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Critiques de Éric Liberge (210)
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Musée du Louvre, tome 3 : Aux heures impaires

Eric Liberge nous offre un voyage fantastique dans le musée du Louvre.

Le trait est fin, l’utilisation des couleurs fait penser à la technique en eau forte (gravure chimique sur le métal), avec des effets de matière et un trait très fin, cela permet aux images de se superposer comme des palimpsestes et d’offrir des effets de lumières un peu vieillis.

Bastien est sourd muet, et un peu associable, il est au musée pour y faire un stage. Il va tomber sur un étrange tuteur qui va le prendre sous sa coupe et lui faire découvrir la magie du Musée, il devra surveiller les heures impaires de la nuit, celle où les œuvres prennent vie.

Eric Liberge nous propose une vision merveilleuse de l’art, une vision qui ne s’arrête surtout pas à leur historique et aux anecdotes, pas besoin de connaissances particulières, c’est une vision poétique, une histoire de rencontre avec un lieu, labyrinthique, un lieu emprunt d’une folie hors du monde, et aussi de rencontres avec les œuvres exposées, simples, sans à priori. Pour les entendre, il faut accepter l’irrationnel, le merveilleux.

Personnellement, j’aime quand la vision de l’art sort des anecdotes historiques, d’une rigueur scientifique, on n’a que faire de savoir qui était la maîtresse du peintre au moment où il a réalisé telle ou telle peinture, Eric Liberge nous reconcentre sur l’essentiel, c’est à dire sur la force des émotions qu’elles dégagent, et nous propose une communication originale avec les œuvres du musée.

Seul regret, la gamme de couleurs est parfois sombre et se limite aux ocres, elle aurait pu aussi participer un peu plus à la fête.
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Le Suaire : Lirey, 1357

Lucie est une jeune nonne qui offre ses soins à l'indigent sous la protection du moine prieur Thomas qui cherche à bâtir une grande abbaye. Son cousin tente bien de la convaincre de renoncer à ses vœux mais Lucie a une foi inébranlable.



Nous sommes à Lirey, au moyen-age. C'est à cette époque qu'on lieu les premières apparitions du saint-suaire. Les auteurs nous proposent de découvrir l'origine du linge sacré sur lequel serait imprimé le visage du Christ.

Je trouve que l'époque est bien rendue. Surtout à travers le graphisme magnifique. On y voit la différence criante entre les pauvres, les miséreux, les lépreux et la noblesse qui ripaille bien au chaud des grandes cheminées. A cette époque le commerce des reliques bas sont plein, qu'il est tentant d'en créer de toutes pièces pour faire venir le pèlerin aux poches pleines!

L'histoire est plutôt intéressante même si j'ai trouvé la fin un peu précipitée. On a eu du mal à voir le basculement de Lucie dans cette folie fanatique.

Certains points m'ont tout de même laissé perplexe. J'ai eu du mal à savoir la place de certains éléments dans l'histoire : les flagellants, les juifs... Ca m'a semblé pas assez utilisé pour y voir un intérêt.



Les graphismes sont vraiment splendides. Les nuances de gris sont très belles et laissent les détails s'exprimer dans un véritable tableau du moyen-age.
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Le cas Alan Turing

BD intéressante et bien réalisée même si l'histoire est un peu allégée. Un bon moyen de ne pas oublier le génie d'Alan Turing qu'on a préféré bafouer et perdre pour ne pas irriter le bien-pensant peuple britannique.
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La jeunesse de Staline, tome 2 : Koba

Deuxième tome d'une BD biographique sur la jeunesse de Staline.



Le petit peintre convoqué au Kremlin transpire à grosses gouttes en cette année 1931. Pensez-donc le maître de la Russie soviétique, le grand Staline, l'a choisi pour lui raconter sa jeunesse fougueuse.

Une mission sans doute piégée, car nul ne doit survivre à de telles confessions de la part d'un dictateur qui a effacé soigneusement les traces de passé.



Un passé trouble, fait de diatribes virulentes anti-capitalistes, mais aussi anti menchevik, ces révolutionnaires trop tièdes à son goût et à celui de Lénine. De passages en prison, de déportations en Sibérie aussi. D'où il est toujours revenu. Par faveur de l'Okhrana, la police secrète du Tsar ? A t-il trahi ses amis politiques ?

Staline détaille ces années où sous le surnom de Koba, il a sillonné la Géorgie et l'Azerbaïjan, menant des gréves, des manifestations et organisant des attaques de banques et de train. Les bénéfices de cette vie de hors la loi partaient en partie au financement du parti bolchevik.

Staline coureur de jupons aussi. Ayant toujours un bon prétexte politique pour tromper son amante du moment.

Sa vie est un roman (d'ailleurs Simon Sebag Montefiore l'a montré dans une biographie qui se lit comme un roman).



Cette transposition en BD ne me convainct pas totalement. Certes les informations essentielles sont là, mais j'apprécie toujours aussi peu le dessin et la colorisation.
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Le Suaire : Lirey, 1357

1357, en Champagne, l’évêque Henri chevauche vers le Loiret où il va tenter de convaincre sa cousine Lucie, dont il est secrètement amoureux, de quitter les ordres pour rejoindre ses parents qui ont perdu leurs fils et pour qu’elle épouse le fils du comte d’Argenson. Mais la none, fanatique, n’en a cure et refuse de se défroquer. Pendant ce temps, des moines tentent de construire une abbaye pour y conserver un morceau de la sainte croix mais ils sont ruinés et doivent stopper leurs travaux. Une épidémie de peste sévit également. L’hiver est particulièrement rigoureux, ce qui n’arrange rien. D’autres fanatiques, des hérétiques, critiquent la religion chrétienne et le Saint-Siège. Ils parcourent la campagne en se flagellant. L’évêque demande qu’on s’en débarrasse avant qu’ils ne corrompent le royaume. L’un deux, qui porte La Croix et une couronne d’épine, s’élancer devant Lucie qui lui essuie le visage, imprimant ainsi dans le drap un visage qui ressemble à l’idée que les croyants se font du visage du christ sacrifié. 9a donne l’idée au moine de faire un faux suaire, le drap qui aurait enveloppé le corps du christ après sa descente de croix. Thomas Merlin de Sainte-Anne, le moine qui est à l’origine de la supercherie, sait que Lucie est un témoin gênant et tente de s’en débarrasser en affirmant qu’elle est atteinte de la peste. Mais Lucie s’évade…



Les dessins sont assez chargés, les textes très serrés, ce qui rend parfois la lecture complexe. Ca met en valeur l’avantage de la lecture en numérique et la capacité du zoom, ce qui rend plus aisé la lecture. Le scénario est complexe et rend bien l’ambiance moyenâgeuse de l’époque historique du récit et de l’action. Le fanatisme religieux nous démontre à quel point le royaume de France était une théocratie à l’époque. La misère du peuple est également présente, surtout comparée aux fastes des seigneurs de l’époque. Maintenant, je trouve l’histoire assez confuse. Entre l’amour de l’évêque pour sa none de cousine, les moines escrocs qui tentent de réer de fausses reliques, en se disant que ça fidélise le peuple, juste pour tenter de tirer de l’argent et construire leur abbaye, entre les flagellants fanatiques qui se rebellent contre l’église et les Juifs qu’ils faut punir car ils ont bafouer la sainte-croix. Donc, le scénario n’est pas vraiment cohérent et ce n’est pas la chute de ce tome qui va nous aider à nouer tous les morceaux de cette histoire qui peine à décoller. Je m’était dit que je laisserais tomber cette série, que je ne critiquerais pas ce volume mais la parution d’un deuxième tome m’a soudainement fait changer d’avis. Je vais donc tenter de découvrir la suite, espérant qu’elle se raccroche à ce premier tome pourtant décousu.





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Les corsaires d'Alcibiade, tome 2 : Le rival

En 1825, ces cinq jeunes gens sont recrutés par l'organisation Alcibiade, une société secrète oeuvrant pour la couronne britannique.

Leur première mission de récupération sera leur dernier test: franchir les océans et mettre la main sur un fabuleux trésor. A peine entamée, leur quête est entravée par un mystérieux rival. Ils doivent combattre des peuplades sauvages anthropophages, occasionnant de belles scènes de combats bien dessinées.

Une aventure passionnante d'un genre steampunk, avec de magnifiques planches.
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Le Suaire : Lirey, 1357

Ce tome est le premier d'une trilogie se déroulant sur 3 époques différentes : en 1357, en 1898, en 2019. Il a été écrit par Gérard Mordillat & Jérôme Prieur, dessiné et encré par Éric Liberge. C'est une bande dessinée de 70 planches, en noir & blanc avec des nuances de gris.



Au début de premier millénaire, dans une plaine désolée, un groupe d'hommes s'avance, composé de 4 soldats à pied, d'un autre à cheval, et d'un individu nu les mains attachées à une courte poutre posée sur sa nuque. Épuisé, le supplicié tombe à genoux, devant 4 pieux fichés en terre. Les soldats se mettent à l'œuvre : clouer les mains du supplicié sur la poutre qu'il a transportée. Ils attachent ensuite la poutre à l'un des pieux, formant ainsi une croix. L'un des soldats peint une inscription sur un parchemin qu'il cloue sur le pieu, sous les pieds du supplicié. Ils s'en vont. En Champagne, en février 1357, un groupe de soldats escorte un groupe d'individus uniquement habillés d'un pagne ceint autour des reins (malgré le froid) et s'autoflagellant avec des disciplines. Cela n'empêche pas les paysans de travailler aux champs, les tailleurs de pierre de s'activer au pied de la cathédrale en construction, les sœurs de ramener les corps des pestiférés vers la fosse commune.



En revenant de la fosse commune à travers champ, Lucie (à pied dans la neige) se fait interpeller par son cousin Henri, à cheval, évêque de Troyes. Il lui demande de quitter les habits pour revenir à la demeure familiale de ses parents. Elle refuse. L'évêque est interpellé par un groupe de paysans qui lui demandent de venir leur prêter main forte pour pousser leur carriole embourbée dans l'ornière. Lucie en profite pour continuer son chemin. Dans l'abbaye proche, les frères se tournent vers le prieur Thomas Merlin en se désolant que leur confrérie soit à cours de finances. Pourtant ils sont revenus de Jérusalem, avec une relique inestimable : un morceau de la vraie croix. Il leur déclare que même son oncle le pape Clément ne se soucie pas des pauvres moines qu'ils sont. Lucie est de retour en ville, dans l'église où de nombreux gueux attendent les bons soins de sœurs. Elle se met à panser des plaies. L'évêque l'a rejointe et la poursuit de sa demande, mais le prieur Thomas intervient.



Le texte de la quatrième de couverture précise que le suaire du titre se réfère bien à celui dit de Turin : un drap de lin jauni (4,42m * 1,13m) portant l'image d'un homme avec des traces de blessures compatibles avec un crucifiement. Le bandeau de la bande dessinée rappelle que Gérard Mordillat & Jérôme Prieur sont les auteurs de 3 séries documentaires extraordinaires [[ASIN:B000A3X4IW Corpus Christi]], [[ASIN:B00017O6K2 L'origine du Christianisme]] et [[ASIN:B001CJYK1S L'Apocalypse]]. Cela génère 2 appréhensions chez le lecteur de bande dessinée. Est-ce que ces messieurs sont capables d'écrire en respectant les codes du média BD ? Est-ce que le propos ne risque pas d'être intellectuel ? Comme un fait exprès, l'ouvrage s'ouvre avec une séquence de 4 pages sans aucun texte. Elle est parfaitement intelligible, très prosaïque (une mise en croix), avec une narration visuelle efficace et claire. Le lecteur éprouve un moment de doute, car s'il y a bien 3 autres pieux à côté de celui où est accroché le supplicié, il n'y a pas d'autres condamnés dessus, pas de voleurs. Peut-être ne s'agit-il pas du Christ… En 4 pages, les appréhensions ont été levées et le lecteur est en confiance, accroché par les dessins descriptifs, réalistes et un peu brut d'Éric Liberge. Le bandeau précise également que cet artiste est l'auteur complet de [[ASIN:2800167319 Monsieur Mardi-Gras Descendres]], une bande dessinée singulière.



Au fil des pages, le lecteur apprécie le degré d'implication d'Éric Liberge et sa narration visuelle. S'il en fait le compte, il constate que cette bande dessinée comprend 22 pages dépourvues de texte sur 70. C'est un vrai plaisir de lecture que de lire ces pages qui racontent uniquement par les dessins. L'enchaînement d'une case à l'autre est évident, avec une bonne densité d'informations visuelles. Ainsi pages 16 et 17, le lecteur voit la sœur Lucie de Poitiers avancer dans la ville de Lirey. Il observe les activités autour d'elle : un gueux peignant un dessin cochon sur une toile, des gamins surveillant les porcs dans la fange, des carrioles avec leur chargement, un bûcheron avec son fagot de bois, des porteurs. Puis Lucie pénètre dans l'église, effectue une prière rapide devant la statue de la Vierge, se déplace au milieu des nécessiteux attendant de recevoir la charité ou des soins. L'artiste réalise des planches tout aussi remarquables lorsque l'action prend le dessus, par exemple quand l'évêque se bat contre une meute de loups, avec une utilisation remarquable du blanc de la page pour donner à voir le manteau de neige.



Le scénario est assez exigeant avec l'artiste puisqu'il s'agit d'une reconstitution historique, d'un drame et de pratiques cultuelles. Éric Liberge décrit un moyen-âge que le lecteur n'a pas de raison de remettre en doute. Il peut donc voir les occupations de la vie quotidienne au gré des déplacements des personnages. Il regarde les vêtements des gens du peuple, des nobles et du clergé, des moines et des sœurs. Il voit la pauvreté et le dénuement des miséreux, et le contraste total avec la scène de banquet au castelet de Montgueux chez le bailli du roi. Il peut détailler les plats servis, les instruments de musique des amuseurs. En page 34, il regarde comment Lucie prépare sa décoction pour soigner les malades. Dans la page suivante, un médecin de peste porte un masque caractéristique en forme de long bec blanc recourbé (bec de corbin). Tout au long de la bande dessinée, le lecteur peut ainsi observer de nombreuses pratiques de l'époque : l'embaument des morts de la peste, la parade à cheval des évêques, le cheminement des suppliciés juifs et flagellants, l'emmurement de certains pestiférés, la ferveur religieuse lors de l'ostension des reliques. Liberge réalise donc une reconstitution historique très riche, sans jamais chercher à s'épargner le labeur par des raccourcis graphiques, en représentant les églises dans le détail, en veillant à leur authenticité architecturale.



Le lecteur s'immerge donc pleinement dans chaque environnement et à cette époque. Il assiste à un drame impliquant essentiellement 3 personnes : Lucie, Henri et Thomas. Éric Liberge donne des morphologies normales à ses personnages, sans exagération anatomique pour les hommes ou pour les femmes. Ils sont tous aisément reconnaissables et il opte pour une direction d'acteur de type naturaliste, sans emphase particulière, sauf pendant les moments périlleux où les émotions et les réactions deviennent plus vives. Lucie apparaît comme une jeune femme réservée et déterminée, aidant les nécessiteux sans mépris ni recul, accomplissant sa tâche parce qu'elle sait qu'elle est juste. Thomas semble être un quadragénaire, habité par la foi sans en devenir fanatique, mais sûr de son jugement puisqu'il est guidé par Dieu. Les postures d'Henri montrent qu'il est conscient de son rang et qu'il attend d'être obéi comme il se doit du fait de son titre. Au fil des séquences, le lecteur observe les autres acteurs, figurants avec ou sans réplique : l'obstination fanatique des flagellants, la gloutonnerie des fêtards au banquet, la soif de violence sur le visage des spectateurs voyant passer les condamnés, la ferveur des croyants venant voir l'ostension du suaire, passant de la patience pour accéder à une place, à la ferveur extatique en le voyant, l'angoisse et l'effort de ceux fuyant l'incendie. L'artiste sait trouver la posture parlante et représenter l'expression de visage adaptée pour que le lecteur puisse y lire l'état d'esprit du personnage concerné.



La tâche du dessinateur s'avère très délicate quand il s'agit de représenter les pratiques cultuelles, allant de la simple marque de respect devant la statue de la Sainte Vierge, à la mortification par auto-flagellation avec une discipline (fouet de cordelettes ou de petites chaînes). Le parti pris des auteurs est de montrer ces pratiques comme relevant d'actes normaux dans le contexte de cette époque et de cette région du monde. Éric Liberge s'applique à ce que ses dessins soient en phase avec ce parti pris, en restant factuel, en évitant de donner dans le sensationnalisme par des angles de vue trop appuyés ou des images voyeuristes. Il arrive à trouver le bon équilibre, que ce soit lors de la scène de la crucifixion où les soldats font leur boulot sans faire montre de sadisme ou de commisération, ou lors des scènes de repentance des flagellants en train de se fouetter le dos. Il ne se complaît pas dans des représentations gore, mais si le lecteur a déjà eu la curiosité de consulter des images sur l'auto-flagellation, il retrouve bien les cicatrices caractéristiques sur le dos de Lucie dans une case de la page 65. Cela atteste encore une fois du sérieux des recherches effectuées par l'artiste. Par ailleurs, il réalise également des cases mémorables comme une vue du dessus de la nef de l'église avec les nécessiteux, Henri lançant son cheval au milieu de la troupe de flagellants, Henri quittant la salle du banquet par l'escalier, l'irruption du médecin de peste, la façade de la cathédrale de Troyes, un moine baisant le pied d'un voyageur qu'il vient de laver, l'ostension du suaire dans la cathédrale, l'incendie ravageant la cathédrale.



Le lecteur n'éprouve aucun doute sur le sérieux des recherches effectués par les coscénaristes du fait de leur bibliographie et de leur vidéographie. S'il en a la curiosité, il peut aller consulter une encyclopédie pour se renseigner sur le Suaire de Turin, et connaître l'état des connaissances sur son origine. Il retrouve l'hypothèse la plus communément admise dans cette bande dessinée. Les auteurs proposent donc une fiction sur les circonstances de sa réalisation menant à sa première ostension, relevant du fait historique. Ils ne se prononcent pas sur les techniques employées pour obtenir cette trace sur le drap de lin. Le lecteur se laisse convaincre par la plausibilité de ce récit qui montre comment cette idée a pu germer et a pu être mise en œuvre. Il apprécie la qualité de la transcription des pratiques cultuelles, sans jugement de valeur, autre que le regard qu’il peut lui-même porter sur l'auto-flagellation et la valeur de la mortification. Les auteurs n'ont pas donné une forme de reportage à ce récit, mais bien de roman focalisé sur trois personnages. Ceux-ci sont définis par leurs actes et leurs paroles, car le lecteur n'a pas accès à leur flux de pensées. Il peut en déduire leurs motivations et leurs convictions, ce qui tire le récit vers la littérature, avec l'utilisation d'une forme construite pour parler du suaire de Turin. Au fur et à mesure, le lecteur s'interroge sur le comportement de tel ou tel personnage secondaire. En fonction de ses convictions religieuses, il se demande ce qui poussait des individus à laver les pieds des autres, à se mortifier, à se mettre en danger pour ses convictions religieuses, ou à l'opposé à être en capacité d'ignorer la souffrance de son prochain. Il n'y a ni prosélytisme, ni raillerie dans ces pages, juste une étrange histoire d'amour de nature spirituelle, et une réflexion sur ce qui a pu amener des individus à réaliser un tel suaire, sur le système de croyance, sur les conditions politico-sociales qui ont produit cet artefact.



Dès la première séquence, le lecteur est séduit par le noir et blanc avec des nuances de gris, sans chichi, d'Éric Liberge, par la lisibilité de ses planches sans sacrifier à la qualité de la reconstitution historique, à l'émotion des personnages, à la rigueur de la mise en scène. Il se rend compte que le récit est accessible et facile à lire, un véritable roman racontant comment le Suaire de Turin a pu être créer sans prétendre à la véracité, mais avec une forte plausibilité. Par ailleurs ce tome peut être lu pour lui-même, sans avoir besoin de lire les suivants, si le lecteur n'est intéressé que par cet aspect du suaire.
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Monsieur Mardi Gras Descendres - Intégrale

Une série pas toujours facile à lire mais qui ne manque pas d'intérêts.

J'ai bien aimé dans cet univers dans lequel on débarque sans prévenir, comme Victor Tourterelle. Ce Purgatoire lunaire qui ne répond ni aux attentes ni aux représentations qu'on s'en fait ou des personnages. Il est régis par des hommes et des lois un peu obscurs, ça reste très mystérieux. Il est très intéressant, sombre, plein de promesses, d'espoirs et de désespoirs, de questions, d'aventures pour qui cherche des réponses. Ces personnages tout en squelettes font du décor encore plus morbide. L'auteur arrive à leur donner des personnalités, des caractéristiques physiques, avec des raccommodements qui font leur vécu, des expressions du visages...

C'est une BD qui posent des questions, sur la vie et sur la mort, sur nos attentes, sur la religion, sur le gouvernement, les réactions de chacun face aux évènements... Il y a un peu d'humour noir. J'ai eu du mal à le trouver parfois.

En effet la lecture est parfois ardue. Surtout à partir du troisième tome. Et le quatrième est souvent nébuleux. J'ai eu du mal à tout saisir, à savoir ce que voulait dire l'auteur, ou si il nous laisser dans le flou exprès pour qu'on fasse de ce monde, de ces questions, les nôtres. La fin n'est pas très claire non plus, à savoir comment les personnages quittent ce monde, pour retrouver quoi, quel était vraiment le rôle du facteur, ce que va devenir ? Encore une fois, peut-être est-ce voulu par l'auteur.

Les personnages ont des rôles, des positions dans cette société sont très variés. Victor a une personnalité très humaine et intéressante, loin de se laisser faire, d'être passif, sans non plus en faire trop, il ne contrôle pas tout, au contraire. On n'a pas toutes les réponses sur les personnages, on reste un peu sur notre faim.

Les dessins sont très agréables, soignés, détaillés, avec une touche de poésie. Tout en noir et blanc ils sont parfaits pour ce monde d'outre-tombe.
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L'art du crime, tome 4 : Electra

Electra est une sculptrice corinthienne qui va un jour connaitre l'horreur lorsque les légions romaines vont piller sa ville. Son jeune apprenti va se faire assassiner sous ces yeux par un soldat alors qu'il tentait de sauver une de ses premières oeuvres. Electra n'aura alors de repos que lorsque vengeance sera assouvie!



Les sorties s'enchainent assez rapidement pour cette nouvelle série de chez Glénat. Neuf arts, neuf crimes. Pour ce tome : le deuxième art, la sculpture.

Nous sommes donc pendant la Rome antique, en 146 avant JC. Corinthe s'est faite pillée et Rome doit désormais apaiser son peuple plutôt que de soumettre les provinces voisines.

Un scénario qui va tourner autour du désir de vengeance de la jeune sculptrice et de l'intrigue politique du sénat romain. Marcus Flavius est désigné pour être le commandant de la nouvelle garnison sensé ramener l'ordre dans la ville éternelle, alors que le consul Octavius aimerait placer son fils Néréus. Un homme violent et cruel qui n'est autre que le tueur de Zacharias, l'apprenti de la sculptrice corinthienne.

Le scénario est plutôt sympathique et bien ficelé. Les héros sont vite attachants. On pourrait surement reprocher des personnages un peu trop tout blanc ou tout noir mais bon...



Le dessin est expressifs mais j'avoue avec eu parfois du mal à accrocher à ce type de trait principalement à cause du rendu charbonneux des ombres et des décors. Les arrières plans ne sont pas toujours aussi soignés qu'ils le devraient.
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Le corps est un vêtement que l'on quitte

Julien est un adolescent qui pratique le rugby de manière brillante et va intégrer le club de Bordeaux dans le but de devenir professionnel. Son père, neurochirurgien reconnu, ne le soutient pas dans son projet mais ne s'y oppose pas non plus.



Premier match en vue, premier gros choc, et pendant plusieurs minutes, Julien est considéré comme mort. À son réveil, il décrit ce qu'il a vécu, ce qu'il a ressenti mais aussi qui il a rencontré. Nous sommes face à ce qui s'appelle une expérience de mort imminente (EMI). Julien est pris au sérieux par une infirmière mais cette histoire est rejetée en bloc par son cartésien de père. Surtout que Julien dit avoir parlé avec un Paul qui dit être son oncle. le père et la mère de Julien refusent de lui en parler. le père de Julien va jouer de ses relations pour que Julien oublie. Cela sera fait en pratiquant des séances d'hypnoses.



Julien va perdre ses souvenirs, du moins ceux liés à l'EMI. Si Julien n'a plus ses souvenirs, il a gardé une capacité de médium, de rencontrer des âmes en errance. Il vit avec cela.



Effectuant un stage à l'hôpital, il va retrouver l'infirmière qui l'a soigné après son accident du rugby. Elle va lui permettre de réactiver ce qu'il a vécu à ce moment.



Si j'ai effectivement entendu parler ou lu des articles relatifs aux EMI, ce n'est pas un phénomène fait partie de mes préoccupations. J'ai cependant lu cette histoire avec un grand intérêt pour plusieurs raisons.



La première est la qualité du scénario : Éric Liberge nous livre un véritable bijou sur un sujet difficile. La seconde est la qualité exceptionnelle du graphisme proposé. Quel travail sur les gris, quel travail sur les lumières entrevues en utilisant que le noir ! Les personnages sont somptueux, tout est notion de détails, tout est question de finesse, de précision. Chaque case est travaillée, ciselée. Un travail d'orfèvre. Et que dire du visage de Julien qui ira de la fermeture et de la dureté jusqu'à l'ouverture voire la béatitude ! J'ai beaucoup aimé l'apparition des couleurs et la chaleur de celles-ci dans la dernière partie. Les détails sont toujours là mais la couleur donne plus de profondeur, peut-être plus d'humanité.



Dans cette histoire, on voit encore les ravages que peuvent faire des secrets de famille. Ils détruisent ou modifient la vie des acteurs mais peuvent aussi avoir des conséquences sur les descendants. Et les secrets de famille peuvent se retrouver dans tous les milieux. Une fois de plus, un auteur nous montre les difficultés à dialoguer entre un père et un fils, entre un père qui ne prend pas le temps de de s'occuper de son fils, de s'intéresser à ses projets, privilégiant sa carrière et passant à côté de l'essentiel : la vie, la vraie vie.



C'est une histoire dure, difficile qui forcément génère de l'émotion chez la lectrice ou le lecteur. Que l'on croit ou non aux EMI, cette lecture ne laisse pas insensible. C'est un peu une approche philosophique sur les liens entre la vie et la mort, sur nos croyances. C'est un très beau et une belle histoire.



"La mort est un vêtement que l'on quitte" est un roman graphique que l'on ne quitte pas dans le même état qu'au début de lecture.

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Les corsaires d'Alcibiade, tome 1 : Elites ..

L'histoire débute sur les chapeaux de roues avec plein d'actions illustrées par de très beaux dessins, en particulier les vaisseaux et mécanismes qui rappellent le steampunk. Le mystère reste total du début à la fin pour ce premier épisode.
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La jeunesse de Staline, tome 1 : Sosso

Comme tout le monde, Staline a eu une jeunesse. Comme (presque) tout le monde, c’est à cette période qu’il a construit le socle de sa future vie d’adulte. Naissance en 1878 à Gori, en Géorgie. Mère couturière, père cordonnier. Ce dernier, violent et rongé par l’alcool, précipite sa famille vers là ruine. Pour protéger son fils, la maman place le petit « Sosso » à l’école paroissiale. Frappé par la vérole, renversé par un fiacre (il en gardera des séquelles à un bras), le gamin enchaîne les coups durs. La lecture d’Hugo, de Marx et du Germinal de Zola façonnent ses prises de position politiques en faveur du peuple contre le tsar, les élites et les financiers. Après cinq ans au séminaire de Tiflis, cet athée fauteur de trouble « ingérable et d’une insolence rare » est renvoyé sans ménagement. Il entre alors dans la clandestinité, s’engageant de façon radicale et violente auprès du futur parti bolchévique dont il prendra bientôt les rênes aux cotés de Lénine et Trotsky.



Je ne connais quasiment rien de Staline. Je le vois juste comme un abominable dictateur. Cette biographie a le mérite de m’en apprendre plus sur le personnage, sur le parcours qui l’a amené à devenir un monstre sanguinaire à tendance psychopathe. Une vie de famille difficile, les galères qui s’enchaînent, une enfance où l’on en bave et une envie de s’en sortir en écrasant les autres, en faisant fi de l’humain, en se gardant de toute empathie qui pourrait perturber la marche en avant d’un destin glorieux. Finalement, avant d'être un idéologue, Staline se comporte comme un caïd, un mafieux géorgien en guerre contre l’impérialisme russe.



Les auteurs ont l’intelligence de placer leur récit en 1931, au cœur du Kremlin, alors que Staline dispose des pleins pouvoirs depuis trois ans après avoir éliminé tous ses opposants. Le petit père des peuples va se confesser à un secrétaire du parti et raconter sa jeunesse. Cette astuce narrative permet d’emblée au lecteur de ne pas oublier que si le portrait des jeunes années offre l’image un peu romantique d’un voyou lettré fascinant ses camarades et capable de discours électrisant la foule, il n’en reste pas moins l’un des plus impitoyables tyrans de l’Histoire. Pas d’apologie donc. Ni d’excuses à avancer pour justifier l’injustifiable. Les événements s’enchaînent et illustrent avec limpidité la naissance du monstre, en dehors de tout jugement.



Le dessin réaliste donne dans l’efficacité et rappelle par moments le trait de l’excellent Jean-Yves Delitte, période Donnington. Un premier tome de qualité, percutant et documenté, loin de toute hagiographie, qui dresse le portrait d’un futur tueur de masse dans toute sa complexité.


Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Musée du Louvre, tome 3 : Aux heures impaires

La première chose qui m’a attiré dans cette BD, c’est l’illustration. Avant même de connaître son sujet, la couverture et un rapide feuilletage m’avait convaincu de la lire. Il s’agit d’une collaboration entre les éditions Futuropolis et le Musée du Louvre, de quoi m’intéresser d’autant plus ! Eric Liberge nous parle donc d’art mais aussi d’une problématique importante pour le Musée du Louvre : l’accès aux collections pour le public sourd et malentendant.



Bastien, le personnage principal, est sourd ce qui ne l’avantage pas dans la vie et ses rencontres au fil de l’album mettent en évidence les difficultés qu’il rencontre pour communiquer avec autrui. C’est un jeune homme en difficulté qui peine à trouver sa place dans notre société normalisée. Alors lorsqu’il rencontre Fu Zhi Ha, un gardien de nuit du musée qui lui propose un emploi, il est rapidement tenté d’accepter malgré les étrangetés de son interlocuteur.



C’est à ce moment-là que tout bascule pour Bastien, et pour le lecteur. Le récit qui, jusque-là, semblait ancré dans le réel nous plonge dans un univers fantastique où les œuvres d’art peuvent prendre vie pendant quelques heures, au cœur de la nuit. Les illustrations sont superbes tout au long de l’album, et Eric Liberge retranscrit magnifiquement ces moments de flottement entre rêve et réalité où les œuvres sortent de leur fixité. Les personnages m’ont semblé parfois un peu caricaturaux, mais cela ne m’a pas vraiment gênée.



Aux heures impaires est une bande dessinée qui m’aura entraînée dans les couloirs du Louvre pour découvrir le musée comme je ne l’avais jamais vu. J’ai été charmé par cet univers poétique et fantastique, qui ne manque pas de profondeur. Petit bémol, j’ai trouvé la fin un peu abrupte, j’aurai aimé voir l’histoire se poursuivre un peu pour trouver un dénouement plus complexe.
Lien : http://calokilit.wordpress.c..
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Le corps est un vêtement que l'on quitte

Le Corps est un vêtement que l'on quitte aborde magistralement la question des expériences de mort imminente (EMI).

Jeune rugbyman de 15 ans, Julien se trouve projeté hors de son corps suite à un choc lors d'un match. Un instant plein d'étrangeté qui lui permet de voir son corps inconscient, ses camarades autours de lui, d'entendre qu'il est en train de mourir ... avant de réintégrer son corps et de revenir à lui.

Une expérience qui va changer sa vie et son regard, au risque de lui ouvrir les portes d'un secret de famille bien gardé...

La finesse et la précision du dessin d'Eric Liberge sert magnifiquement l'intrigue, lui conférant une aura mystique pleine de profondeur.
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Le Suaire : Corpus Christi, 2019

Ce tome est le troisième d'une trilogie : Le Suaire, tome 1 : Lirey, 1357 paru en 2018, Le Suaire - Turin, 1898 (2018), celui-ci paru en paru en 2019. Les 3 tomes ont été coécrits par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, dessinés et encrés avec nuances de gris par Éric Liberge. Ce tome peut être lu sans avoir lu les deux premiers, mais ce serait dommage de s'en priver, et cela risque de rendre quelques pages inintelligibles.



En 2019, à Lirey en Champagne, Lucy Bernheim, cinéaste américaine, se tient devant la chapelle collégiale, et elle la photographie. Elle est interpellée par le père de Brok avec qui elle a rendez-vous. Il tient dans la main la clé qui permet d'ouvrir la chapelle, et il l'invite à le suivre pour une visite. Lucy Bernheim observe la fresque mur, lit les panneaux d'informations sur le Saint Suaire, sur Geoffroy de Charny (1300-1356). Elle explique au père de Brok son projet de film. Il lui propose de continuer la conversation au presbytère. Une fois au chaud, le père de Brok explique la raison pour laquelle le suaire ne peut pas être celui de Jésus, ni celui de quelqu'un d'autre. Il lui fait la démonstration de la fabrication de traces similaires sur un linge. Lucy Bernheim s'étonne auprès de lui que tant de gens croient encore au fait que ce suaire puisse être authentique. Le père de Brok évoque la position équivoque de l'Église, les laïcs qui se sont acharnés à montrer que le linge était le suaire de Jésus, la preuve par la datation la carbone 14 qui a conduit à remettre en cause la science plutôt que d'accepter les résultats. Il interroge Lucy sur ce qui la motive à faire un film : elle veut ainsi combattre l'intégrisme catholique lié à l'extrême droite qui font de l'image du suaire un usage politique aux États-Unis.



Une fois la conversation terminée, Lucy Bernheim va marcher dans la campagne. Chemin faisant, elle observe les champs de neige, les ânes, un corbeau un chien. Elle aperçoit au loin un bosquet d'arbres par lequel elle se sent attirée. Elle quitte le chemin pour s'y rendre. Elle aperçoit une sœur en habit qui lui tient un panier sans rien dire et qui la prend par la main pour qu'elle l'accompagne. Elles marchent jusqu'à un endroit où se trouvent des planches sur des tréteaux. Le corps d'un homme trop long est allongé nu dessus. Elles déplient le drap que porte la sœur pour l'en recouvrir. La sœur commence à appliquer des onguents sur le drap pour marquer le relief du corps. Puis elle se tourne vers Lucy et lui fait un signe d'au revoir. Lucy Bernheim a des visions d'un homme crucifié sur une croix avec une couronne d'épine, d'une femme allongée sur son lit, de Lucie une bonne sœur, d'Henri évêque de Troyes en 1357, de Lucia Pastore d'Urbino et de son père le Baron, d'Enrico Spitiero, et d'autres personnes encore. Quelques jours plus tard, elle se trouve à Turin pour voir le suaire. Elle fait le point avec un des techniciens de son équipe de tournage. Elle se souvient de la première fois où elle a vu le suaire à Turin avec Thomas Crowley, son professeur de théologie à Berkeley. Elle évoque son retour proche aux États-Unis et le fait qu'elle va aller voir une pièce de théâtre sur Jésus à Broadway.



En entamant ce troisième tome, le lecteur sait qu'il s'agit du dernier et qu'il vient conclure la trilogie. Il ne sait pas trop à quoi s'attendre, entre une évocation de Suaire de Turin tel qu'il est aujourd'hui considéré, l'histoire d'une nouvelle femme dont la vie y est liée (comme celle de Lucie et de Lucia précédemment) et une mise en scène de la foi catholique et de quelques croyants. Il constate très rapidement que les coscénaristes ont bien conçu leur récit en 3 chapitres : évocation de Lucie et de Lucia, évocation d'Henri et d'Enrico, reprise du motif de la vision de la sœur Lucie déjà utilisé dans le tome 2, et prise position claire sur la nature frauduleuse du suaire, fabriqué en 1357, sciemment utilisé comme relique créée ex nihilo. De ce point de vue, il s'agit d'une bande dessinée à charge qui établit le suaire comme une imposture. Les auteurs avaient déjà présenté une possibilité de fabrication du suaire dans le tome 1. Ils avaient ensuite évoqué des raisons techniques impliquant qu'il ne pouvait s'agir des marques laissées par un corps humain sur un drap. Ils exposent d'autres éléments dans ce troisième tome : un exemple de procédé de fabrication de telles marques (une démonstration effectuée par le professeur Henri Broch), les résultats de la datation au carbone 14 établissant que le drap a été tissé au quatorzième siècle. Le père de Brok énonce que la science ne peut rien faire quand l'esprit humain a décidé de croire, les preuves tangibles n'ayant aucun effet.



Dès le premier tome, le lecteur connaît donc l'opinion des auteurs et sait qu'ils vont développer leur histoire sur la base de ce point de vue. Comme dans les 2 tomes précédents, ils commencent par exposer des connaissances relatives à l'histoire du Suaire de Turin. Mais très vite, le récit prend une autre tournure, la même que celle des 2 tomes précédents. Lucy Bernheim se retrouve aux prises avec la croyance religieuse, avec la foi qui nourrit le fanatisme d'un individu. Cette orientation du récit peut décontenancer si le lecteur est resté sur les documentaires de Mordillat et Prieur. En plus, les auteurs n'y vont pas avec le dos de la cuillère en ce qui concerne le mysticisme : visions pour Lucia Bernheim (de Lucie, mais aussi de la crucifixion décrite en prologue du premier tome), sous-entendu de réincarnation ou au minimum de destins liés, de cycles (Lucie/Lucia/Lucy tourmentée et opposée à Henri/Enrico/Henry), symbolisme de la croix, des anges, des démons, du brame du cerf… Le récit prend même un tournant grand guignol avec une crucifixion au temps présent, et un fanatisme de foule. Le propos donne l'impression d'être amoindri par le recours à ces éléments exagérés, comme si les auteurs ne pouvaient pas parler du Suaire, de la Foi, de la religion sans la transformer en des rituels déments, ce qui viennent s'ajouter à la forgerie de la relique.



Comme dans les 2 tomes précédents, Éric Liberge impressionne par la qualité de ses planches et de sa narration graphique. À nouveau les auteurs ont choisi de faire la part belle aux pages sans texte : elles sont au nombre de 25 sur un total de 68. Il n'est pas facile de raconter une histoire sans mot : de raconter quelque chose de substantiel, et d'être certain de la bonne compréhension du lecteur. Dans ce tome, cela commence avec la promenade de Lucy Bernheim dans la campagne pendant 6 pages muettes, suivies par 2 compositions complexes muettes en pages 14 & 15. En page 8, le lecteur regarde pour partie le paysage par les yeux de Lucy Bernheim, et pour l'autre partie la voit avancer avec son bâton de marche. L'artiste œuvre dans un registre réaliste et descriptif, permettant d'observer les animaux et l'environnement enneigé. Il éprouve la sensation de se promener aux côtés de la jeune femme et ressent le calme des lieux. Le dessinateur dose avec subtilité les blancs sur la page (espace vierge) de telle sorte à ce que la transition vers un état de conscience différent s'opère sans heurt. La rencontre entre Lucy et Lucie apparaît comme un fait normal, ce n'est que l'écho avec une scène semblable dans le tome 2 entre Lucie et Lucia qui révèle la nature onirique du moment. Les pages 14 & 15 s'avèrent plus complexes et plus ambitieuses. Dans la première, Liberge doit réussir à faire prendre conscience au lecteur du poids psychologique qu'exerce la religion sur l'esprit de Lucy, et dans la seconde évoquer cette impression de cycle se répétant de Lucie à Lucia à Lucy. Le résultat est clair, lisible et compréhensible, malgré la liberté d'interprétation générée par l'absence de mot. Il réitère cette sensation de remémoration en page 21, où le lecteur retrouve l'image du cerf en train de bramer. Il n'y a que le dessin en pleine page (p. 26) dont l'interprétation n'est pas si évidente.



Du début jusqu’à la fin, Éric Liberge est entièrement au service du récit dans tout ce qu'il a de plus exigeant. Il a donné vie à des personnages inoubliables et distincts. Le lecteur peut voir aussi bien les ressemblances que les différences entre Lucie, Lucia et Lucy et elles ne se limitent pas à leur tenue vestimentaire. Il a adopté une direction d'acteurs naturaliste, ce qui colle parfaitement à l'esprit de réalisme du récit. Il sait installer des décors cohérents et conformes à la réalité, pour des endroits aussi différents que la campagne autour de Lirey, l'architecture de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin, l'aménagement de la chapelle de Guarini, le quartier de Broadway à New York, l'urbanisme de la ville de Corpus Christi au Texas (300.000 à 400.000 habitants), différents lieux associés aux Évangiles pour Le baiser aux lépreux, Les marchands du Temple, l'oliveraie de Gethsémani où des gardes du Sanhédrin font irruption. Il donne une force de conviction peu commune aux reconstitutions de ces scènes des Évangiles. Il réussit à trouver les bons cadrages, le bon séquençage pour rendre compte de la folie qui anime la foule dans la dernière séquence hallucinée.



Le lecteur se laisse donc transporter par la force de conviction de la narration visuelle, par sa précision et sa capacité à faire coexister le littéral très précis et la vision du ressenti de certains personnages. Ce n'est pas une mince affaire car le récit est teinté par le ressenti de Lucy Bernheim tout du long, et par les assauts du fanatisme masqué ou à découvert, jusqu'à une projection agrandie du linceul dans le ciel au cours d'un rassemblement à Corpus Christi, et même l'apparition du Christ dans le ciel. Le lecteur doit accepter que pour Gérard Mordillat et Jérôme Prieur parler de la Foi et du fanatisme, c'est sortir du rationalisme et qu'il faut donc employer un mode narratif adapté, passer au ressenti, à la métaphore, avoir recours à des comportements irrationnels. Sous réserve d'accepter ce mode narratif, le récit fait sens : une femme se confrontant à un traumatisme, devant exorciser ses croyances, et donc remettre en cause celles des autres. Les images deviennent alors la concrétisation de cette violence conflictuelle psychique. La page de fin devient une invitation à célébrer autre chose que la mort du Christ, ou l'utilisation d'un subterfuge (une fausse relique) pour préférer un autre usage à ce linge.



Ce troisième tome vient conclure cette trilogie surprenante, à bien des égards. Il ne s'agit pas d'une bande dessinée servant de support à un exposé historique ou technique sur le Suaire de Turin. Il s'agit bel et bien d'un récit, d'un roman se déroulant sur 3 époques (1357, 1898, 2019), suivant à chaque fois une femme différente, mais liées toutes les 3 par l'oppression du fanatisme religieux, d'une foi patriarcale s'imposant à elle. Éric Liberge est épatant de bout en bout, illustrant ce roman ambitieux de manière réaliste et précise, tout en réussissant à faire coexister des moments de visions, de mysticisme, sans les rendre naïfs ou crétins. Le lecteur peut se projeter à chaque époque, dans chaque lieu, et côtoyer des individus plausibles. Il apparaît très rapidement que les auteurs ont construit leur récit dans les moindres détails, que ce soient les images récurrentes comme celle de la Passion, ou des correspondances comme les ânes dans un pré en page 8, annonçant l'étrange monologue d'Henry en page 19. Au final, le ressenti du lecteur sur cette œuvre est partagé. Il a découvert un récit atypique, très personnel, particulièrement bien exécuté, mettant en scène des thématiques complexes comme la Foi, ses excès, la prédominance des croyances sur les faits scientifiquement prouvés, les contraintes implicites qu'exerce un système dominant sur tout ou partie de la population. Afin de pouvoir l'apprécier à sa juste valeur, il faut avoir conscience que les auteurs ne font aucun compromis avec une religion qui cautionne le mensonge des fausses reliques pour assurer en partie la foi de croyants.
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Le cas Alan Turing

BD EXCEPTIONNELLE...

La biographie donnée d'Alan Turing nous permet de voir en permanence les limites du génie et de la folie qu'il n'a cessées de côtoyer.



Père du déchiffrage des codes de l'Enigma durant la seconde guerre mondiale, sa découverte de la programmation sera le début d'un vrai changement dans le monde. Il va ainsi "gagner la bataille de l'intelligence et la bataille contre le temps".

Avec la création des premiers ordinateurs, sa mémoire reste implicitement depuis lors dans la plupart de nos actes quotidiens; jusqu'à Steve Jobs qui reprendra la pomme comme logo de sa marque, ce fruit étant pour ce dernier synonyme de désir, d'intelligence, de connaissance, de nouveauté, de promesses et de transgression.

En effet Turing finira par se suicider le 7 juin 1954 après avoir subi une castration chimique, l'Angleterre puritaine bannissant son homosexualité (marqué à vie par le premier film en couleur de tous les temps "La Belle au bois dormant", c'est en croquant une pomme empoisonnée que Turing va se donner la mort).



Le film "The imitation game" avait déjà magnifiquement repris la vie de "cet homme d'exception, qui a su percer tous les codes secrets, sauf un seul, le sien". Cet album par sa précision et la beauté du dessin est plus qu'à la hauteur. A LIRE!!!

(La mémoire d'Alan Turing fut officiellement réhabilitée par la reine d'Angleterre en décembre 2013)

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La jeunesse de Staline, tome 1 : Sosso

Il y a beaucoup de critiques élogieuses de cette BD sur Babelio. J'ai un peu de mal les comprendre.

Le récit de la jeunesse de Joseph Djougachvili, dit Sosso dans sa jeunesse, dit plus tard Staline, fils de cordonnier alcoolique et d'une mère protectrice, qui voulait le pousser à entrer dans les ordres, a déjà été fait de manière fort complète par Simon Sebag Montefiore. Les scénaristes ont eu l'obligeance de le citer comme source principale de leur intrigue. Toutefois, la bande dessinée, du fait d'une construction chaotique, perd en clarté sur Montefiore, ou sur le Staline de Kersaudy par exemple. L'histoire manque d'un minimum de linéarité.

Quant au dessin... C'est là que cela se gâte le plus. Le choix de tout coloriser en noir et rouge, y compris les fonds de décors, de multiplier les propos accentués par une calligraphie exagérée, de montrer une époque violente en explosant personnages et vignettes, est contestable. On comprend la dureté des temps, la vie difficile des petits métiers, mais ces rajouts n'apportent rien à la compréhension globale de la biographie.

Je ne suis pas du tout convaincu par ces parti-pris.



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Versailles, tome 1 : Le crépuscule du Roy

Voici une série qui comptera trois tomes à la fin de sa réalisation, le deuxième volume s’inspirera du Chevalier de Maison-Rouge d’Alexandre Dumas (avec la mission de sauver Marie-Antoinette) et le troisième volet évoquera aussi bien Molière que le Masque de fer. Pour ce premier tome les auteurs nous proposent un décor de milieu de règne de Louis XIV dans le cadre d’un roman de science-fiction. L’intrigue démarre autour du désir d’un amant et de sa maîtresse de se retrouver ensemble loin du mari de la dame. Ce souhait les entraîne à fuir l’écrin que constitue le domaine de Versailles en trompant la surveillance des Roberts gardiens autant que serviteurs et robots obéissant à des ordres reçus par des machines électroniques. Le scénario est très habile et le graphisme attrayant rend bien la double dimension du récit : celle de la civilisation du Siècle des Lumières et celle d’une époque du futur (très informatisée) qui suivait une période historique où la dimension écologique avait été bien trop négligée.
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Monsieur Mardi-Gras Descendres, tome 2 : Le..

J’ai acheté cette bd et malheureusement je ne suis pas arrivée à m’intéresser à cette histoire. Malgré un graphisme superbement réalisé j’ai trouvé le scénario un chouia compliqué. Je me suis perdu avec les personnages. Cette bd et son univers n’était malheureusement pas fait pour moi j’ai lu deux tomes et ne lirai pas la suite.
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Le cas Alan Turing

Alan Turing est l'homme qui a décodé Enigma, une machine à coder extrêmement puissante détenue et inventée par les Nazis. On ne saura pas grand chose des retombées de ses découvertes sur la guerre en elle-même, mais ce n'est pas le coeur du propos. Il s'agit finalement bien davantage d'une biographie de ce grand mathématicien, scientifique à la limite du génie.

On le voit tourmenté par son secret, son intimité qui à l'époque était considérée comme monstrueuse et lui coûtera la vie... On le voit aux prises avec les chiffres, les intellectuels ou politiques qui l'entourent et qui, souvent, ont du mal à le comprendre... On le voit dans sa relation avec sa mère, avec qui il partage ses convictions et ses espoirs...

J'ai beaucoup aimé les dessins, parfois tourmentés comme le personnage, ce qui justement donne du corps à cette histoire extra-ordinaire. Une vie à découvrir, qui donne envie d'en savoir plus encore.
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