Les « déshumains », ce 3è tome des chroniques de la cité monde, est à
la hauteur des deux autres (
Criminodroïdes, la machine à fabriquer du
silence) pour une saga qui creuse avec force et talent son sillon dans
le milieu de la SF.
Dans cette dystopie, Smog, un flic décide de libérer S'hin, une
andropute, de son fonctionnement au sein du système et de la traiter
en androïde libre (tome1) ; rapidement elle décide d'aider l'enquêteur
dans la résolution d'énigmes criminelles. Un intelligent jeu de
miroirs s'opère dans toute la série, entre la vue « humaine » que
porte sur le monde le flic blasé enrichi par des années de police, et
celle plus « mécanique » mais aussi « utilitariste » du robot qui
cherche malgré tout à comprendre les hommes pour mieux les aider ; or,
nos contradictions sont légion.
Dans ce 3è tome, je préfère vous le dire tout de suite, l'auteur aime
prendre de la hauteur sur les utopies pour nous ouvrir les yeux, en
rappelant les principes fondamentaux du fonctionnement de l'humanité
comme « L'homme est une marchandise pour l'homme et l'enfant un
produit de choix ». Et il faut dire que le monde peint par l'auteur ne
nous épargne pas. Des Méga villes, un système qui a uniformisé chacun
dans sa classe sociale sans espoir d'évolution, des ghettos, des gangs
sanguinaires, les ravages du megaspeed , des hommes riches qui ont
besoin d'assouvir leurs pulsions de chasseurs, l'économie du loisir
qui s'assure de vous abrutir pour que vous restiez un consommateur
décérébré ou un complotiste paranoïaque, ou encore des politiques
avides et cyniques qui font leur marché chez des enfants… sans en dire
plus.
Ce qui me plait dans cette saga, c'est la réflexion et l'évolution de
S'hin une fois qu'elle est libre. Si les motivations humaines sont
souvent d'un « égocentrisme médiocre » comme le rappelle Smog, habitué
à ses congénères après des années de police, l'androïde, elle, ne
cesse de surprendre le Lieutenant dans son apprentissage pour mieux
aider ses voisins humains. Loin des stéréotypes de l'IA diabolique qui
va tous nous réduire en esclavage une fois qu'elle sera en fonction
(j'allais dire « sur pied »), S'hin, elle, a bien une rapidité de
calcul et d'analyse incroyables, mais garde une certaine candeur dans
son besoin de communiquer et d'interagir comme robot libre avec les
hommes. Elle est, vous l'aurez compris, la plus humaine de tous les
personnages de cette dystopie, comme une nouvelle Eve, ayant pour
tuteur blasé mais secrètement amoureux Smog, qui a retrouvé une raison
de vivre en suivant l'évolution du robot para humain vers une nouvelle
humanité. La littérature est pleine de ces duos où l'autre (le bon
sauvage, ici le robot) nous ouvre les yeux sur les incohérences de
notre monde, pour nous montrer à quel point nous avons perdu notre
innocence et notre vertu ; on pense aux lettres persanes, ou encore à
Queequeg de Moby Dick, ce harponneur amérindien plein de courage, de
bon sens et de simplicité. S'hin, elle, n'a aucune espèce de violence
dans ses systèmes de fonctionnement, elle ne peut que se défendre
contre des hommes à la cruauté acérée, vous frissonnez pour elle,
quand elle s'enfuit, s'échappe, pour qu'elle ne se désagrège pas, pour
qu'on puisse la reconstruire, parce que le livre vous offre sa dose de
suspense et d'action.
La saga de Fabrice Defferrad est donc un divertissement qui fait
réfléchir, avec cette vision sociologique, philosophique et économique
du futur qui font les charmes de la dystopie. Elle ne donne pas envie
de vivre dans quelques centaines d'années, mais met en lumière nos
travers contemporains, avec ce plaisir de suivre S'hin, la seule qui
semble avoir des qualités humaines, alors comme moi, prenez plaisir à
suivre cette androïde lumineuse dans les ténèbres de l'humanité.