Aurélien

Il ne sait pas qu'on ne prête jamais aux indifférences une telle bassesse, une mesquinerie pareille. Il ne sait pas que c'est seulement quand on aime, et parce qu'on aime, que l'on prête à son amour tout ce qui défigurerait n'importe qui, et qui ne fait ici que vous martyriser vous-même. Ah, plus on aime, et plus on blasphème, Aurélien l'apprend avec lenteur.

- Vous viendriez !"
Soudain elle pâlit d'émotion, comme si elle s'était souvenue de quelque chose qu'elle avait totalement oublié depuis un bon moment...
"Non, oh, non !
- Pourquoi pas ?
- Parce que c'est vous... j'irai chez n'importe qui... pas chez vous..."
Il but le lait amer de cette victoire. Il y avait le reste du monde, et il y avait lui pour elle.

S'il l'avait prise dans ses bras, peut-être, au moins le pensait-il, ce feu se serait apaisé, cette irréalité aurait pris fin, ce malaise. Il se répéta qu'il était encore temps de se ressaisir. Il sut au même instant qu'il n'en était plus rien. Il eut peur. Il se sentit tomber.

Peut-on dire de Bérénice qu'elle est jolie ? Il l'avait trouvée laide, d'abord. Il l'avait mal regardée. La question n'est pas qu'elle soit jolie. Elle est mieux que jolie. Elle est autre chose. Elle a un charme... Voilà ce qu'il y a... il retrouve bien les traits, mais pas le secret de leur charme... comme un mot qui échappe... on sait comment il est fait... à peu près... s'il y a des r dedans... combien de syllabes... on lui trouve ou des rimes ou des équivalents... mais le vrai mot, le mot qui chante...
Voilà ce qu'il y a : il ne retrouve pas ce qui chante en elle.
Il est sûr pourtant qu'il y a quelque chose qui chante en elle. Quoi ? Ah dame ! Quelque chose qui chante comme son nom. Bérénice. Il se souvient d'avoir sur ce nom en toute innocence rêvé. Il l'avait mal vue alors. Il rêvait sur son nom sans vraiment penser à elle. Un nom qui fait rêver d'ailleurs. Mais elle est au delà de son nom. Son nom fait rêver à elle. Elle a effacé toutes les Bérénices possibles, il n'y a plus qu'une Bérénice possible, plus qu'une Bérénice, une seule Bérénice, elle... Il ne retrouve pas ce qui chante en elle, le cœur de son chant.