Le silence entre eux était plus opaque que les eaux du canal. Il ne pouvait le franchir. Il ne pouvait traverser la frontière entre la pudeur qu’elle méritait et la violence que ce mouvement exigeait. S’il essayait, ils couraient à une mort certaine.
Le courage inattendu de Wylan, son regard sur le monde, sa générosité infaillible avaient réveillé en lui d'autres sentiments. Ça donnait à Jesper l'impression d'être un cerf-volant dans le ciel, il montait très haut, redescendait vers la terre, et il adorait ça.
Alors où étaient passées ces sensations? La déception le submergea.
Est-ce moi? se demanda Jesper. Est-ce que je manque de pratique? Il insista, approfondissant le baiser, cherchant cette montée d'adrénaline, cette excitation incontrôlable qu'il connaissait bien. Il poussa Wylan contre le piano et entendit les touches s'entrechoquer pour émettre une musique discordante. Aussi discordante que ce baiser, se dit-il. Et soudain: Si je vois une métaphore dans un moment pareil, c'est que quelque chose ne tourne pas rond.
Il se recule, baissa les mains. Le malaise transpirait par tous les pores de sa peau. Qu'est-ce qu'on dit après un désastre pareil? Il n'avait jamais eu l'occasion de se le demander.
C'est à cet instant qu'il vit Kuwey dans l'entrée, bouche bée, yeux hallucinés.
-Quoi? demanda Jesper. Les Shus ne s'embrassent pas avant midi?
-J'en sais rien, répondit Kuwei, amer.
Pas Kuwei.
-Oh, dieux! grommela Jesper.
Ce n'était pas Kuwei sur le seuil de la porte. C'était Wylan Van Eck, expert en démolition et gosse de riche. Ce qui voulait dire qu'il venait d'embrasser...
Le vrai Kuwei recommença à marteler la même note sur le piano en lui adressant un sourire amusé, ses yeux pétillants derrière ses épais cils noirs.
-Tu sais, les Sulis n'ont pas de mot pour dire "Je suis désolé".
-Tu dis quoi alors quand tu marches sur le pied de quelqu'un.
-Je ne marche pas sur les pieds.
-T'as compris.
-On ne dit rien. On sait que ce n'était pas fait exprès. On vit dans des caravanes confinées, les uns sur les autres. On voyage tous ensemble. On n'a pas le temps de s'excuser tout le temps d'exister. Mais quand quelqu'un fait du mal ou commet une erreur, on ne dit pas pardon. On promet de se racheter.
-Il reste encore un petit problème, lança Jesper. Et par "petit", je veux dire "immense, flagrant, énorme qu'il vaudrait peut-être mieux oublier". Les silos. Je sais qu'on est très bon pour pénétrer l'impénétrable, mais comment on y entre?
-Kaz peut crocheter les serrures, hasarda Wylan.
-Non, je ne peux pas, corrigea Kaz.
-C'est la première fois que j'entends ces mots sortir de ta bouche, s'étonna Nina. Répète s'il te plait, plus lentement?
Kaz ignora sa remarque.
-Ce sont des serrures quatre-feuilles. Quatre clés dans quatre serrures. On doit les tourner en même temps ou elles déclenchent un système de sécurité et une alarme. Je peux crocheter n'importe quelle serrure mais pas quatre en même temps.
Kaz est plus doué pour être ami avec des serrures qu’avec des gens.
𝑳𝒂 𝒔𝒐𝒖𝒇𝒇𝒓𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒄'𝒆𝒔𝒕 𝒄𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒕𝒐𝒖𝒕 𝒍𝒆 𝒓𝒆𝒔𝒕𝒆. 𝑸𝒖𝒂𝒏𝒅 𝒕𝒖 𝒗𝒊𝒔 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒅𝒆𝒑𝒖𝒊𝒔 𝒂𝒔𝒔𝒆𝒛 𝒍𝒐𝒏𝒈𝒕𝒆𝒎𝒑𝒔, 𝒕𝒖 𝒂𝒑𝒑𝒓𝒆𝒏𝒅𝒔 𝒂̀ 𝒆𝒏 𝒂𝒑𝒑𝒓𝒆́𝒄𝒊𝒆𝒓 𝒍𝒆 𝒈𝒐𝒖̂𝒕.
(Attention Spoil)
Il serra sa main plus fort encore.
- Enterre-moi pour que je puisse monter vers Djel. Enterre-moi pour que je m'enracine et que je suive le courant vers le nord.
- Je te le promets, Matthias. Je te ramènerai chez toi.
- Nina, dit-il en posant la main de la jeune femme sur son cœur. Je suis déjà chez moi.
La lumière quitta ses yeux. Il se figea sous sa main.
Page 601 (Le livre de poche - octobre 2022)
Quelque soit la hauteur de la montagne, on grimpe toujours de la même façon. - Inej
- Je ne me suis jamais recueilli sur la tombe de ma mère. Je ne quitterai pas Kerch sans lui dire au revoir.
- Crois-moi, elle s'en fiche, elle.
- Comment peux-tu dire ça ? Tu ne penses jamais à ton père et à ta mère ?
- Ma mère, c'est Ketterdam. Elle m'a enfanté dans le port. Mon père, c'est le profit. Je l'honore tous les jours. Revenez avant la tombée de la nuit ou ne revenez jamais. Tous les deux. J'ai besoin de coéquipiers, pas de sentimentaux.
- Wylan, t'es mignon, mais t'es un condensé de folie dans un petit flacon.
[Jesper]