Sous le règne
De Bone, par
Russel Banks.
Russel Banks nous transporte une fois encore dans son monde. Avec son regard acéré sur les réalités sociales des Etats-Unis, avec une certaine modestie, et un amour sincère pour ses personnages. Chappie, 14 ans au début du roman, 15 ans à la fin, est le narrateur, il changera de nom lorsqu'il se fera tatouer des os en croix (sans tête de mort) sur le bras, et deviendra Bone. Bone se veut un délinquant, pas un criminel. Il laisse l'école, quitte sa mère, non sans déchirement, et son beau-père, qu'il hait et qui est d'ailleurs un odieux personnage, abuseur d'enfant et alcoolique.
Avec son copain Russ, Chappie, crête Mohawk sur le crâne, nez et oreilles percés, fume de l'herbe et fait de la revente, colonise le supermarché du coin, vole ses parents, se retrouve hébergé avec des motards dont le taudis se transformera en cendres après un incendie. Un des motards, le plus attentionné, mourra dans l'incendie en voulant sauver Chappie, lequel a su s'extirper du brasier.
Après avoir squatté avec Russ la maison de gens riches et l'avoir saccagée, après avoir enlevé une fillette des mains d'un prédateur, Chappie-Bone rencontre un Jamaïcain, I-Man, dont il admire le calme et la sagesse rasta, mélange d'herbe ganja et de réflexion mystique consistant à trouver son vrai moi – le "Je-même" – en passant par l'état de "mendiant tout neuf". Avec les enseignements de I-Man, guide plutôt que maître, commence une initiation par laquelle Bone se bonifie, gagne en épaisseur, en liberté, en indépendance. À la Jamaïque, il retrouvera son vrai père, mais il saura se détacher de cet homme fantasque et irresponsable, et il apercevra son ami Russ dont il se détournera. Ces rencontres témoigneront du chemin qu'il aura parcouru et de la distance qui sépare désormais sa conversion rastafarienne des valeurs du monde moderne.
Bone appartient certes à une classe sociale défavorisée, mais je n'ai pas senti qu'il y avait là la peinture d'une Amérique de laissés pour compte, même si c'est un peu esquissé, ou d'une Jamaïque partagée entre misère et sagesse. On traverse plutôt des milieux marginaux ou à forte visibilité, alcooliques, bikers, junkies, mythomanes, jamaïcain en situation irrégulière et illuminé, touristes américains en mal de sensations fortes ou femmes riches à la recherche de Jamaïcains virils, et groupes de Jamaïcains inspirés et pourtant victimes de trafiquants de drogue.
Russel Banks réussit avec ce livre à écrire un roman puissant sur l'adolescence, ses rébellions, sa quête d'identité et ses capacités de transformation dès lors que le Bien et le Mal sont clairement identifiés.