Dans son roman «
Personne »,
Gwenaëlle Aubry, parle de quelqu'un qui lui est cher, son père, professeur de droit à la Sorbonne, devenu profondément mélancolique, ainsi qu'on qualifiait, jadis, le malade mental. Sujet délicat : La mort du père et la mort de la mère sont les Charybde et Scylla de toute littérature autobiographique. Ils sont aussi la douleur intime, indicible, de chacun, le moment venu. Pour ce qui est de la folie, la
psychanalyse investit la place, même lorsqu'il s'agit d'un juriste, depuis la célèbre étude, par
Freud, du cas du président Schreber. Pourquoi le livre de
Gwenaëlle Aubry est-il si bouleversant ?
Il ne s'agit pas d'un récit, mais d'une mosaïque, abécédaire, aux 26 entrées, comme autant d'éclats du disparu à la personnalité éclatée. Non pas hagiographie, mais instantanés de souvenirs qui disent autant sur le père que sur la fille, du désarroi de l'un, de la douleur de l'autre, comme du bonheur d'avoir été ensemble. François Xavier Aubry, avant de mourir, avait laissé un texte, « le mouton noir mélancolique », à romancer, ajoutait-il. Il s'y montrait multiple et fantasque, agent secret, vagabond, clown, loin des rigueurs de la loi qu'il enseignait pourtant, mais de plus en plus difficilement, entre ses séjours à l'hôpital.
L'art de l'auteur est de glisser son propre texte autour de celui de son père, comme le métal sertit la pierre, avec élégance et précision. Ainsi prennent forme les fragments d'un récit, dans une polyphonie précieuse et délicate, bouleversante par la douleur contenue derrière les cocasseries du père excentrique et fracassé.
Balzac raconte, dans un roman sur la folie qui atteint son héros (
Louis Lambert), comment le philosophe
Plotin, « séparé de son disciple Porphyre, avait senti l'intention où était celui-ci de se tuer et était accouru pour l'en empêcher ».
Gwenaëlle Aubry est aussi une philosophe connue, justement spécialiste de
Plotin. A l'instar du maître, elle fait revenir, scintillant des mille facettes de sa vie, celui que ni elle, ni
personne, n'a pu empêcher de partir.
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