Tuez qui vous voulez

- Pardonnez-moi, fit d’Eon d’un ton apaisé. Je vois bien que vous n’êtes pas un courtisan mais un homme libre. Quant à moi, j’ai combattu à pied et à cheval pour le Secret du roi, je me suis brisé l’échine à porter des messages et j’ai perdu le sommeil en y travaillant jour et nuit. Jamais, je ne le trahirai. Rien ne m’effraye, mon courage est inébranlable. Je n’ai pas de fortune mais des mœurs et une réputation. Mon bonheur tient tout entier dans ce que je suis.
Volnay haussa un sourcil. La sortie du chevalier ne l’étonnait guère. Il avait senti en lui une fierté démesurée. Cependant, si dans les lois de la chaîne alimentaire Sartine et Choiseul tenaient rang de prédateurs, d’Eon pour sa part était loin d’être une brebis.

- Je n’ai aucune envie de voir les convulsionnaires recommencer leurs sauts et cabrioles autour de la tombe du diacre Pâris à Saint-Médard ! J’ai relu les notes de mon prédécesseur de l’époque. Le cimetière était devenu un théâtre où s’agitait en tout sens une foule de furieux. L’avocat Pinault se mettait à quatre pattes et aboyait comme un chien pendant des heures ! Quant aux femmes, assises sur les genoux des hommes, elles éprouvaient les secousses les plus violentes ! Vous voyez ce que je veux dire ?
Le moine sourit poliment mais seulement des lèvres.
- Non, décidément, gronda Sartine. Je n’ai nul désir de les voir se rouler sur les tombes, crier et hurler comme des possédées ! Savez-vous que des femmes s’allongeaient par terre jusqu’à ce que leurs talons touchent leurs épaules ? Comprenez-vous ce qui attirait les curieux ?
- Moui, fit le moine, on en revient toujours là ! Mais quand même, je me pose bien des questions sur ces présences féminines si importantes dans ce type d’événements …
- C’est que les femmes sont plus souples que les hommes, expliqua Sartine qui n’avait pas compris le sens de la remarque du moine. Elles excellent aux jeux de souplesse, vous n’entendez pas ?
- Si, je vous entends mais je vous écoute le moins possible ! dit le moine en lui tournant le dos.

Un groupe de jeunes gens passait en chantant et dansant. Certains portaient des masques et les filles du groupe prenaient des poses aguicheuses pour faire rougir les bourgeois. Volnay s'étrangla soudain. Au milieu d'eux, gai et exubérant, son père, en tenue de moine, s'égosillait au bras de deux jeunes donzelles qu'il faisait rire aux éclats.
- Mais... balbutia Sartine, on dirait que c'est votre père ! Que fait-il donc ?
De son côté, une partie du groupe s'était aperçue de l'attention qu'on lui portait. Une fille dit quelque chose à ses compagnons. Ils rirent et, se retournant vers Sartine et le guet, le moine releva sa bure et leur montra ses fesses.
Sartine s'étrangla.
- Avez-vous vu ce que faisait votre père ?
- Euh, non...
- Il vient de me montrer son cul !

- Surtout je désirais que tous les gens soient ou se sentent égaux durant trois jours ou simplement le temps d'une chanson. Je voulais que.. le monde soit gai.
Hélène le contempla un instant pensivement et un sourire adoucit ses traits.
- Il l'a été, Guillaume. Pour quelques instants il l'a été.

Le moine se rembrunit.
- Lorsque la société serre les fesses, constata-t-il, les espaces de liberté individuelle se réduisent considérablement.

- Alors, comment se passe la fête des Fous ? demanda-t-il à son fils.
- Un peu partout en ville,dit Volnay, on a jeté des potées d'urine et d'excréments du haut des fenêtres sur tout ce qui portait un uniforme ou un bel habit.

Ce que le Christ avait souffert, elle pouvait le supporter, elle aussi, pour racheter le péché de l'humanité. Ainsi, elle se faisait crucifier tous les six mois depuis quelques années.
De prime abord, le commissaire aux morts étranges avait considéré ces femmes comme des victimes et les hommes comme des bourreaux. Désormais, il se rendait compte que les choses étaient beaucoup plus subtiles que cela. Pas un homme n'aurait supporté ce que ces femmes enduraient. C'était dans le creuset des coups, de l'humiliation et la douleur que ces femmes transformaient une épreuve en victoire et se hissaient définitivement plus haut que le genre masculin.

- Pour le plus grand plaisir de mademoiselle et de monsieur le chevalier, voici un plat de truites avec quelques écrevisses pêchées la veille. Un potage de purée de blanc de poularde, des légumes au jus, de la crème double. Pour le dessert, vos palais se délecteront de gâteaux de violettes, et de biscuits de jasmin ainsi que de ce magnifique entremet de crème de pistache veloutée avec quelques châtaignes pilées.

- Vous boirez un tokay du comté de Zemplin,vendangé sur les côteaux de Hegy-Allya. Le pape lui-même l'a nommé divin nectar. Or, comme vous le savez, le pape est infaillible dans ses jugements.

- Ce mouvement des appelants s'inscrit dans le contexte d'une querelle religieuse et politique. Les convulsionnaires réunissent tant le bas clergé que le petit peuple, soutenus par le Parlement et aucun édit royal n'a force de loi s'il n'est pas enregistré par celui-ci. Or, depuis deux ans, le roi fait casser des arrêts du Parlement pris en faveur de prêtres jansénistes à qui l'Eglise refuse les derniers sacrements. Les arrêts cassés sont de nouveau confirmés par le Parlement et cassés par le roi. Nul ne sait où tout cela finira mais un bras de fer est engagé.