« En cette saison, l'ensemble était encore ténu, le paysage n'avait pas cette opulence que lui apportait l'été, le vert des arbres commençait tout juste à poindre, car le mois d'avril c'est cela : des bourgeons, des germes, l'incertitude, l'hésitation. Avril se trouve entre le grand sommeil et le grand bond. Avril, c'est l'envie de passer à autre chose, sans que l'on parvienne à définir ce qu'est cette autre chose ». Kar
l Ove Knausgärd – Au printemps.
Cette citation notée récemment par « Hordeducontrevent » éclaire ma pensée. C'est exactement ça, une sorte de « passage » d'un état à un autre, un rite initiatique renouvelé chaque année.
La brusque envie d'en savoir plus, mais le livre ne m'est pas accessible.
En cherchant « avril », je tombe sur l'«
Avril enchanté »d'
Elizabeth von Arnim.
J'en parle à ma compagne, qui est aussi « bibliothécaire bénévole » le samedi matin au village. Vous savez, là où le bibliobus ne daigne même plus faire une halte, car plus assez rentable pour le département. Elle connaît tous les clients potentiels, mais aussi tous les livres entreposés dans cet antre magique.
« Mais oui, il y est ! »
Servi à domicile, je découvre la tête de Polly Walker, une des héroïnes d'un film tiré du livre. Une photo surannée, chevelure noire et yeux bleus qui contrastent avec l'assortiment vestimentaire, chapeau et haut blanc immaculé, juste un revers fleuri assorti aux fleurs multicolores que l'on devine dans le décor. Entourage bleu éclatant, toute la lumière de l'Italie.
Le lieu ? San Salvatore, un château perdu que l'on suppose salvateur, la « dolce vita » dans toute sa splendeur.
Je ne connaissais pas cette écrivaine britannique contemporaine d'
Elizabeth Goudge et de
Mary Webb dont j'ai parlé récemment. Vais-je y retrouver une renarde dans un domaine enchanté ? le résumé est prometteur.
Des personnages féminins entourés de fleurs, je sens déjà le parfum de l'époque. Et oui, ce livre a été écrit il y a exactement un siècle, les années folles qui prenaient paradoxalement le temps de vivre. Un « feel good » du bon vieux temps, avant d'avoir commencé la lecture, « lo mi sento bene ».
Assorti de l'humour « british » à la
Jérôme K Jérôme.
Quatre femmes dans un château, qui ne se connaissaient pas avant leur arrivée au domaine enchanté, lieu découvert dans une annonce d'un journal. Une location pour un mois, pour sortir de la grisaille londonienne et refaire le fil de sa vie.
« En avril, ne te découvre pas d'un fil », mais si, elles vont se découvrir, d'abord leur corps, la chaleur printanière aidant. Mais aussi leurs sentiments, dévoilés petit à petit à l'ombre de l'arbre de Judée ou des remparts du château.
Quatre femmes différentes et typées, deux jeunes insatisfaites de leur vie de couple, auxquelles vont s'ajouter une jeune aristocrate et une vieille acariâtre. Un cocktail subtil et bien dosé, des scènes truculentes faites d'évitement et de maladresses où chacune découvre les autres sans oser elles-mêmes se révéler.
«
Avril enchanté » ou « avril en chantier » ?
Branlebas de combat, ça bourgeonne et ça effuse de partout, avec des avancées et des surplaces, à l'image de ce mois fait d'incertitudes et d'hésitations.
Quelle poussée, quelle vigueur, oui, mais on n'est pas à l'abri d'une gelée ! Quoiqu'en Italie, en avril, il n'y a que les âmes pour se laisser refroidir.
Quatre hommes vont, un par un et par petites touches colorées, s'immiscer dans la routine du château, deux maris, marrants ou marris, le jeune propriétaire du domaine, subjugué et maladroit, et un écrivain britannique, qui passait par là pour compléter le tableau et équilibrer les sexes en présence.
La végétation explose, la chaudière aussi, un grand moment d'exaltation et de pudeur, à l'image de cette époque qui avançait à son rythme, sans portable et géolocalisation. Des lettres manuscrites, des télégrammes, des attentes infinies à ressasser les pensées les plus extravagantes.
Une comédie fleur bleue, avec quelques touches de féminisme et de critique de l'ordre établi des années vingt, indignation saupoudrée de façon sous-jacente.
Un assortiment subtil et gracieux qui se désagrégera en fin de mois, c'est connu, les problèmes ne disparaissent pas par enchantement, la réalité rattrape l'affliction, comme un bonbon acidulé longtemps sucé qui fond petit à petit.
Quand je referme le livre, un gazouillis incessant s'est invité sur un fil électrique. Quatre hirondelles saluent l'arrivée du printemps.
En avril, ne te découvre pas d'un fil, mais maintenant, c'est le fil qui est recouvert.
« Una rondine non fa primavera », peut-être, mais ça aide bien lorsque l'on est loin de l'Italie.
Je vous le disais, un
avril enchanté !