Un roman à marquer d'une pierre blanche. En effet l'histoire d'Oliva Denaro, une fille qui grandit en Sicile dans les années 1960, à une époque et dans une terre de tradition patriarcale, revêt au fil du récit une portée bien plus vaste, universelle, celle du combat pour les droits des femmes.
Élevée par des parents pauvres mais aimants, Oliva, enfant, se croit laide et se sent libre de courir à perdre haleine, de s'écorcher les genoux, d'aller à la chasse aux escargots avec son père, de repeindre le poulailler en jaune, de rêver à la forme des nuages avec son copain Saro. Mais à la puberté tout change, elle devient séduisante, et donc une proie pour les désirs masculins, doit marcher à pas mesurés en baissant les yeux pour ne pas être « provocante », car selon la sagesse populaire de sa mère, « une femme est comme une cruche, qui la casse, la ramasse ». Même l'école, cet espace de liberté et d'émancipation, lui est interdite, et le mariage devient son horizon. Mais son amie Liliana l'introduit dans les réunions organisées par son père, le militant communiste, où est remis en question le rôle traditionnel de la femme, où l'on parle de la nécessaire égalité.
le drame nait de l'attrait qu'elle exerce involontairement sur un jeune commerçant qui s'entiche d'elle et veut forcer sa volonté en mettant la petite communauté devant le fait accompli. C'est compter sans le caractère rebelle d'Oliva, soutenu par l'amour discret et inconditionnel de son père mais aussi par sa mère, enfin solidaire.
Cette histoire est celle d'une société patriarcale qui exonère les violeurs de leurs actes, de leurs crimes, dès lors qu'ils épousent leurs victimes, d'une organisation sociale où il est normal que les hommes soient « à la chasse » et que les filles se gardent de leurs pulsions prédatrices, alors que leurs mères leur enseignent la résignation. Mais en ces années 1970, les temps changent, et malgré le calvaire incertain d'une poursuite en justice, Oliva reçoit le soutien de ses amis communistes, Liliana et son père mais aussi Maddalena Criscuolo, un peu plus âgée que dans
le Train des enfants, mais toujours militante.
Restent la blessure, le traumatisme, la prostration, la peur, la dépression. le chemin du procès est long et semé d'embûches, car « la loi ne vaut que pour ceux qui ont de l'argent » rappelle un carabinier à la famille, mais c'est la seule voie permettant de reconquérir sa dignité, sinon de punir le coupable.
Un merveilleux récit de formation qui suit la reconstruction de soi après la violence subie, dit dans une langue spontanée et imagée, nourrie de mots siciliens, mais d'une absolue justesse de ton, sans fausse note et sans pathos. Lumineuse est aussi l'entente entre un père taiseux et pudique et sa fille qu'il défend avec discrétion et fermeté, sans éclats, parfois d'une simple réplique à la Bartleby « Je ne préfère pas ».
Mais au-delà de l'histoire individuelle, la question posée reste celle de la condition féminine : pour faire évoluer les choses, nous dit l'autrice, la force de caractère ne suffit pas. Il faut aussi être soutenue par une réflexion théorique et politique et par une solidarité humaine, seules capables de transformer les révoltes individuelles en un véritable changement social et de faire progresser durablement le statut de la femme.
Lu en V.O.