "les philosophies de la vie" portait la dangerosité de sa pensée.
La bêtise, une cicatrice ! Ce fut un geste fondateur que de caractériser la déficience intellectuelle comme une blessure, de rapatrier l'impuissance mentale dans l'histoire d'un être et de récuser tant l'invariabilité de la faiblesse d'esprit que la trop facile hiérarchisation des intelligences.
Quelques instants plus tard, alors que le corps d'Anne venait d'être enterré, de Gaulle a posé sa main sur le bras de sa femme et lui a murmuré : "Maintenant elle est comme les autres." Maintenant... comme les autres. Désespérant aveu qui laisse entendre que seule la mort a réussi là où les hommes ont échoué.
"Ou il n'y a personne ou l'on ne veut pas répondre", dit un personnage de Diderot, le Neveu de Rameau, en se frappant le front. Cette exaspération, parfois, de ma mère m'aura fait comprendre que les deux branches de l'alternative, absence ou refus d'entendre, étaient l'une et l'autre, et ensemble, recevables. Ainsi n'ai-je jamais cessé de tenir Gaspard pour une personne et de me dire, aujourd'hui comme hier, qu'il en rajoutait.
La nuit de Gaspard évoque un soi qui n'a pas accédé à la condition de sujet, à la possibilité ordinaire et prodigieuse de dire "je". Elle est une énigme humaine supplémentaire, inattendue, impénétrable.
La nuit de Gaspard évoque un soi qui n’a pas accédé à la condition de sujet, à la possibilité ordinaire et prodigieuse de dire je. Elle est une énigme humaine supplémentaire, inattendue, impénétrable.
C'est sans doute son apathie qui constitue ma plus grande épreuve. Son incapacité à ressentir, à partager les émotions d'autrui m'épuise.
Ce fut un geste fondateur que de caractériser la déficience intellectuelle comme une blessure, de rapatrier l' impuissance mentale dans l'histoire d'un être et de récuser tant l'invariabilité de la faiblesse d'esprit que la trop fragile hiérarchisation des intelligences.
Le fait que des femmes et des hommes d, Église, loin de considérer cette célébration comme une mascarade, l'aient tenue pour un sacrement reçu dans la plénitude de son sens m'émeut encore comme au jour de mes treize ans, bien que ces choses- là ne signifient, depuis longtemps, plus rien pour moi.
Mais ce que je crois savoir, c'est que j'ai pris la place de mon frère et que, rendue libre par son effacement, j'ai gardé notre nom pour moi toute seule.
Je cherche seulement à le faire exister tel qu'il s'est dérobé aux siens et n'y parviens qu'en usant de la première personne du singulier dans laquelle la sœur, la narratrice et la philosophe cohabitent de manière intranquille.
Il a fallu, dans l'impossibilité où je me trouve de tracer avec précision l'entrelacs de ma vie avec une tout autre vie que la mienne, avec cet ailleurs inaccessible qui m'est échu, me contenter de scruter des souvenirs pour confronter à certains moments de notre présent.
Le mal dont il pâtit, c'est l'innocence, il ignore la malveillance, le mensonge, la dissimulation, il réagit depuis si longtemps comme une victime, comme un agneau que l'on mènerait à l'abattoir.
Gaspard, lui, ne possède aucune de ces vertus tenues pour proprement humaines. Très peu de signes viennent de lui, qui mériteraient qu'on s'exclame : cela un animal ne l'aurait jamais fait ! Il est né, il a grandi, il s'est présenté à l'épreuve du propre de l'homme et il a été recalé. Son échec m'aura rendue hostile à presque tous les humanismes.
Ce pouvoir prodigieux du rameau d'or, je le nomme, indifféremment, don de l'écoute et don de la traduction. Si la grâce en est accordée à quelques-uns, elle m'aura été refusée, car je me sens rarement en mesure d'affronter cette longue catastrophe silencieuse qu'est mon frère.
Très peu de signes viennent de lui, qui mériteraient qu'on s'exclame : cela, un animal ne l'aurait jamais fait ! Il est né, il a grandi, il s'est présenté à l'épreuve du propre de l'homme et il a été recalé.
Notre culture est cannibale : manger de la viande est un signe de virilité. Un homme qui ne mange pas de viande est suspect.
On devrait pouvoir aller le plus loin possible dans la défense du droit des animaux sans pour autant offenser les humains.