Payot - Marque Page - Banana Yoshimoto - The Premonition
Le bonheur, c’est de mener une vie où rien ne vous oblige à prendre conscience de votre solitude.
Comment ne pas comprendre à quel point il est important, même dans les plus petites choses de la vie, de choisir par soi même ?
Perdre un petit ami : pour la première fois de ma longue existence — qui n'était que d'une vingtaine d'années — je faisais cette expérience, et je souffrais au point d'en avoir le souffle coupé. Depuis le soir de sa mort, mon coeur avait glissé dans un autre espace, et ne pouvait revenir. Il m'était impossible de voir le monde avec mes yeux d'autrefois.
Je voulais toujours garder présente en moi l'idée que j'allais mourir un jour. Sinon, comment avoir la sensation d'être vivante ?
C’était une nuit de solitude tellement silencieuse qu’on aurait presque pu entendre au creux de ses oreilles la rumeur des étoiles qui se déplaçaient dans le ciel.
Dans l’obscurité, on chemine d’un pas incertain au bord d’un précipice, avant de déboucher enfin sur une route, avec un soupir de soulagement. Exténué, on lève la tête : le clair de lune est d’une beauté qui pénètre le cœur. Cette beauté-là, je la connaissais.
Pourquoi donc y a-t-il toujours dans les cimetières de grands arbres dont les branches touchent presque terre ? Est-ce pour consoler les disparus, ou bien grandissent-ils en aspirant l’énergie des morts ?
" Ta grippe, a dit calmement Urara en baissant un peu les paupières, est en ce moment dans sa phase la plus dure. C'est sans doute même plus pénible que la mort. Mais après, les choses ne vont sans doute plus empirer. Parce que les limites de chacun ne varient pas. Peut-être que attraperas encore des tas de grippes, et que tu auras à affronter d'autres moments comme ceux-ci, mais si tu t'accroches, ce ne sera jamais plus éprouvant que cette fois. Bien sûr, on peut se décourager à l'idée que les ennuis vont de répéter, mais on eut aussi penser que ce n'est pas plus grave que ça, et alors les choses deviennent moins pénibles, non ? " Et elle m'a souri.
Les yeux ronds, je suis restée muette. Est-ce qu'elle me parlait uniquement de la grippe ? Est-ce qu'elle essayait de me dire autre chose ? ... Le bleu de l'aube et la fièvre embrumaient tout, et je ne distinguais plus clairement le rêve de la réalité. Tout en gravant ses mots dans mon cœur, je regardais vaguement sa frange qui frémissait dans la brise.
Moonlight shadow
Malgré la force de l'amour, combien de choses sont restées non dites ! Des choses que nous n'avions ni le cœur, ni les moyens de transmettre, pas plus que la capacité de les recevoir ou de les comprendre.
M'endormir le soir me faisait tellement peur... Ou plutôt, c'était le choc du réveil qui était terrible. Quand je m'éveillais soudain, comprenant où j'étais vraiment, je restais effrayée par les profondes ténèbres qui m'entouraient. Je faisais toujours des rêves en rapport avec Hitoshi. Dans mon sommeil léger et agité, il était là, tour à tour présent ou absent, mais je sentais bien que ce n'étaient que des rêves et qu'en réalité je ne le reverrais plus jamais. Alors, tout en rêvant, je faisais des efforts pour ne pas me réveiller. Je n’arrêtais pas de transpirer, de me tourner et de me retourner dans mon lit. Combien de fois, prise d'un cafard à donner la nausée, n'ai-je pas ouvert vaguement les yeux à l'aube, dans le froid ! Le jour blanchissait de l'autre côté des rideaux, et je me sentais projetée dans le silence d'un temps blême, au souffle étouffé. Tout était si triste, si glacé, que je regrettais de n'être plus dans un songe. Solitude de l'aube où, ne pouvant plus me rendormir, j'étais tourmentée par des réminiscences de rêves. Je me réveillais toujours à ce moment-là. J'avais fini par avoir peur de la fatigue due au manque de sommeil, de ces longues heures passées à attendre seule, au bord de la folie, les première lueurs du jour, et j'avais décidé de me mettre à courir.
Moonlight shadow