Or, on le sait, les échelles font partie des objets malveillants.
Fanalpe n'avait aucune envie de s'écraser au sol comme une crêpe qui a manqué sa poêle.
— Marre qu’on me parle tout le temps de mon père ! Magnoder par-ci, Magnoder par-là… S’il était si malin, il serait encore en vie !
— Je te rappelle qu’il est mort de vieillesse.
— C’est pas une raison. Il y a certainement des façons de surmonter cet obstacle, comme tous les autres !
La belle recevait chaque après-midi quantité de visites. Corbeilles de fruits, lettres poisseuses de compliments et brassées de fleurs coupées envahissaient ses appartements où était exposé le tableau en cours d’exécution. Un genre de marquis s’était déjà tué pour elle. Si on en croyait la rumeur, elle avait trouvé cela charmant et manifestait l’intention d’accumuler les cadavres. Elle s’en était ouverte à Ploutre, sa demoiselle de compagnie :
— Mourir pour conquérir mon cœur ! C’est une idée tout à fait formidable ! Je me demande si je ne devrais pas être un peu plus exigeante avec mon entourage. Ne conviendrait-il pas que chaque homme qui désire me rencontrer se plie au préalable à cette marque d’affection ?
Ploutre, qui avait une meilleure connaissance du monde et appréciait les garçons rieurs et agiles de leurs doigts, était restée dubitative.
— Regardez-moi ce petit monsieur tout recroquevillé ! Sache que je ne t’en veux pas pour ta manœuvre, cette situation se produit régulièrement et me donne l’occasion de vivre des moments intéressants. Il est même possible que je prête à l’avenir quelque assistance à tes projets, ou tout au moins que je te conseille, si maintenant tu te consacres pleinement à ton ouvrage.
— Ah ?
— Que Fiollulia brise des cœurs, c’est son affaire. Mais qu’elle rende inopérants les galants qui envisagent mon entremise, c’est inadmissible. Tu vas donc t’appliquer à renvoyer ton sang là où il était et à me procurer du bonheur. Je veux de la robustesse et de la fringance !
— Je suis navré de ce malentendu, vraiment. Je vais faire de mon mieux. J’ai eu une absence.
— Alors tâche d’avoir maintenant une présence ! Approche, je vais t’aider.
L’Agent Subalterne comprit que le shaman se livrait à une activité interdite dans la plupart des contrées civilisées : l’alchimie. Une science beaucoup trop dangereuse pour être tolérée. La magie est affaire d’artistes, qui, dit-on, parviennent lorsqu’ils sont au sommet de leur talent à déformer les trames de la réalité. L’alchimie, elle, est d’une autre nature. Elle relève de la sorcellerie. Il ne s’agit que de combiner des éléments liquides, solides ou gazeux pour obtenir – le plus souvent avec du bruit et des sourcils disparus – un résultat néfaste. Les alchimistes avaient la fâcheuse habitude d’empoisonner leur environnement, quand ils ne le faisaient pas exploser, et peu de sociétés acceptent sereinement des cratères de plusieurs dizaines de mètres dans des quartiers habités. À Slarance, l’homme qu’elle avait sous les yeux aurait été jeté dans un cachot. Pour sa propre sécurité. Le peuple, lui, aurait construit un bûcher sur lequel il aurait dû monter nu. On avait cessé de brûler des alchimistes habillés, il se dégageait toujours d’étranges fumées lors de leur combustion, et des déflagrations d’intensité variable pouvaient survenir.
— Vous ne la faites pas exécuter, Monseigneur ? demanda Zéphyrelle.
— Il ne faut pas montrer au peuple qu’on peut couper la tête à des représentants de la noblesse, cela donne des idées. Mais on ne la nourrira plus que de bière, et elle ira croupir sur la paille humide d’une geôle sordide.
— Mais vos cachots sont parfaitement sains !
— Je demanderai à Pufflo d’en salir un.
Lleolt était un homme consciencieux.[...] Il n'aimait pas le terme d'assassin, trop péjoratif, et préférait se définir comme contractant en élimination.[...] Ses affaires étaient florissantes. Selon ses statistiques, il détenait trente-huit pour cent du marché du meurtre à Slarance, ce qui le plaçait de loin en première position.