- L’enfance vit dans une maison du bosquet, où le bois travaille encore pour l’homme, après que la scie, la hache, l’écharnoir et les mains de l’artisan lui rendent la paix. Peut-être que vous ne le croyez pas, mais d’anciens secrets sont révélés dans les églises, à droite et à gauche du passage. Courez sans arrêt sur des chevaux de bois. Les portes, les portes restent ouvertes. Découvrez à qui appartient le livre, à qui appartient ce village. Lisez attentivement, laissez votre cœur comprendre.
(p. 53)
L'enfant commença à malaxer un morceau d'argile dans un grand pot. Il avait trouvé un bâton sous un chêne au bord de l'allée et avait d'abord songé à en faire une épée ou un fusil. Il les avait imaginés avec le pouvoir de son esprit, comme les jouets sont généralement fabriqués. Il s'était même un peu disputé avec un gamin qui l'avait vraiment énervé la semaine dernière, l’appelant rêveur devant trois filles. C'était dommage, d'autant plus qu'il aimait bien l'une d'entre elles. Parfois, il se rendait compte qu'il restait des minutes à penser à ses boucles dorées et à la façon mystérieuse dont elle lui souriait quand il leur arrivait de se rencontrer tous les deux quelque part. Alors c'était vraiment un rêveur, il en était conscient, mais le dire comme ça, tout haut, devant les filles !
En fait, il n'était pas assez en colère pour provoquer ce garçon en duel. Il mit en joue l'horizon et tourna sur lui-même. Il aperçut deux chats, un poteau de maison, une fenêtre et s'étonna de tomber sur un renard. Pensant qu'il s'était trompé, il posa le bâton-fusil de côté et s'approcha de la clôture en osier. Dans la cour, sous un pommier chargé de fruits qui commençaient à mûrir, le renard reniflait et poussait, ennuyé, les pommes tombées, déçu de ne pas trouver meilleure pitance. Une pomme, poussée par le renard avec son museau, roula sous la clôture, et tandis qu'il la suivait, curieux de savoir où elle s'arrêterait, le renard disparut du champ de vision du garçon. Il le chercha partout pendant un moment, à travers les buissons voisins, puis se retourna pour voir s’il ne se cachait pas juste derrière lui, car c'est souvent là que se cachent les personnes, les animaux ou les choses qu’on cherche.
À travers les deux lucarnes sortaient maintenant des volutes de fumée aussi fines qu’un léger brouillard.
- Tu ne rêves pas, a dit la maison. Nous sommes des âmes. Nous étions toutes autrefois de vraies maisons, habitées par des gens. Ensuite, nous avons été vendues ou même données pour rien. Ils nous ont amenées ici. Les gens viennent nous regarder comme au cirque.
- Êtes-vous si malheureuses? demanda l’enfant.
- Pas vraiment, on exagère parfois. Beaucoup de gens nous passent devant et on entend toutes sortes d’histoires. Mais il y a aussi des enfants qui nous jettent de la terre ou qui veulent nous tirer dessus. Et nous n’aimons pas ça.
- Je suis désolé, dit l’enfant. Je ne m’en suis pas rendu compte.
(pp. 8-9)
Paul s’en alla lentement à travers la forêt. C'était un silence parfait, comme il n'en avait jamais rencontré auparavant, même ses pas ne pouvaient être entendus. Pour se convaincre qu'il était dans une vraie forêt, il s'approcha d'un bouleau et frappa légèrement son tronc, comme on tapoterait le dos d'un ami. Puis il fit de même avec deux autres bouleaux, c'étaient de vrais arbres, il n'en doutait pas. C'est vrai qu’on n'entendait pas non plus de bruit cette fois-ci. Paul avait une sensation inhabituelle mais plutôt agréable. Il se sentait léger, comme s'il flottait, nageait ou comme si quelqu'un d'autre marchait à sa place. Il avait complètement oublié Lasorcière, il a marché et marché, jusqu'à ce que la forêt commence à s'éclaircir, que l'herbe verte commence à remplacer les feuilles sèches et, finalement, il arriva dans une prairie sans fin. Il y avait peu de lumière, verte au-dessus de l'herbe, blanchâtre vers les bouleaux et bleuâtre au-dessus, comme un immense fleuve coulant lentement à l'horizon, là où la prairie rencontre le ciel.
Marchant toujours à travers la forêt, ils atteignirent une porte. Il n’y
avait pas de clôture, rien qu’une porte en bois parmi les aulnes. Sur son cadre
était écrit, en haut, seulement ceci : « Cherchez les signes ! ». Paul l’ouvrit et
voulut laisser passer Anne. A travers la porte, on apercevait le même taillis
d’aulnes. Anne lui dit de passer en premier, et il franchit le seuil et se retrouva
dans une lumière aveuglante.
(p. 59)