- Esclavage ?
- Le mot te choque ? Tu as perçu un salaire pour ce que tu as fait chez eux ? Privée de liberté, de papiers, mise à leur service jour et nuit. Tu appellerais ça comment ?
- Il y en a d’autres alors… des cas comme moi ?
- Oui. Sans doute beaucoup, et ça n’intéresse pas grand monde. On est dans le pays des Droits de l’Homme, circulez, y’a rien à voir.
Ne cherche pas ailleurs ce que tu peux trouver ici.
Se souvenir, à tout prix. Modeler dans sa mémoire un jour de la semaine par année, entre huit et douze ans. Elle se concentre dessus chaque soir, entre la toilette d’Elisabeth et le retour des adultes. Elle fouille chaque moment, en extrait la saveur, les parfums qui lui sont attachés, s’offre un voyage quotidien dans son pays natal.
Elle ne sait plus. Elle se sent épuisée, après tous ces jours enfermée, sur le qui-vive, blessée par les mots, les indifférences, les agressions. Elle ne sait plus ce qu'elle veut, si elle veut, ce que c'est que vouloir.
- « Esclavage ? »
- Le mot te choque ? Tu as perçu un salaire pour ce que tu as fait chez eux ? Privée de liberté, de papiers, mise à leur service jour et nuit. Tu appellerais ça comment ?
- Il y en a d’autres alors…des cas comme moi ?
- Oui. Sans doute beaucoup, et ça n’intéresse pas grand monde. On est dans le pays des Droits de l’Homme, circulez, y’a rien à voir.
Se souvenir, à tout prix. Modeler dans sa mémoire un jour de la semaine par année, entre huit et douze ans. Elle se concentre dessus chaque soir, entre la toilette d’Elisabeth et le retour des adultes. Elle fouille chaque moment, en extrait la saveur, les parfums qui lui sont attachés, s’offre un voyage quotidien dans son pays natal. C’est à double tranchant, bien sûr, car ensuite le gris de l’appartement, la dureté de ces gens avec qui elle vit, devient plus difficile encore à supporter… mais c’est vital.
Pour tenir, elle tente de se persuader qu’un retour chez elle, à ce stade, serait un échec, une honte pour ses parents aux yeux du village, des autres.
Il faut résister au gris qui recouvre cette famille, espérer un miracle.
tu n'es pour rien dans tout cela, tu m'entends? pour rien. Sois sur le qui-vive, saisis ta chance quand elle se présentera. Accroche-toi au souvenir des tiens. Ne les laisse pas gagner. Tu ne seras pas toujours aussi seule et abandonnée.
Anthéa reste seule. Elle sent qu’un mauvais sort vient de couper sa vie en deux, comme on tranche un ananas mûr.
Un avant, un après. Un ici, un ailleurs.
Le meilleur, le pire ?
Ils n'ont aucune idée, là-bas, de ce qu'elle vit. De toutes ces nuits sans dormir, de la morsure incessante de l'exil. Et maintenant de la peur.
Tu es comme le temps
On ne sait pas prédire
Tes tsunamis tes météores
Enfoncés dans nos corps
Écrasés sur le sol
Bras levés dérisoires
Et pour toi, comment se passe le voyage ?