Une très courte nouvelle, disponible uniquement en ebook, le prix n'étant pas bien élevé. On en trouve trace sur heidoc.net, il est donc probablement périodiquement gratuit. Cela donne une bonne idée de l'oeuvre d'Alscher dont je suis en train de lire en allemand une anthologie de nouvelles. Il s'agit d'un écrivain roumain très proche de la nature, qui a vécu longtemps dans une vallée isolée près d'Orşova. Pas en ermite : il a eu deux femmes et de nombreux enfants. Il a beaucoup chassé et ses livres racontent essentiellement ses aventures dans les montagnes roumaines et celles des gens qu'il a croisés (plus qu'on ne pourrait penser). La réflexion (Alscher était aussi pacifiste, ancien combattant et est mort dans un camp d'internement géré par l'Armée rouge) reste souvent discrète, subtile, dans le non-dit. Sa vie rend en quelque sorte hommage à l'individu (sans capital, je vous vois venir).
Un auteur injustement oublié de plus. Plus je m'y intéresse et plus la conscience progresse que, pour utiliser un euphémisme, ils sont nombreux.
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Merci à Gabrielle Danoux qui nous fait découvrir ce texte en le traduisant. Petit bémol, celui-ci est bien trop court tant on veut continuer à lire cette démesure du travail, routinier, aliénant, en espérant? le progrès... En attendant, une belle nature est mise en avant, mêlée à la complexité d'un monde prolétaire.
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Les heures passent sans qu’on s’en aperçoive, car le travail heureux est hors du temps. Le soleil perçant se pose dans le feuillage des vieux chênes plus haut sur le versant, des tourterelles y montent au-dessus de la frondaison, se balancent dans la haute lumière, roucoulent à chaque secousse, battent bruyamment des ailes et repartent en plongeant dans la couverture de feuillage.
Le corps détendu donne des ailes à la pensée, des formes montent, des hommes et des animaux, la forêt vierge murmure de toutes les expériences vécues hier et peut-être demain, cette volonté palpitante de proximité de la nature, qui m'a toujours été fidèle, même au cœur des mécanismes les plus bruyants des grandes villes, me stimule.
Otto Alscher est né le 8 janvier 1880, en Autriche-Hongrie à l’époque et mort le 29 décembre 1944, dans le camp d’internement de Târgu Jiu, tenu par l’Armée rouge, la Roumanie étant à ce moment en guerre avec l’Allemagne. On ne sait pas trop dans quelles conditions ni même pourquoi Alscher fut arrêté, si ce n’est que beaucoup de membres de la minorité germanophone connurent le même sort. On sait peu de choses de sa biographie. Son père était photographe itinérant et s’est fixé avec sa famille à Orșova. En 1905, Otto Alscher se construisit une maison dans une vallée boisée à proximité d’Orșova, à un kilomètre du voisin le plus proche. Il chassait dans la montagne et cultivait son jardin. En 1904, il s’était marié à une institutrice, avec laquelle il eut trois enfants. Des problèmes financiers le poussèrent régulièrement à chercher du travail à Belgrade, Budapest ou Timișoara, notamment à travailler dans des journaux. À la fin de sa vie, seul l’héritage du studio de photographie de son père lui permit de retourner vivre dans sa maison près d’Orșova. On sait aussi qu’il était favorable à la première guerre mondiale puis, mobilisé et atteint de malaria, il devint pacifiste et prit position pour le rattachement du Banat à la Roumanie.
Son œuvre reste assez singulière : au-delà des descriptions de la nature et des animaux, inhabituelles dans la littérature roumaine, malgré une nature omniprésente dans certaines régions, Alscher dénonce l’aliénation de l’homme par la culture du confort. Il fait également partie de ces grands écrivains solitaires, pour ne pas dire maudits, jamais en mesure de vivre de leurs œuvres, souvent en difficultés, notamment financières, mais aussi avec les autorités et qui finissent même par en mourir. Pas de longues lamentations, néanmoins, de créatures fantastiques, mais la description simple de situations quotidiennes. Autant d’allégories qu’Alscher amène souvent du fond de l’inconnu : peu d’êtres humains exploraient les forêts et montagnes dans lesquelles il chassait couramment. Le lecteur se sent toujours en terrain connu (tout est vrai, disait de ses histoires sa fille Erika), même la mort paraît normale : ne cheminons-nous pas en compagnie d’un chasseur ? Dans son désir de vivre seul près de la nature, Alscher voyage au fond de l’inconnu pour nous protéger du nouveau.
Est-ce là l’aurore ? De la haute prairie de l’autre côté provient le trille clair et frais des alouettes hausse-col, un rossignol sanglote, fatigué de la nuit, trois ou quatre fois, puis il s’interrompt et de nouveau l’âpre air de la forêt pénètre par la fenêtre d’une froide caresse.