Truffaut et ses scénaristes : sa méthode de travail pour réaliser "Jules et Jim" .
L'exposition "François Truffaut", actuellement à la Cinémathèque française, raconte la méthode de travail du cinéaste pour adapter "Jules et Jim", le roman d'Henri-Pierre Roché au cinéma. Des découpages, des ratures, des notes fulgurantes, Serge Toubiana raconte la fougue avec laquelle Truffaut et son scénariste Jean Gruault ont conçu le scénario de ce film sur la passion amoureuse. Réalisation : Pierrick Allain, Jérémie Couston Télérama.fr octobre 2014 À VOIR François Truffaut jusqu'au 25 janvier 2015 Cinémathèque française 51, rue de Bercy 75012, Paris
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Elle était allée voir un jour un médecin avec sa fille aînée malade. Elle lui dit :
— C’est ma fille unique, docteur…
L’aînée, surprise, mentionna la cadette.
— Alors quoi ? dit le médecin.
— L’autre, c’est ma seconde fille unique, dit Kathe.
Ainsi eut-elle pu dire de ses amours.
Kathe avait dit : « On n’aime tout à fait qu’un moment. » Ce moment revenait toujours.
— Je demande trop aux femmes et je n’obtiens rien.
— Et Magda ? dit Jim.
— Elle voulait me changer et m’adapter à elle. Vous obtenez les femmes, mais elles vous ont.
— Oui, dit Jim, et c’est justice, mais qui possède le plus une femme, celui qui la prend ou celui qui la contemple?
— Ma question sera : racontez, vous, Jim.
— Bien, mais quoi ?
— Peu importe. Racontez, comme vous dites : droit devant vous.
-Ah, lui dit-elle un jour, quand donc cesseras-tu de me donner des échantillons de toi, et me donneras-tu toi tout entier ?
-Ah, dit Jim, quand donc permettras-tu à notre amour de poursuivre sa coulée douce, au lieu de trancher soudain comme le boulanger sa pâte ?
Certains diraient que Jim est un tombeur de femmes. Je dis que c’est un tombé par les femmes. Vous, Gertrude, Odile, vous l’avez choisi avant qu’il ne vous choisisse.
Elle cita :
Alle das Neigen von Herzen zu Herzen
ach wie so eigen schaffet das Schmerzen.
-Traduisez, dit-elle.
-Toutes les inclinations qui vont de coeurs à coeurs, ah ! mon Dieu, mon Dieu ! comme elles créent des douleurs, dit Jim.
Jules dit à Kathe :
-Ta maxime est : dans un couple, il faut que l'un des deux aux moins soit fidèle : l'autre.
Il dit aussi :
-Si l'on aime quelqu'un, on l'aime tel quel. On ne veut pas l'influencer car, si on réussissait, il ne serait plus lui. Il vaut mieux renoncer à l'être que l'on aime que le modifier, en l'apitoyant, ou en le dominant.
Un soir, tard, Kathe pria Jim d'aller lui chercher un livre à l'auberge. Quand il revint la maison dormait. Kathe l'accueillit dans la grande salle à manger rustique, sentant bon le bois ciré.
Elle était vêtue d'un pyjama blanc et avait poudré sa figure lisse. Il l'avait espérée toute la journée.
Elle fut dans ses bras, sur ses genoux, avec une voix profonde. Ce fut leur premier baiser, qui dura le reste de la nuit. Ils ne parlaient pas, ils s'approchaient. Elle se révélait à lui dans toute sa splendeur. Vers l'aurore ils s'atteignirent. Elle avait une expression de jubilation et de curiosité incroyables. Ce contact parfait, le sourire archaïque accru, tout enracinait Jim. Il se releva enchaîné. Les autres femmes n'existaient plus pour lui.
Le temps passait. Le bonheur se raconte mal. Il s'use aussi, sans qu'on perçoive l'usure.