Gérard Landrot a récidivé, mais un peu plus au nord cette fois. L'auteur épatant de «
Tout autour des halles quand finissait la nuit » nous convie dans ce second roman à respirer le Montmartre du tout début vingtième.
Pur régal littéraire. Argot retravaillé (certains y sont réfractaires, mais serait-il absent, le roman y perdrait tant !) fourmillement d'anecdotes et précisions… Tiens, saviez-vous qu'un « fabricant d'os de jambonneau » était un honorable gagne-pain qui consistait à consigner l'os dudit jambonneau et, lorsque le dîneur le rapportait, à le « recharger » avec une viande qui était rarement de porc ? Moi non, et vous non plus sans doute. Notez que je n'affirme rien, je ne vous insulte nullement, mais je suppose. Enfin, ça vous fait au moins une raison de dévorer ce bouquin, pas vrai ? Parce que des précisions de cet ordre, il y en a à la pelle, et qu'elles vous enrichiront l'intellect, voilà pourquoi !
On suit un nommé Eugène dans ce bouquin, Eugène le furet. Ah oui, un « furet » c'était (c'est sans doute encore) un type qui pilote des étrangers (riches, évidemment, à cette époque les étrangers) dans le Paris des cloaques. Quant on a presque tout vu, quoi de plus réjouissant, de plus instructif, de plus érotique que d'assister à la dissection d'une jeune suicidée ou d'un clochard, hein ? Canal Plus peut aller se rhabiller ! Eh bien c'est cela un « furet », celui qui va vous permettre d'assister à ce genre de spectacle. Cher et pas donné au premier venu. Patte blanche et max fafiots exigés.
« Furet », n'était pas la vocation vraie de vraie d'Eugène. Parce que du talent, il en a. Qui qu'a refait à l'identique la baignoire de cuivre commandée en son temps par le Prince de Galles, désormais Roi d'Angleterre, baignoire qu'est l'orgueil du « Chabanais », récipient délicieux traditionnellement rempli au Champagne et surtout pas à l'eau ? Eugène, pardi ! Allez donc les frapper, vous, les 600.000 coups de marteau nécessaires !
Ici, parenthèse. Si le « Chabanais » n'évoque rien pour vous, passez votre chemin, ouste !, vous n'êtes pas digne de continuer.
Puisque vous me suivez toujours et que n'ignorez donc point que notre « Chabanais » national était au bordel ce que Rolls Royce est toujours à la bagnole, sachez donc qu'Eugène se verra découvrir par un galeriste astucieux et flairard un autre talent : il peint, et bien. A la fin, couvert d'honneurs et à l'aise, il perd cette petite flamme qui le rendait attachant.
Bon, je ne vous ai entretenu que d'Eugène, mais ce n'est pas le personnage que je préfère. Vieux gars, Fifine, et Confetti ont mes préférences. Plus bruts, plus sympathiques que cet Eugène qui a infiniment de chance d'avoir de la chance.
Je soupçonne toujours
Gérard Landrot d'avoir romancé une histoire vraie. C'était pour moi évident dans «
Tout autour des Halles quand finissait la nuit », et ce ressenti demeure. Mais il ne faut jurer de rien… Mystère, mystère.
Lisez ce bouquin, vous vous en trouverez très bien, croyez-moi ! Et si vous l'aimez, ce qui ne fait aucun doute, et que vous n'ayez pas encore lu «
Tout autour des Halles quand finissait la nuit », profitez-en pour réparer au plus vite cette horrible lacune.
N.b. : le « Chabanais » n'existe plus, l'Armée du Salut, toujours. Quand on vous dit que le monde est en progrès constant…