Claude Askolovitch - On n'est pas couché 7/01/2017 #ONPC
« Je ne conteste rien de ce qui doit venir .J’ai tant démérité .Mon travail me rachète .J’y mets des efforts, des scrupules et des mémoires, mes peines et mes deuils .
Les pauvres et les morts sont mes familles, les blessés sont mes frères, et eux vivants tels que moi, je ne passe pas la honte d’être encore.
La honte est mon secret, ma saveur, mon ingrédient précieux . Elle est en moi, me creuse et me nourrit , ce que j’ai de plus vrai.
Je n’écris que de honte d’avoir gaspillé ...
- Tu sais ce qui est arrivé à Opa quand nous sommes revenus ?
- Dis-moi ?
- Notre ancien appartement était occupé par de nouveaux locataires… Opa est allé au bureau des logements pour voir s’il pouvait récupérer l’appartement où ses parents avaient vécu. On lui a demandé s’il avait leur certificat de décès. Quand Opa a répondu que sa mère avait été gazée dans un camp de concentration, on lui a dit qu’il n’avait pas de preuve, et si ça se trouvait, elle vivait toujours.
Cinq minutes seulement, et tout aurait changé, ce jour-là et tant d'autres ; cinq minutes encore et encore cinq minutes à ne pas être là, un peu distrait, à peine en retard, et pour tant de riens, pour d'infimes anecdotes, pour un monde inutile, manquer à Valérie. (pp.92-93)
[Le rabbin] nous dit enfin - il regardait Camille, je pense - qu'il fallait après Valérie illuminer notre maison des bougies de chabbat : les vendredis soir, les femmes, dans les foyers religieux, allument des lumières qui séparent la semaine du jour préservé où l'on peut préférer sa famille au monde. (p.49)
Je me demande si nous aimions les Klarsfeld pour eux-mêmes, ou parce que Maman venait des camps.
Nos premières nuits ensemble, dans ma maison de campagne où nous nous protégions des regards, j'emmenais Kathleen dans la chambre à côté de la mienne, où rien n'avait changé. Je n'imaginais pas encore l'aimer dans mon lit. Je m'endormais contre elle mais j'étais aussi bien de l'autre côté. Je me devinais au-delà du mur et devinais Valérie. J'éprouvais le destin des marranes, que l'on brûlait sous l'Inquisition espagnole d'être restés juifs en leur cœurs après leur conversion au catholicisme. Ils savaient simplement, je le sais désormais, que l'on peut être vrai dans deux mondes à la fois.
Entre les deux photos, Evelyn était dans les camps. A la regarder sourire dans les rues inchangées d'Amsterdam il n'y paraît rien. Seule l'imagination remplit le vide entre les deux pages de l'album.
En dépit du regard que porte Evelyn sur eux, ses compatriotes hollandais ne se sont pas vécus comme des complices de l’Allemagne nazie, mais (à juste titre) comme ses victimes. Et sans aucun doute, étant victimes, ils ont mis du temps à admettre la part qu’ils prirent – certains d’entre eux, policiers, collabos, la société des chemins de fer – dans la mort des juifs.
Nos enfants sont des passages vers notre enfance.
Dans nos premiers mois, dans notre amour caché, entre mes larmes et l'impossibilité des autres, Kathleen le répétait souvent. "On n'y arrivera pas". C'était le refrain de nos débuts, quand elle avait peur de poursuivre avec moi. Etions-nous un miracle ou une erreur tragique ? Rien n'avait donc changé. (p.129)