«Il avait eu deux histoires. L'une à lui seul, personne ne la connaissait. L'autre contée par le grand-père. Après, il ne lui en est plus resté aucune. Et c'est de cela qu'il va s'agir
. Cette année-là, il avait eu sept ans, il allait vers sa huitième année.» Ainsi débute «
Il fut un blanc navire» de Aïtmatov.
Le meilleur des grand-pères, grand père Mômoun va acheter un cartable à son petit-fils à la boutique ambulante qui venait parfois visiter les trois familles vivant au poste de Sân-Tach à la frontière du kazakhstan, au nord-est du lac Issyk-Koul. Ce cartable tout à fait ordinaire est extraordinaire pour l'enfant seul abandonné par ses parents que le «Preste Mômoun» va bientôt accompagner à l'école.
«La dure et lourde paume de grand-père se posa sur la tête du petit garçon. Brusquement, celui-ci sentit sa gorge se serrer, il prit conscience de la maigreur du vieillard, de l'odeur familière de ses vêtements. Une odeur de foin sec et de sueur d'homme habitué au travail. Il était fidèle, solide, c'était son grand-père. le seul être au monde, peut-être, qui l'aimât plus que son âme était ce vieillard simplet et un peu braque que les malins avaient surnommé le Preste Mômoun... Et après ? Qu'il soit comme on veut, c'était quand même bien d'avoir un grand-père à soi.»
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L'histoire de l'enfant celle qui est à lui seul, c'est celle qu'il s'est inventée quand il monte comme tous les soirs sur la colline du guet d'où il peut voir ce qui se passe au poste mais aussi tous les sommets environnant grâce aux jumelles du grand-père et même apercevoir dans le lointain, à la marge extrême du regard le lac Issyk-Koul.
L'enfant se rêve alors poisson pour rejoindre le blanc navire qu'il voit apparaître dans les jumelles, glissant sur l'eau bleue du lac, sur lequel il imagine son papa matelot et ses retrouvailles avec ce père rêvé.
L'enfant personnifie toute la nature autour de lui, il nomme les rochers, leur parle et les fait parler, de même pour les arbres, il parle aussi à son cartable. Il remodèle la réalité au gré de sa fantaisie.
Il est aussi imprégné des légendes que lui a conté son grand-père, en particulier celle fondatrice de la Mère des Mârals à la Belle Ramure que les Kirghiz considère comme la mère de leur peuple. Ces légendes relient à la terre, à la nature environnante et font naître le sacré, sont le terreau des croyances ancestrales qui donnent le respect de la vie sous toutes ses formes et de son mystère. Les anciens, comme le grand-père, en sont les gardiens.
Mais leur vie est empoisonnée par l'oncle Orozkoul marié à la tante Békéi, fille du grand-père. Comme la plupart de ses semblables il ne respecte plus rien, ni la nature, ni les hommes, il n'est que mépris et amertume, ne croit plus en rien... Il abat les plus beaux arbres, il frappe sa femme et n'a aucun respect pour le vénérable grand-père et encore moins pour les légendes....
Je ne peux rien dire de plus, seulement que j'ai encore plus aimé «
Il fut un blanc navire» que «
Djamilia».
Ce récit est plein de sensibilité que ce soit pour évoquer les êtres mais aussi pour rendre hommage à la beauté de la nature attaquée par l'homme qui s'en est détourné.