Entre Juillet 1966 et Janvier 1967, Morton Feldman et John Cage conversèrent en public pour la radio WBAI. Ces Radio Happenings sont les retranscriptions* de ces conversations telles qu'elles eurent lieu.
Morty, comme l'appelle Cage, et John parlent évidemment de musique - de leur musique, de celles de grands maîtres comme Mozart et Bach et aussi de celles de leurs contemporains comme Varèse, Boulez, Stockhausen, de Webern, de Schönberg - mais également de la réaction à la Guerre du Vietnam (et un tout petit peu à celle d'Algérie), d'éducation, de littérature - ils évoquent Mallarmé, René Char et Walt Whitman entre autres -, d'économie et d'autres sujets avec une grande érudition mais sans qu'ils ne soient jamais pédants.
Et surtout ils rient souvent. On ressent, comme le souligne Christian Wolff dans sa préface, que Cage et Feldman ont pris beaucoup de plaisir à ces conversations. De cette complicité et de cette amitié se dégagent une forte intensité et pour nous un grand plaisir de lecture.
* et, comme d'habitude avec Allia, c'est parfaitement édité.
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J.C. - Tu veux dire les vagues ? Ou qu'est ce que tu veux dire ?
M.F. - Nous nous y attendons.
J.C. - En fait, nous ne pourrions pas vivre sans elles.
M.F. - Retour à l'impermanence.
J.C. - Ou l'océan ne pourrait pas vivre sans elles. L'océan ne serait pas l'océan sans elles. Je suis en train de lire quelque chose que j'ai reçu par la poste d'un psychologue comportementalisme de La Jolla en Californie, Richard Farson. Et il dit, vers le début, que nous avons l'habitude de nous installer, disons, dans un changement que nous avons provoqué et qu'il y a une période durant laquelle nous pouvons, pour ainsi dire, nous adapter à ce changement, mais il devient évident que nous allons vivre dans une situation qui, elle-même, pour ainsi dire, change. Il fait une autre remarque très intéressante dans cet article pour payer cette idée : à peu près 90% des scientifiques qui ont jamais vécu sur cette terre sont en ce moment même en vie? N'est-ce pas intéressant ?
M.F. - Tu veux dire qu'il y a un tel afflux de scientifiques ?
J.C. - C'est le monde dans lequel nous vivons. C'est une période au cours de laquelle les changements impliqués par cette activité de recherche, la technologie et tout le reste produisent, eh bien, ces postes de radio, etc.
M.F. - Oh, on pourrait presque dire alors que 90% des artistes ne sont plus en vie.
J.C. - Oh, ceux qui sont plongés dans leurs pensées, probablement. Ouais.
M.F. - Tu sais, il y a une histoire terrifiante où , dans une école réputée, dans un séminaire lui-même réputé, un séminaire pour diplômés, un jeune compositeur présente sa pièce et son professeur, un compositeur mondialement connu, lui dit de la changer. Et l'étudiant dit - ce n'était pas vraiment un étudiant, mais un jeune compositeur - : "Mais je l'entends comme ça". Et son professeur dit : "Vous êtes ici pour changer votre façon d'écouter."
J.C. - Qui était-ce ? As-tu dit qui c'était ?
M.F. - Non, je ne l'ai pas dit.
J.C. - Tu ne l'as pas dit. C'est très curieux. Ca pourrait... Tu sais, si je connaissais les circonstances, je saurais quel parti prendre. Je dirais si je suis d'accord avec le professeur. Il est certain que personne ne veut entendre d'une manière fixe, ni l'un ni l'autre. J'aimerais que mes oreilles puissent me faire entendre ce qu'il y a à entendre (il rit).
M.F. - Je dois la recopier. Je lui ai donné la seule partition. Je n'étais pas sûr de la pièce. En fait, quand ils m'ont demandé une pièce pour le programme, j'a dit : "Eh bien, il y a la possibilité d'une pièce pour guitare électrique", et c'est cela qu'ils ont écrit dans le programme : "Possibilité d'une pièce pour guitare électrique." (Il rit.)
M. F. - Connais-tu cette histoire ? Le frère de Beethoven lui a écrit une lettre et en bas, il a signé "Propriétaire de biens" et Beethoven lui a répondu et en bas, sous Ludwig van Beethoven, il a écrit : "Propriétaire d'un cerveau".
J. C. - Eh bien, je crois que nous avons besoin de ceux qui... (silence) transforment...
M. F. - ... notre écoute tout comme notre esprit.
Et observez comment cette installation se fait l'écho de l'oeuvre de Gertrude Stein. Son travail a effectivement influencé la scène d'avant-garde new-yorkaise dès les années 1960, dont le mouvement "Fluxus" rejoint par Nam June Paik avec le compositeur John Cage.
#Expogertrudestein L'invention du langage
Jusqu'au 28 janvier 2024
@museeduluxembourg, Paris
Infos et réservations bit.ly/BilletterieStein
Nam June Paik (Fluxus), Gertrude Stein, 1990, 249 × 196 × 94 cm © Courtesy James Cohan Gallery, New York © Nam June Paik Estate
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