Elle, sur qui on veille, c'est une statue mystérieuse dont on ne saura rien jusqu'aux dernières pages de ce roman foisonnant de presque 600 pages. Ce roman qui dépeint, sur une fresque historique, le fabuleux destin de deux personnages qui n'auraient jamais dû se rencontrer
Le conteur, c'est Michelangelo Vitaliani, surnommé Mimo. Retiré à la Sacra, il va mourir au terme de quarante ans d'oubli dans cette abbaye du Piémont qui l'a accueilli.
« Il fait partie du lieu, aussi sûrement que le cloître, ses colonnes, ses chapiteaux romans, dont l'état de conservation doit beaucoup à son talent »
Mimo a vu le jour en France de parents italiens. « C'è un piccolo problema » dira de lui l'accoucheuse. « Tout tenait à ce mot, piccolo, il fut évident à qui me voyait que je resterais plus ou moins piccolo tout ma vie ». Son nanisme va faire de lui quelqu'un de différent, souvent moqué, maltraité, mais cette différence lui donnera l'obstination, la volonté de sculpter la pierre.
Son destin va basculer le jour où il arrive à Pietra d'Alba, chez Zio Aberto, un vieil ivrogne sensé lui apprendre le métier mais qui jalouse le talent précoce du « nabot ». Mimo se fait remarquer par le prêtre de l'église. Et, lors d'une réfection d'un toit dans la riche demeure des Orsini, c'est la rencontre fortuite avec Viola, la jeune fille noble. Tout de suite s'installe une amitié secrète entre les deux enfants- ils ont treize ans- que leur différence rapproche.
Viola, c'est cette fille androgyne qui rêve de voler et d'être indépendante comme les hommes. Elle est d'une rare intelligence mais, hélas, son destin de jeune fille de la noblesse la prédestine au mariage et à l'obéissance.
Ces deux-là, aussi disparates que possibles, vont se lier d'une amitié indéfectible malgré les disputes et les désaccords. Viola va éduquer le garçon inculte et Mimo va veiller sur son amie.
Jean-Baptiste Andréa nous offre là deux personnages follement romanesques, qui nous font traverser une Italie en proie à la première guerre mondiale puis au fascisme. Il raconte les croyances d'un peuple naïf qui prête à la jeune fille trop originale pour son époque, des pouvoirs de métamorphose.
Il nous fait découvrir le talent précoce de Mimo qui taille dans le marbre une ourse.
De son amour impossible pour Viola, Mimo saura trouver la passion de la création. L'attirance mutuelle de ces deux êtres marqués par leurs différences est émouvante. Si elle n'est pas exempte de heurts et de différents, elle se transcende sans cesse. A la fin de sa vie, Mimo reconnaitra l'influence de Viola sur sa propre destinée :
« Il m'a fallu quatre-vingt-deux ans, huit décennies de mauvaise foi, et une longue agonie, avant de reconnaitre ce que je savais déjà. Il n'y a pas de Mimo Vitaliani sans Viola Orsini. Mais il y a Viola Orsini, sans besoin de personne. »
Il y a bien sûr, bien d'autres choses dans ce roman, comme la genèse d'une oeuvre de pierre à jamais mystérieuse et dont l'étrangeté ne sera révélée qu'à la toute fin du roman, mais ce qui m'a bouleversée, c'est cette rencontre improbable entre deux êtres qui vont se reconnaitre à travers leur singularité et leur volonté de réaliser leurs rêves.
Un roman bouleversant et follement romanesque qui me poursuivra longtemps.