Voilà un roman que j'ai eu grâce à l'opération Bol d'air ! Mais j'ai été très intéressée par son histoire. Je suis également toujours en quête d'imaginaire francophone, alors quand on me propose un space opera inspiré des croisades, je savais que Dominium Mundi n'allait pas rester très longtemps dans ma PAL.
Difficile de ne pas évoquer le contexte, brillamment choisi. Nous sommes dans un futur où le Vatican a retrouvé toute sa flamboyance à travers le Dominium Mundi. L'humanité est, en bonne partie, retournée à une organisation féodale, avec des Seigneurs aux ordres d'une Eglise qui rêve d'expansion. Au point que la Terre ne suffit plus et que le pape Urbain IX déclare que la lointaine planète des Atamides doit devenir la propriété du catholicisme. Qu'à cela tienne, le temps est à une neuvième croisade à bord d'un vaisseau gigantesque, le Saint Michel, au sein duquel les bras armés du Seigneur s'entraînent sans relâche. Les protagonistes lâchent donc du "chrétien" à qui veut l'entendre comme on lâcherait un "mon gars" dans un moment de confusion, ce qui nous met rapidement dans l'ambiance.
Vous le constatez sûrement déjà, l'aspect féodal crée un contraste étonnant avec les aspects issus de la science-fiction. Entraînements en réalité virtuelle côtoient une société à la structure hiérarchique particulière, noms parfois directement issus de figures qui ont réellement vécu lors des premières croisades font face à des technologies de pointe. Ces paradoxes participent à créer un univers assez unique et rafraîchissant. J'ai été très curieuse de voir la façon dont l'auteur parvenait à créer un ensemble cohérent et convaincant avec des éléments disparates. On associe ainsi rarement la religion avec la technologie, et il est déstabilisant de voir la foi côtoyer joyeusement des concepts comme le sommeil stasique et voyage spatial à la vitesse de la lumière.
L'Église du Dominium Mundi n'étant pas peuplée d'innocents agneaux, on se doute bien qu'on n'aura pas affaire à des situations délicates tous les jours. Ainsi, il y a un clivage social dès les premières pages entre les castes supérieures, composées de nobles vindicatifs dotés de terres et partis volontairement poutrer de l'extra-terrestre hérétique pour la gloire de la Sainte Chrétienté, et les enrôlés de forces. Ces derniers, appelés imermes ou classes 0, sont surtout recrutés parmi des informaticiens et des ingénieurs dans des domaines pointus, le nobliau de base étant sans doute trop occupé à conquérir les terres de ses rivaux pour se lancer dans des labeurs intellectuels trop exigeants. Cette caste est représentée par Albéric Villejust, qui a eu, à mon regret, une présence discrète au début du roman, pour gagner heureusement en importance au fil du voyage.
En outre, la société ne laisse pas de nombreux choix de vie aux femmes (non, étonnant ?). La soeur de l'un de nos héros, Nicée, qui a beau appartenir à une famille ancienne, est toujours célibataire à 36 ans car elle porte le sceau de l'infertilité. Il est induit qu'elle est très chanceuse de ne pas avoir fini dans un couvent. Cette inégalité explique qu'il y ait dans un premier temps peu de femmes importantes. Mais il existe à bord du Saint Michel un corps de l'armée composé de femmes, les Amazones, dont une Clorinde qui deviendra plus importante au fil de l'histoire (mais on en reparlera).
Dernière division : les aspects politico-religieux.
Si le voyage sur le Saint Michel partait sous de glorieux auspices, la traversée sera loin d'un épisode de la "Croisière s'amuse". Il faut croire que les univers clos excitent l'imagination (coucou le confinement ?), mais il se passe beaucoup de choses. En effet, les rivalités politiques sur Terre n'y sont pas restées. On observe ainsi plusieurs clans, dont celui de Robert le Diable, qui, en effet, n'est guère le plus sympathique de la bande à la tête du vaisseau. Il y a aussi la présence de Templiers, qui ne sont bien sûr pas forcément les plus appréciés par le Vatican.
Les coups bas vont donc bon train pour désavouer ses rivaux politiques, Robert ayant la fâcheuse tendance à conquérir des territoires qui ne sont pas à lui. Dont ceux de ses voisins, la pieuse famille Tarente, dont l'éminent représentant n'est autre que Tancrède de Tarente, un guerrier populaire, soldat talentueux et leader né. La plume sert d'ailleurs bien le propos. Malgré quelques maladresses, les scènes de combats sont très immersives et bien retranscrites. Elle permet de bien saisir les éléments plus complexes de mises en situation politiques. On ne peut malheureusement pas en dire la même chose pour les descriptions, en majorité fades et stéréotypées, ainsi que les dialogues, qui sonnent plus plats qu'autre chose.
En outre, le voyage est ponctué de meurtres spectaculaires à base d'électrocutions bien vénères. La tendance des autorités locales à invoquer les accidents et court-circuits finissant tout de même par éveiller les soupçons, une grande partie de l'intrigue portera sur la question. Voilà, c'est donc un récit assez dense qui nous est proposé. Même si cela peut paraître complexe, c'est un plaisir de découvrir les plans tortueux des protagonistes, partagés entre honneur et vengeance, ambition et justice. de plus, l'intrigue permet de donner vie à une vaste galerie de personnages, dont les personnalités sont malheureusement inégales dans leur traitement.
En effet, il est parfois dommage de constater que certains personnages de Dominium Mundi ne bénéficient pas d'une grande profondeur de caractère. Si Tancrède est par exemple très intéressant à suivre, malgré un petit côté trop lisse et parfait, Robert le Diable est assez manichéen dans son traitement. Il est finalement un antagoniste peu subtil, animé uniquement par des intentions douteuses et une ambition personnelle démesurée.
Qui fait partie d'une secte chrétienne aux méthodes violentes ? C'est Robert. Qui a les hommes de main qui ont la main leste sur les imermes ? Toujours Robert. Qui est prêt à faire des attentats pour faire disparaître ses rivaux ? Ce sacré Robert. On ne l'appelle pas le Diable pour rien. Ce n'est pas aidé par une plume dont les descriptions manquent parfois de subtilité. Heureusement que d'autres personnages comme Albéric ou Liétaud ont un peu plus de corps ou, au moins, sont un peu plus sympathiques et humains.
J'ai déjà noté que l'absence de personnages féminins s'expliquait par la société patriarcale. Mais il est dommage que le peu de représentantes ne soient pas du tout à la hauteur. La première est une lavandière brutalement électrocutée dont la mort sert simplement de motivation pour les héros pour enquêter plus en avant, parce qu'elle était la fiancée de l'un des personnages principaux. Si ce n'est pas une femme frigo dans toute sa quintessence, je ne sais pas quel ressort narratif douteux c'est.
La deuxième, Clorinde, est une Amazone et une guerrière redoutable. Prometteur, me direz-vous ? Aurais-je oublié de vous dire qu'elle était belle ? Parce qu'elle est très belle. Elle est tellement belle qu'il faut constamment souligner la beauté de ses yeux verts. Et de ses cheveux. Et de son corps. Je vous fais grâce du passage où elle discute avec ses amies... J'espère qu'elle sera traitée avec plus de profondeur qu'en étant juste un intérêt amoureux dans le tome suivant.
Malgré ses quelques faiblesses au niveau des personnages et son écriture parfois maladroite, le roman construit un univers cohérent. J'ai eu un réel plaisir à suivre cette histoire qui tisse mystères, complots et luttes de pouvoirs sur fond de fanatisme, lutte des classes et système féodal. Cette idée de retranscrire les croisades dans un univers de space opera donne une profondeur inattendue à l'ensemble. Je n'ai qu'une hâte, lire le deuxième tome !
Lien :
https://lageekosophe.com/