A chacun d'eux, Baldabiou avait dévoilé, sans difficultés, les secrets du métier. C'était bien plus amusant pour lui que faire de l'argent à la pelle. Enseigner. Et avoir des secrets à raconter. Il était comme ça, cet homme.
- Qu'est-ce que c'est ?
- C'est une volière.
- Une volière ?
- Oui.
- Et pour servir à quoi ?
Hervé Joncour gardait les yeux fixés sur ces dessins.
- Tu la remplis d'oiseaux, le plus que tu peux, et le jour où il t'arrive quelque chose d'heureux, tu ouvres la porte en grand et tu les regardes s'envoler.
Il y avait une raison à ça, d'ailleurs, mais je l'ai oubliée. On oublie toujours les raison.
- C'est une souffrance étrange.
Doucement.
- Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais.
- Tu étais mort.
Dit-elle.
- Et il n'y avait plus rien de beau, au monde.
Brusquement, il vit ce qu'il croyait invisible.
La fin du monde.
Elle pleuvait, sa vie, devant ses yeux, spectade tranquille.
Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais.
Un panneau de papier de riz glissa, et Hervé Joncour entra dans la pièce. Hara Kei était assis sur le sol, les jambes croisées, dans le coin le plus éloigné de la pièce. Il était vêtu d'une tunique sombre, et il ne portait aucun bijou. Seul signe visible de son pouvoir, une femme étendue près de lui, la tête posée sur ses genoux, les yeux fermés, les bras cachés sous un ample vêtement rouge qui se déployait autour d'elle, comme une flamme, sur la natte couleur de cendre. Hara Kei lui passait lentement la main sur les cheveux : on aurait dit qu'il caressait le pelage d'un animal précieux, et endormi.
Comme si le désespoir était un excès qu'il ne connaissait pas, il se pencha sur ce qu'il lui était resté de sa vie, et recommença à en prendre soin avec la ténacité inébranlable d'un jardinier au travail, le matin qui suit l'orage.