Matt Cohen : Ultime entrevue
Dans un bar chic de Lausanne,
Olivier BARROT parle du livre de
Matt COHEN aujourd'hui disparu, "Ultime entrevue"
La procession quotidienne autour des murs de Montpellier pour implorer la pitié de Dieu rassemblait de plus en plus de fidèles malgré la baisse de la population décimée par la peste. Bientôt tous les habitants qui restaient passeraient leur temps à se traîner de l'église au cimetière et retour : il y avait déjà tant d'obédiences diverses à observer que les survivants mourraient sans doute d'avoir fatigué leurs poumons à trop chanter.
p. 192
- La force n'a rien de répréhensible [...]. Y a-t-il au monde un seul pays civilisé qui ait jamais existé sans elle ?
- Peut-être un pays qui recourt à la force n'est-il pas réellement civilisé ?
- Vous êtes amoureux, avait déclaré Joséphine.
Elle ne se trompait peut-être pas : si, être amoureux, c'était penser continuellement à l'aimée, faire un pas en arrière quand on ne désirait rien d'autre qu'en faire un en avant, mourir d'envie d'être touché et craindre en même temps sa propre réaction.
A l'automne 1347, une visiteuse indésirable débarqua en Europe. Elle arrivait, portée par les marins : les uns morts, les autres souffrant de bubons noirâtres aux aisselles et à l'aine, de fièvres, et l'haleine si fétide que même les personnes animées des meilleures intentions à leur égard cédaient à la répulsion. Partie des ports, la Mort Noire balaya l'intérieur des terres. En deux ans, elle avait fait vingt millions de victimes.
- J'attendais le prêtre.
- Quand on en arrive à quelque chose que vous êtes incapables de guérir, vous manifestez une étrange affection pour les prêtres, vous, les médecins.
- Tout le monde a son utilité.
- Écoute-moi, mon cousin. Il n'y a pas dans la vie que les combats à l'épée. En Europe, un nouveau mouvement est né : le désir de rejeter les oeillères des ténèbres, de revenir aux enseignements et à la clarté des temps antiques.
De nouveau, son corps le trahit et il s'endormit. Quand il se réveilla, une lumière argentée miroitait dans sa cellule. Pendant quelques instants, il crut réellement que Dieu Lui-même, voyant son malheur si grand, était venu le consoler. Mais il se rendit vite compte que c'était seulement la première lueur du jour.
(...) les mauvaises nouvelles étaient comme une pluie qui tombait à bonne distance des frontières de son désert personnel.
Tuez-moi (...). Mais ma mort ne changera rien à votre destin. (...)
-Votre récompense, fit Avram en souriant parce qu'une expression qui datait de son enfance à Tolède lui revenait soudain à l'esprit, votre récompense consistera à passer l'éternité les pieds dans un tas de fumier et la tête encastrée dans le trou du cul d'un chameau.
-Ici, à Bologne, avait expliqué Léon, nous vivons un âge nouveau, dont l'Italie et la France ne rêvent même pas encore. La beauté, la divinité de l'âme, voilà tout ce qui nous intéresse : il y a plus d'artistes au travail ici, actuellement, à Bologne, que le monde n'en a connu pendant toute son histoire.