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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans un coin de mon cerveau, un gros type tempête. Des cendres dans la barbe, une chemise pas très nette sur un ventre pas très plat, il s'insurge : « Mais enfin, on ne peut pas dissocier la science de la société qui l'a produite. En parler comme d'un absolu hors sol, juste récupéré après coup par une politique technophile et progressiste jusqu'au suicide, c'est un non sens ! »

La Science, statuaire de marbre blanc au drapé découvrant un sein rond et plein s'hydrate les cuticules dans le fond de la pièce. « Rêve de pierre, je suis neutre, incorruptible et vierge de toute pensée », geint-elle doucement.
- Ben voyons ! La pénicilline, l'invention de la roue et celle de l'écriture, c'était pour le geste peut-être ?
- Mais-euh ! C'est pas ça qu'il dit, Aurélien, d'abord. C'est pas parce que ça a été aussitôt récupéré à des fins utilitaristes que je n'étais pas toute entière contenue dans la beauté gratuite de ce que ces découvertes révélaient du monde.
- C'est cela, oui. Admettons si tu veux. Mais ça ne fait pas de toi une émanation ex nihilo, quelque chose qui échappe aux tensions sociales, aux conditions de production historico économiques dans lesquelles on barbote tous. Un concept étanche a priori. La superstructure, punaise ! La superstructure, c'est pas pour les chiens !

Fier de sa tirade, le gros type n'a que le temps de tirer sentencieusement quelques bouffées de son cigare que débarque un énergumène, l'oeil frétillant, camé jusqu'à l'os, le genou tressautant au rythme de ses paroles hachées et grasseyantes tout à la fois. C'est Voltaire : « N'a-t-on pas assez lutté contre les superstitions, l'obscurantisme religieux, n'ai-je pas assez trempé ma plume dans mon sang et dans mes larmes pour qu'advienne ce monde de transparence et de vérité univoque ? Ah, voir un tel idéal réduit par ce fat chevelu, c'est Kant qu'on assassine ! »
- Oh, toi, le négrier libéral, ta gueule !

Ca envoie dans mon ciboulot depuis que j'ai lu l'hypothèse K !

Au début, je n'étais que révérence. le type, tout de même, ce n'est pas n'importe qui. Un super scientifique, super calé en plein de trucs dont l'objet même m'échappe complètement. Versé dans des théories visant à la décroissance, dénonçant l'inertie et le cynisme des décideurs face aux multiples catastrophes écologiques qui nous menacent. Arguant que seule la poésie pourra nous sauver. J'étais déjà conquise. Un style flamboyant qui envoie des métaphores comme d'autres des tonnes de CO2, dans un foisonnement débordant, éthylique peut-être. Mais charmant. Je n'étais qu'amour et enthousiasme.

Le constat est sans appel, je ne vous le refais pas. Ca craint du boudin sur tous les fronts, on ne fait rien, on en rajoute même avec des promesses technicistes. Nous sommes d'une idiotie abyssale quand nous songeons à produire une énergie même propre alors que, propre ou pas, c'est cette énergie qui nous permet de continuer à étendre le champ de nos destructions, à accélérer la fin rapide et inéluctable de toute existence (dont humaine) sur cette terre. Comme si on était très fiers de produire des bombes H qui soient écologiquement conçues et biodégradables. L'image m'a bien plu. Ce qu'on est cons, quand même !

Donc, le constat, on est raccord Aurélien et moi. La cause : considérer que les sciences exactes contiennent l'intégralité du monde et des façons de le concevoir. Laisser aux sciences des décisions qui ne relèvent pas d'elles mais d'une réflexion philosophique, éthique, poétique, autre quoi. Bien, là aussi, j'adhère.

Un peu moins à l'idée que la science puisse être décorrélée des fonctionnements de nos sociétés. D'où la saynète que je vous ai livrée plus haut. Aurélien Barrau semble s'étonner qu'elle suive « les mêmes schèmes d'évaluation, de financement, de publicisation, de concurrence, de surveillance et de communication qu'au sein des entreprises privées ». Bah oui, mon loup. C'est la même chanson partout. La science est sociale, faite du même matériau que toutes les autres créations humaines. Charmant, brillant mais un tantinet candide, le jeune homme, ou c'est moi ?

Et ce n'est pas seulement un passage, il y revient : « User de la science comme d'un simple accessoire d'étaiement et de fortification des présupposés systémiques – l'effondrer dans une pratique de consécration presque despotique – constitue plus qu'une offense à sa beauté et à sa grandeur [vous la voyez la statue de marbre aux jolis nibards ? ndlr] C'est également, et peut-être même surtout, une perfidie ou une forfaiture quant à son histoire elle-même. » Si c'est pas mignon, cette indignation !

Bon, alors je ne suis pas calée du tout en épistémologie mais il me semble que si l'on devait chercher la beauté et la grandeur de la science, son essence en fait, ce ne serait pas du côté de l'histoire mais plus de la philosophie qu'il faudrait aller. Au niveau conceptuel et non diachronique. Chez Spinoza, tiens, par exemple (bah quoi ?). Laquelle philosophie peut prétendre à être une science, au passage. Même pas molle. Juste un moyen méthodique et organisé d'appréhender le réel selon une démarche visant à une forme de systématisme. Mais bon, ce n'est pas l'essentiel et il serait bon que je ne sois pas interminable.

L'autre grande idée qui m'a dérangée, et c'est ennuyeux, c'est celle qu'il propose en solution : le recours à la poésie. A un moment, j'ai cru que ça irait. « La poésie n'intervient pas comme métaphore guillerette mais en tant que dynamique paradigmatique [euh… t'es sûr, Aurélien ? ndrl] d'une connaissance pointue ouverte sur son propre questionné. Une maîtrise souveraine de la langue qui, pourtant s'autorise à chaque phrase l'exercice d'une profonde violence à la grammaire comme à la syntaxe. » Alors, pas exactement. Y a de cela, mais pas que. Tu vois, il faudrait aussi parler du lexique, des connotations, des brouillages entre signifié et signifiant quand c'est justement l'arbitraire du signe qui va chercher un sens inédit. de la connivence avec le lecteur, de la réception. de la plasticité de la langue travaillée par le poète comme le peintre la matière. Des limites fluctuantes entre les mots, le monde, entre les mots qui disent le monde et ceux qui le sont. de l'énonciation qui leur permet d'advenir mais s'efface pourtant. Ou pas. Donc bon, tu n'y es pas exactement mais je vois ce que tu veux dire et c'est une belle idée. Allons-y ! Mettons de la poésie au coeur des processus scientifique ! Ca fera un peu d'air !

Sauf que. La poésie, là, comme ça, tu la fais reposer sur quoi ? A part cet extrait que je viens de recopier, Aurélien, tu ne parles jamais du langage. Ce qui est tout de même un peu problématique. Dans cet essai, pas bornée, j'ai cherché des références à la matérialité des sons si on ne veut pas aller sur la poésie au sens classique du terme, à l'inconscient, au symbolique, au religieux même, à quoi que ce soit en fait qui remplisse d'horizons ce vide que tu laisses derrière le mot « poésie ». Rien, que pouic !

Surgit de ma cervelle surchauffée et indignée une silhouette longiligne intégralement moulée dans une combinaison en peau de serpent. Après avoir jeté un regard de braise par-dessous ses longs cheveux noir corbeau, Silvia Lippi invite, d'une voix rendue rauque par le désir et les gauldo bleues sans filtre : « Come one, Aurélien, tu vas voir, on va te l'investir ton champ poétique, avec les frangines ! du contenu, tu vas en déborder, mon coco, du dense et de l'attente, de l'haletant et du pulsionnel, Là quand ! tu veux ? »

Bien, bien, bien… Ca s'arrange pas là haut !

En fait, comme pour la science, Aurélien Barrau fait de la poésie un hors-sol, même pas un concept mais une étiquette qui doit fournir une tangente. Il parle d'ontologie, mais ne la définit pas. Comme, au moment d'exposer ce qu'est sa vision de l'hypothèse K, il glisse le mot « téléologique », je crois comprendre qu'il s'inscrit tout de même dans une représentation du monde qui s'oriente vers une fin. Non seulement je ne suis pas d'accord, non seulement cette représentation est terriblement ethnocentrée et datée (cf les travaux de Philippe Descola et d'Emilie Hache) mais en plus, Aurélien Barrau n'est même pas conscient du cadre très limité dans lequel il s'inscrit.

Un propos qui ne s'historicise pas et qui ne s'ancre dans aucun référentiel idéologique, systémique ou symbolique, c'est pour moi, aussi louable et sympathique soient la démarche et le garçon, un propos qui ne tient pas. Il aura le mérite de faire parler, d'accompagner la prise de conscience et de produire, à sa suite, contre lui peut-être, d'autres discours. Espérons-les un peu plus enracinés.
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La science, c'est bien, mais...
Ce serait résumer lapidairement un essai brillant, trop peut-être, à la fois aguichant et déroutant. L'auteur, "hyper" intelligent, applique à la lettre son idée d'habiter poétiquement le monde et donc de réinjecter une bonne dose de fantaisie à une discipline qui a perdu de sa puissance révolutionnaire en se soumettant aux puissances dominantes, engluée dans une civilisation techno-logique, destructrice du vivant, humain, minéral et végétal .
Aurélien Barrau déplore le renoncement de la science à penser son sens et ses finalités, qui permettrait d'éviter une catastrophe civilisationnelle dont les scientifiques, essentiellement rationnels et mono-orientés, font le lit. D'où l'injonction à construire une chaopoétique du réel, à susciter des ruptures intellectuelles.
Le gaillard aligne les néologismes à satiété, me perd dès qu'il dévide son propos en suivant les circonvolutions fulgurantes de sa réflexion émises dans un style tarabiscoté ; il m'enthousiasme quand il questionne le projet de construire un grand accélérateur de particules, à la consommation d'énergie démentielle, nécessitant un tunnel souterrain de 90 km de long et l'excavation de 10 millions de mètres cubes de molasse.
"Est-ce digne" ?
Poser la question, c'est y répondre.
Le danger réside dans la dynamique propre d'un emballement insensé de la machine et de la programmation. le techno-cancer gagne en espace.
Je retiens de cette lecture déconcertante, que laisser la science penser pour nous, "relève d'une faute logique autant que d'une faillite politique."
Qu'un scientifique se positionne à rebours de son milieu me réjouit, de même que sa radicalité, dès qu'elle s'exprime détachée de tournures absconses.






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Comment la science participe à, voire accélère l'effondrement de notre civilisation, voire du vivant en général, en s'arrimant aux destin du système capitaliste ultra-dominant, en oubliant les valeurs de remise en cause des hypothèses, et en ayant perdu sa poésie. C'est la thèse de ce livre dont la première partie laisse KO au point de m'avoir fait hésiter à continuer.
Il est malheureusement des vérités que l'on n'a pas forcément envie d'entendre mais fallait-il un discours aussi noir, pessimiste et déprimant !?
Le dernier tiers, à partir du chapitre "l'exemple" renoue avec une pensée positive et malgré la désagréable impression qu'on aura du mal à changer de direction, nous laisse un peu d'espoir.
L'écriture est assez emphatique, compliquée par l'emploi de mots, adjectifs (souvent inventés) qui n'ajoutent pas vraiment de sens au texte, et c'est un peu dommage.
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