Découvrez l'homme au perroquet vert, le nouveau roman de Myriam Chirousse.
Disponible en librairie
« Votre pied, il a quoi ? »
Maître Simon eut un étrange sourire.
« Celui qu’a forgé mes os était pas bon ferronnier. Je suis né monstrueux. Ou fabuleux, j’dirais.
-Je suis désolé…
– T’y es pour rien. Et puis mon vilain pied de bouc m’a permis d’échapper à la guerre.
-Non, je suis désolé de vous avoir jeté des cailloux quand j’étais petit.
– Bah, ça non plus, t’y es pour rien. Un enfant choisit pas de jeter des cailloux sur un infirme.
– Pourquoi il le fait alors ? Pourquoi je l’ai fait, moi et les autres ? »
Maître Simon acheva son gobelet de café.
« Parce qu’il faut beaucoup grandir dans sa tête pour être libre de ses actes. Et encore, certains le sont jamais. »
Nettoyé des boues de l’hiver, le village revêtait ses parures d’avril. Anémones et géraniums coloraient les jardinières tandis que pâquerettes et pissenlits couraient sur les talus. De jeunes oiseaux voletaient dans les haies, guettés par l’ombre attentive d’un chat. Le ciel étalait son bleu royal sur les toits. L’air embaumait.
(page 55)
L'amitié est un lien curieux. Il se tisse parfois avec la lenteur des dentelles et parfois surgit comme une étoile filante.
- Si tu savais les choses qui peuvent arriver et qui n'arrivent jamais.
- Et toi, si tu savais les choses qui ne devraient jamais arriver et qui arrivent quand même.
Solitaire dans sa masure, une colère sourde grondait en lui. Cette histoire de résurrection n’était que mensonges ; aucun mort ne se relevait du sépulcre, ni les soldats tombés dans les tranchées, ni les héros du cénotaphe, ni ce vagabond crucifié qui se disait fils de Dieu.
(page 54)
Paris, loin d'un vieux dragon assoupi sur sa colline, était en ce temps-là une hydre trépidante.
Ceux qui avaient voyagé au-delà des frontières racontaient volontiers que c'était la ville la plus joyeuse au monde, la plus cultivée, la plus scientifique, la plus sentimentale, la mieux construite, la mieux tempérée par l'alternance des pluies et du soleil, qu'on y riait plus fort et qu'on y chantait mieux qu'ailleurs, qu'on s'y insultait pour un rien et qu'on s'y réconciliait sans raison, que le vin y pleuvait à verse et que la galanterie y fleurissait avec la délicieuse liberté des pâquerettes dans les prés. Mais, si Paris faisait es délices des patriotes américains et des espions anglais, la ville avait tout de même un défaut. Plus que de taille, ils étaient nombreux : c'étaient les Parisiens.
Les jours sont comme des pierres lancées dans un lac. Presque tous sombrent dans l'oubli, mais il arrive parfois que quelques-uns richochent au-dessus de l'eau. Leur souvenir rebondit et perdure en se répercutant. De rebond en rebond, la pierre ne coule pas, défiant l'abîme.
Mais avant ? Avant que jaillisse ce ruisseau maigrelet qu'est la vie de chacun ? Une sorte de tournis me prend quand je pense à ce temps où je n'existais pas. Des siècles et des siècles écoulés avant moi, remplis de saisons et de gens, de famines et de labours, de terres conquises, de corps rongés de maladies, d'inventions merveilleuses ou assassines, de récoltes et de fêtes, de fruits broyés dans les presses, d'empires qui s'effondrent et de villes qui fleurissent au milieu des déserts... Il y eut tout cela avant nous et tant de choses encore. Tant de gens qui sont nés, ont bougé un peu et qui sont morts. Et où étions-nous ? Qu'étions-nous ?
Les heures où la vie perd son sens ne sont que des entractes. C'est signe qu'il reste encore des péripéties à vivre, des scènes à jouer, qu'il y aura encore des pleurs et des joies, que les acteurs doivent remonter sur les planches et de dépêcher, car le décor est déjà planté pour l'acte suivant et les rebondissements ne sont pas terminés.
(...) nous autres mortels, nous passons notre vie hantés par l'effroi d'une seule question : qu'adviendra-t-il de nous après la mort qu'on nous promet ? Où irons-nous quand notre chair sera poussière et nos os un amas de cailloux ? Que serons-nous lorsque nous ne serons plus ? Et le vertige de ce point d'interrogation est si grand, si insupportable, que nous voilà vite enclins à nous inventer des paradis, des mondes au-delà du monde, des vies nouvelles et infinies...