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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En regardant le titre de ce livre, je me suis fait la réflexion que stupeur est un mot rare, que j'emploie très peu.
Ce mot ne va pas me quitter pas pendant ma lecture. J'éprouve ce sentiment d'incrédulité sidérée, cauchemardesque, à chaque page.

Il y a la stupeur d'Irina, que je partage, quand elle découvre un matin, par sa fenêtre, ses voisins juifs, les Katz, un couple et leurs deux filles, alignés à genoux devant leur maison, l'épicerie du village.

Il y a la mienne, quand Irina, après s'être un peu offusquée de cette situation auprès du gendarme qui garde la famille agenouillée, rentre chez elle, prépare le repas de son mari, réfléchit à son envie de le quitter, retourne interroger l'une des jeunes filles agenouillées, infirmière, sur les migraines dont elle, Irina, souffre, repart chez elle et enchaîne les heures et la nuit suivante, comme d'habitude, alors que ses voisins sont toujours dans la même situation : alignés, agenouillés ou assis, devant leur maison, avec interdiction de bouger. Irina, apitoyée mais à peine concernée.

La mienne encore, quand les gens du village, dans les heures qui suivent, pillent le magasin et la maison des Katz, en toute impunité, sans se cacher d'eux toujours douloureusement immobilisés devant leur porte, en affirmant haut et fort qu'ils ont assez enrichi le commerce de cette famille pour avoir maintenant le droit de prendre…

La mienne toujours, en lisant les échanges d'Irina avec des voisins ou des gens de rencontre, d'un antisémitisme primaire et tranquillement revendiqué.
« Les Juifs nous prennent tout. Ce n'est pas sans raison que Dieu les hait, siffla la femme avec une moue.
- Chez nous, on les a tués, dit Iréna, effrayée par sa propre voix.
- En apparence.
- Ils ont réellement été assassinés.
- Vous les chassez de là et ils ressurgissent derrière la haie. On ne peut pas éliminer de telles créatures. Ma maison est pleine de papier collant accroché aux murs. Est-ce que les mouches ont été exterminées pour autant ? » conclut la femme volubile… »

Et enfin la stupeur que j'imagine de l'auteur, se voyant rapporter ces scènes tellement hallucinantes de cruauté que je ne peux croire qu'il les ait inventées pour le besoin du livre. Sa stupeur d'avoir à décrire, narrer cette bassesse humaine, quotidienne, ancrée, et presque anecdotique si les conséquences n'en étaient terrifiantes. Stupeur, étape qui précède celle de la honte, dont parle Primo Levi qui n'a jamais pu s'en défaire : celle d'appartenir au même genre humain que les bourreaux.

Les scènes de violences contre ses voisins, ont un effet décalé sur Irina. Leurs souvenirs vont la hanter, et, les violences de son mari lui étant devenues insupportables depuis longtemps, elle quitte son village. Commence alors une errance étrange, scandée par des rêves, des hallucinations, qui l'amènent à des manifestations publiques de mysticisme : « Jésus était juif. Son père et sa mère étaient juifs. Maintenant que nos Juifs ont été assassinés, le corps de Jésus souffre plus encore »
Déclarations diversement accueillies… Les hommes la traitent de sorcière. Seules des femmes, de plus en plus nombreuses, s'y montrent sensibles.

Ce qu'Aharon Appelfeld a voulu écrire dans ces cent dernières pages, celles du cheminement sans but précis d'Irina, mais plein de ses convictions religieuses obsédantes, comment le savoir ? Peut-être l'espoir que ce qui a été perpétré taraude les mémoires et les consciences. Peut-être aussi celui que les hommes, juifs et chrétiens, sachent voir et entendre que leurs croyances ont la même origine, et que rien ne les distingue aux yeux d'un éventuel être suprême : « (Jésus) ne s'est pas converti. Ce sont les autres qui se sont convertis. Lui était juif et l'est demeuré ».

Si ce livre doit rester un grand livre pour moi, ce sera pour sa première partie. Je ne pourrai rencontrer de nouveau le mot « stupeur », sans penser à Aharon Appelfeld.
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Différent des livres déjà lus de cet auteur que j'apprécie autant que son amie et traductrice Valérie Zenatti. Quelque part dans les Carpates (Ukraine?), une jeune femme, régulièrement violée et brutalisée par son mari, souffre de maux de tête de plus en plus violents; elle est stérile ce qui provoque la colère d'Anton et de la famille. Les voisins tiennent une petite épicerie: le père muet depuis le typhus, la mère et ses deux filles dont l'une est retardée et l'autre est en passe de devenir infirmière. Ils sont juifs à un moment où on les extermine partout.
Là après deux jours de mauvais traitements et le creusement d'une fosse, ils sont fusillés. Irena a tenté de les aider mais n'a pas assisté à la fin.
Prise de stupeur, elle fuit les fantômes et son mari: elle part dans la montagne pour retrouver une tante qui vit dans son monde et le Vieux qui est un peu sorcier mais qui aide ceux qui le lui demandent.
Elle déambule de village en village clamant que Jésus était juif ainsi que les siens et que le massacre actuel des juifs est un horreur.
Les hommes s'insurgent comme le curé tandis que certaines femmes l'écoutent et l'aident. Jean-Baptiste parle par sa bouche et cette petite paysanne en est elle-même toute étonnée. Elle ainsi que les autres hommes et femmes marchent à l'alcool, tout le monde est ivre.
J'ai préféré Histoire d'une vie et les deux livres jeunesse; ce livre rejoint la chambre de Mariana qui m'avait aussi déconcertée.45 livres ont été écrits et Valérie Zenatti les traduit peu à peu, pendant des années en complicité avec celui qui a appris l'hébreu pour écrire, et maintenant seule depuis la mort d'Aharon Appelfeld en 2018.

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« La stupeur » est publié en 2017, Aaron Appelfeld meurt un an plus tard, il écrit ce texte au terme d'une vie marquée à jamais par les crimes nazis perpétrés pendant la seconde guerre mondiale. le texte n'a pas vocation à témoigner, il n'a rien d'un texte à portée historique, le propos de l'auteur se situe ailleurs, dans une grande distance aux faits, et en même temps au plus près du crime, dans sa réalité crue. Au fil du drame évoqué, il touche à ce que les crimes de masse portent en eux de condamnation sans appel de l'humanité. Ainsi construit-il un récit qui emprunte aux tragédies grecques leur portée universelle, dans une trame simple tissée au plus près des femmes et des hommes qui en sont les acteurs, dans une échelle minimaliste transcendée par la réflexion qu'il fait naître chez le lecteur.
Le récit se déroule comme une fable intemporelle : les Allemands qui ordonnent l'exécution des juifs sont invisibles, aucun bruit de bottes, aucun mouvement d'armée, seulement des hommes qui tuent d'autres hommes, des femmes, des enfants et face au crime, des spectateurs, des témoins. Ainsi Iréna assiste-t-elle au calvaire de la famille Katz, orchestré par le gendarme Ilitch dans une progression funeste vers l'assassinat. Iréna s'interroge, n'a-t-elle pas travaillé chez les Katz, n'est-elle pas allée à l'école avec Adela, la compassion qu'elle éprouve ira jusqu' leur apporter de la nourriture, elle n'empêchera pas toutefois l'exécution finale, en pleine nuit. Au lendemain du crime la culpabilité creuse son sillon, une page est irrémédiablement tournée. Dans une errance qui n'aura pas de fin, la parole d'Iréna devient messianique, elle y porte toutes les douleurs et toutes les hontes, figurant une figure éternelle destinée à porter le poids de la responsabilité des hommes face aux crimes dont les juifs sont victimes, et au-delà face à toutes les formes de violence en particulier celles qui touchent les femmes.
Un livre étonnant qui tient plus du conte philosophique que du roman, il vient rejoindre d'autres récits du même type, comme « Mendelssohn est sur le toit ». Il invite le lecteur à s'interroger sur l'homme, condamné à côtoyer les fantômes des victimes dans une humanité qui tourne à vide , et qui porte sans fin, dans l'impuissance des religions, la responsabilité des crimes de masse.
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