Le narrateur est pompiste. Il est aussi un peu philosophe et un peu romancier. Il est surtout pas mal perché, et donc (irrémé)diablement sympathique.
Il exerce dans une station-service de la périphérie urbaine parisienne qui fait face à un terrain vague, entourée d’un hôtel bon marché et d’une HLM inhabitée promise à la démolition. Dans ce lieu de de ravitaillement et de transit, il voit passer le monde en un ballet de départs et d’arrivées qui drainent des excités et des épuisés, des camionneurs et des automobilistes ivres, des habitués et des clients éphémères. Il y a les parents qui disputent des enfants rendus capricieux par l’abondance de cochonneries, sucrées ou sacrées, que proposent la boutique, des jeunes de banlieue qui viennent siroter un thé glacé…
Principal dealer d’un mode de consommation rapide dont la station-service, "tremplin de tous les instincts", pourrait être l’emblème, il est pour ses clients au mieux un anonyme, au pire transparent, et se demande pourquoi il n’a pas encore été remplacé par un automate.
Il trompe l’ennui en visionnant en boucle des films de série Z, genre qu’il affectionne, en jouant aux dames avec son meilleur ami, et en observant le monde qui l’entoure. Il remarque ainsi que l’immeuble abandonné qui jouxte la station semble abriter des trafics nocturnes et probablement louches, écoute les disputes des clients de l’hôtel.
L’aventure, parfois, survient de manière inattendue, peut se transformer en péripéties vaguement inquiétantes.
Le narrateur, à la fois curieux et débonnaire, quoique un peu craintif, déroule son quotidien et les réflexions qu’il lui inspire en une succession de brefs paragraphes, certains constitués d’une phrase unique aux allures d’aphorisme.
"La Subaru est au prêtre ce que les bas résille sont aux nonnes."
Au fil de ses observations et des bribes de conversations captées par son oreille attentive, il digresse, se pose des questions qu’il dote toutes d’un même degré d’importance, qu’elles soient pratiques, pseudo-sociologiques ou existentielles, qu’il s’agisse de savoir où sont passés les poètes ou de vanter les avantages du radiateur à énergie fluide… En grand sensible, il sait déceler la beauté dans l’anodin ou le supposément laid, faisant entre autres l’éloge de la station-service et de son imagerie – de Tchao Pantin à Bagdad Café-, lieu de tous les possibles.
C’est savoureux, enlevé, et souvent très drôle, pour qui aime comme moi l’humour décalé, flirtant avec l’absurde. A lire !
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