Ce tome regroupe les 11 épisodes de la série, initialement parus sous la forme de 2 tomes en VO.
Tome 1 - Pinciples of power -
Premier tome d'une série débutée en 2014, indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5. le scénario est de
Kyle Higgins et
Alec Siegel.
Rod Reis réalise les dessins (avec l'aide de
Stéphane Perger pour l'épisode 4), l'encrage et la mise en couleurs.
L'action se situe à Chicago en 1962. le récit commence alors que Blaze (Reginald Davis) protège Alderman Lowe de l'attaque de Skylancer (un supercriminel). Ce dernier s'enfuit, mais il est pris en chasse par Arclight (Tom Haydn). Radia (Kathryn Mitchell) se joint à la poursuite et y met un terme final. Dans le cadre d'une autre intervention,
John Pierce constate que des dossiers concernant d'anciennes armes pour l'organisation de
superhéros COWL ont été dérobés et se sont retrouvés entre les mains de supercriminels.
À l'hôtel de ville de Chicago, Geoffrey Warner (ex Grey Raven) négocie avec le maire et ses conseillers pour que COWL reste subventionné par la municipalité. L'enjeu est même plus radical : l'objectif est que la mairie finance COWL, en tant que opérateur de sécurité privé, employant du personnel doté de superpouvoir.
Encore une histoire de
superhéros ! Certes, mais en feuilletant rapidement le tome, le lecteur constate que le dessinateur est sous forte influence de Bill Sienkiewicz, époque Elektra: Assassin. Il s'agit plus que d'un hommage, sans être un plagiat.
Rod Reis a recours à des procédés graphiques qui sont la marque de fabrique de Sienkiewicz, sans pour autant donner l'impression d'une imitation servile et idiote.
Pêle-mêle, le lecteur reconnaît l'usage de la peinture (ici vraisemblablement à l'infographie) pour la trace enflammée des réacteurs d'un jet-pack. Il y a la façon caractéristique de représenter la ville vue du ciel, par le biais des lumières des rues sous formes de lignes jaunes entrecroisées. Quelques visages un peu figés et regardant directement le lecteur évoquent celui de Ken Wind. Comme Sienkiewicz, Reis utilise des modes graphiques très différents (du dessin figuratif détaillé à l'esquisse à gros traits de crayons), en fonction de la nature des séquences.
Rod Reis ne reprend pas l'ironie sous-jacente des images de Sienkiewicz ; ses dessins restent premier degré. Ils n'ont rien de fade pour autant. À chaque séquence, le lecteur a le plaisir de voir l'environnement, de manière à pouvoir s'y projeter, avec un ou deux détails discrets attestant de la période choisie par le scénariste, les années 1960. Les personnages présentent des morphologies normales, sans musculature exagérée, sans poitrine hors échappant aux lois de la biologie et de la gravité. Les postures et les expressions des visages rendent bien compte de l'état d'esprit de chaque individu, sans exagération, de manière naturelle. En particulier, le sérieux déterminé de
John Pierce en impose par son intensité. Reis réussit un portrait tout en nuances et en contradiction de Kathryn Mitchell.
En effet, les scénaristes n'ont pas choisi cette période au hasard, et ils en tirent profit. En particulier les alpha-mâles que sont ces messieurs de COWL considèrent cette femme plus comme un faire valoir que comme un agent utile et efficace. Les dessins montrent à quel point Kathryn a du mal à réfréner l'énervement généré par ces attitudes condescendantes.
L'époque choisie alimente également la situation de cette équipe : Chicago Organized Workers League (en abrégé COWL, c'est-à-dire la cagoule en anglais).
Kyle Higgins et
Alec Siegel posent comme un fait établi que les individus dotés de superpouvoirs existent depuis avant la seconde guerre mondiale et qu'ils sont intervenus courageusement lors de ce conflit, avec l'aide de plusieurs agents sans superpouvoir. Ils ont eu droit à une reconnaissance bien méritée, qui arrive maintenant à sa fin. Fin d'autant plus inéluctable qu'il semble que COWL ait envoyé à l'ombre tous les supercriminels dignes de ce nom, devenant de ce fait inutile.
Geoffrey Warner (le patron de COWL) se trouve en état de faiblesse pour pouvoir négocier le renouvellement de leur contrat avec le maire de Chicago, afin de continuer à être financé par la municipalité pour assurer une mission de police, en tant que prestataires privés. Les auteurs savent installer une atmosphère de suspicion sur les motivations des uns et des autres. Ils montrent par insinuation comment chacun à ses propres convictions, ses propres objectifs. Il n'y a pas de personnage d'un seul tenant, complètement bon ou complètement mauvais.
Derrière l'apparence d'une dichotomie basique entre
superhéros et supercriminels (avec affrontements physiques et décharges d'énergie), Higgins et Siegel montrent des personnages adultes, des enjeux corporatistes, l'obsolescence proche des
superhéros en tant que sauveurs, et une société phallocrate.
Malgré cette approche adulte, à la fois pour la mise en image et le scénario, il manque un petit quelque chose.
Rod Reis a du mal à trouver des mises en scène pour éviter les pages ne comprenant que des têtes en train de parler. La mise en couleurs sophistiquée a parfois du mal à cacher le vide des arrières plans ; il lui manque un peu de panache. Les composantes de l'intrigue sont résolument adultes avec des enjeux complexes reflétant des problèmes réels de société (en particulier une organisation se perpétuant, alors que sa fonction a disparu). Mais au fil des pages, le lecteur se demande si les agissements de Geoffrey Warner ne sont pas un peu trop transparents, un peu trop inspirés par un personnage de Watchmen, avec un objectif beaucoup plus mesquin.
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Tome 2 (épisodes 7 à 11)
Incroyable ! Dans un quartier de Chicago, un homme (Doppler) entre dans une épicerie, exige la caisse, et finit par utiliser ses superpouvoirs contre les gérants, comme le premier supercriminel venu. Pourtant, le maire de Chicago était convaincu qu'il n'y avait plus de supercriminels en activité. Voilà qui risque de peser lourd dans la renégociation du contrat avec COWL (le syndicat des
superhéros de Chicago), alors que justement ils sont en grève.
De son côté, Geoffrey Warner (ex Grey Raven) continue à maintenir le piquet de grève des
superhéros, sans rien lâcher dans la négociation avec le maire. Reginald Davis (Blaze), Tom Haydn (Arclight) et Kathryn Mitchel (Radia) se retrouvent pour assister à l'enlèvement du cadavre de
John Pierce (l'un des membres de COWL) par les services de police. Evelyn Marie Hewitt (l'officier de liaison) de Pierce décide de mener sa propre enquête sur les circonstances de ce meurtre.
Cette deuxième partie reprend là où la première s'était arrêtée en 1962, à Chicago. Dans son introduction Andreyko évoque la série Mad Men comme l'une des références. Certes, les coscénaristes glissent un ou deux détails qui attestent des particularités de la société de l'époque : Valerie Warner qui ne supporte pas d'être l'épouse faire-valoir, les hommes qui boivent de l'alcool avec libéralité, ou encore Kathryn Mitchell (Radia) qui refuse de se laisser cantonner au rôle d'exécutante. de son côté,
Rod Reis fait scintiller l'alcool dans les verres, et montre madame Warner dans une pause très digne, en épouse compréhensive et attentive, mais un peu résignée et humiliée d'être asservie à son époux. Il se montre très impressionnant dans son rôle de costumier, avec des tenues vestimentaires plus authentiques que nature.
Andreyko évoque également des séries policières pour caractériser COWL. Les coscénaristes ont pris un parti un peu risqué. Ils ont dévoilé dès le premier tome les agissements réels de Geoffrey Warner, en coulisse du bras de fer avec le maire Chicago. du coup l'intérêt du récit se déplace de l'intrigue et du suspense (puisque le lecteur sait ce qui se passe vraiment), vers les agissements de Geoffrey Warner et des autres. Tout l'intérêt se reporte sur ces magouilles, sur les choix moraux effectués par Warner et les autres.
Higgins et Siegel déstabilisent le lecteur en enlevant toute possibilité de voir un héros en Geoffrey Warner. Ce dernier monte de toute pièce une menace qui n'existe pas. Il n'hésite pas à utiliser certains
superhéros comme des pions, il méprise les femmes. D'un autre côté, son objectif s'avère finalement justifié, sans compter que l'administration de Chicago traite également ces vétérans comme des pions, pouvant être jetés dès qu'ils n'ont plus d'utilité. de ce fait, l'intérêt principal du récit se trouve dans la réaction des autres personnages.
Les coscénaristes prennent le risquent de neutraliser le suspense lié aux combats, de rendre la plupart de leurs personnages antipathiques, et de déplacer l'enjeu de la grève, vers autre chose. Il faut pouvoir prendre un peu de recul pour se rendre compte que le plus déstabilisant est que ces personnages ne sont pas des héros. le lecteur accepte qu'ils aient un passé de
superhéros pendant la seconde guerre mondiale, mais les individus qu'il a sous les yeux ont perdu leurs principes et leurs valeurs morales. Que reste-t-il ?
Pour commencer, il reste une approche cynique mais pragmatique sur les
superhéros. Ils ont su tirer parti (sous forme d'un emploi prestigieux) de leurs hauts faits pendant la guerre. Leur utilité n'étant plus manifeste, ils doivent choisir que faire. Finalement Geoffrey Warner fait le nécessaire pour pérenniser une structure qui n'a plus lieu d'être. C'est indéfendable d'un point de vue moral ; c'est compréhensible et presque louable dans la mesure où il assure la sécurité matérielle de ses collègues (et aussi la sienne). le lecteur observe alors ce que font les autres
superhéros, comment ils concilient leurs valeurs avec l'évolution de la situation, et ce qu'ils en savent (pas grand-chose, ou tout). Il apparaît alors que le thème principal du récit est celui de l'héroïsme, du courage et des valeurs morales.
Rod Reis avait fait une forte impression dans le premier tome, en utilisant avec adresse les techniques graphiques de Bill Sienkiewicz dans Elektra: Assassin. En fonction des séquences, il peut s'agir d'un lettrage intégré aux dessins, d'un visage ou d'un buste dessiné façon gravure de mode, de traits de crayon qui viennent griffer une case, ou d'un mur de briques d'un photoréalisme saisissant. L'impression de lire un comics à la manière de Sienkiewicz s'estompe dans ce deuxième tome, car Reis emprunte aussi un peu à
Phil Noto, pour aboutir à une approche plus personnelle.
Les conversations restent le point faible de cet artiste. Il sait représenter des expressions variées et adaptées pour les visages. Par contre, il se contente souvent d'alterner champ et contrechamp pour toute mise en scène. C'est là le seul de ses points faibles, car pour le reste il crée des visuels mémorables. Il utilise avec parcimonie les exagérations, essentiellement cantonnées aux séquences où les
superhéros utilisent leurs pouvoirs, soulignant ainsi leur dimension plus grande que nature.
Dans la scène d'ouverture, le lecteur voit donc ce supercriminel exiger d'un couple de propriétaires de superette de lui remettre la caisse. Devant leur refus, il utilise ses pouvoirs et
Rod Reis intègre de grosses lettres peintes à même le dessin pour montrer le bar
ouf ainsi généré. Il dessine les bordures de case de travers pour rendre compte de la force des impacts. Un peu plus tard Tom Hayden (Arclight) est en train de s'arsouiller consciencieusement dans un bar, et Reis utilise la couleur rouge pour montrer l'état d'esprit fiévreux du personnage, ainsi que son isolement total par rapport au reste des clients.
La scène d'enterrement de
John Pierce reste dans les esprits, par le jeu des acteurs. Par le biais des expressions des visages, l'artiste montre que la veuve n'est pas dupe des condoléances qu'elle reçoit de certaines personnes. Tout est dit par les images, sans que les coscénaristes n'aient besoin d'ajouter un mot, ou une pensée. Dans la même séquence, Reis tente un découpage régulièrement utilisé par Sienkiewicz dans "Big numbers" : une unique image découpée en 9 cases (3*3) pour imprimer un rythme à la lecture. C'est un découpage très artificiel, qui semble souvent totalement superflu lorsqu'il est utilisé (le lecteur ne voyant pas l'intérêt du découpage, par rapport à la solution qui consiste à laisser l'image d'un seul tenant). Ici Reis réussit sa composition, guidant le lecteur dans l'ordre des phylactères, et montrant à quel point le personnage au centre de la composition est encerclé par la foule.
La scène d'ouverture de l'épisode 4 constitue également un tour de force graphique. Un individu avec des superpouvoirs s'en prend à un homme de main, alors que son collègue ne les voit pas, qu'il entend juste les propos du supercriminel, ainsi que les bruits correspondant aux coups portés. À nouveau,
Rod Reis conçoit un découpage d'une efficacité terrifiante pour rendre compte de l'horreur éprouvée par le témoin, amplifiée par un recours à un lettrage s'apparentant autant à des lettres qu'à des éléments visuels.
En cours de lecture, cette deuxième partie déconcerte. Les coscénaristes sabordent eux-mêmes le suspense de leur intrigue en confirmant le pot aux roses, déjà évoqué dans la première partie. L'utilisation de superpouvoirs reste au second plan, la plupart des personnages se comportent en appliquant la maxime de
Nicolas Machiavel : la fin justifie les moyens. Il n'y a donc pas de héros à proprement parler, mais une situation polémique, où plusieurs groupes d'intérêt essayent de défendre leur point de vue et leur avenir, comme des adultes. Ce n'est qu'une fois le dernier épisode terminé, que le lecteur prend conscience que le thème est bien celui de l'héroïsme (ou au moins du courage) appliqué à des individus qui ne peuvent plus se targuer de hauts faits. Les pages de Rod Reis restent influencées par Bill Sienkiewicz, et par un ou deux autres artistes, ce qui lui permet de s'émanciper en douceur de l'ombre tutélaire de Sienkiewicz pour acquérir plus de personnalité. 4 étoiles pour un lecteur attaché à l'intrigue, 5 étoiles pour un lecteur plus sensible au dilemme moral.