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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Vous est-il déjà arrivé de regarder un vol d'étourneaux et de trouver ça magique ? Ou alors de vous émerveiller devant un rapace planant au dessus de votre tête, d'une aurore boréale, d'un arc en ciel, d'une étoile filante… ? Et là paf une tête d'ampoule se ramène et vous donne l'explication scientifique de tous ces phénomènes. Loin d'être reconnaissant vous avez juste envie de la baffer façon Obélix pour avoir gâcher la magie et la poésie du moment. Donc quand un scientifique, astrophysicien qui plus est, invoque l'idée de redonner à la science la charge poétique qui lui manque, notamment afin de repenser le problème de la catastrophe écologique je suis tellement étonnée qu'il me faut lire cet essai !

Et j'ai bien fait ! Malgré quelques termes scientifiques et philosophiques un peu retors j'ai été agréablement surprise pas cette plume facile à lire et très compréhensible. Mais surtout j'ai été surprise des propos de l'auteur qui vont à l'encontre de ce que la plupart des scientifiques prônent. Il avance l'idée que toute avancée scientifique n'est pas forcément salutaire et que faire une chose juste parce qu'elle est faisable et/ou que c'est une prouesse technique est loin d'être un objectif noble. Il soulève également une question qui me semble centrale : Une découverte ne serait intéressante que si elle a un intérêt industriel ou marchand ? On en vient au coeur du problème : la science est désormais au service du monde économique. Telle qu'elle est pratiquée en occident elle manque d'âme, d'affect, en témoigne la banalité avec laquelle sont maltraités les animaux de laboratoire. (Je passe rapidement sur ce sujet sinon je vais m'énerver.)

Cette course en avant a fait de nous des êtres technodépendants et disons le de plus en plus pathétiques. Nous sommes dépendants d'une technologie qui n'est pas indispensable à notre survie et pire, qui hypothèque la survie de notre espèce et de toutes les autres espèces.

Dans la problématique actuelle liée au développement durable ce qui est demandé à la science c'est de nous permettre de continuer tel que nous le faisons plus longtemps. Produire une énergie propre pour nous permettre de poursuivre toutes nos activités industrielles, économiques, financières qui détruisent notre habitat. La fuite en avant énergivore montre que l'Homme ne se pose pas les bonnes questions et la science se retrouve otage de cela. « Le problème est moins la propreté de l'énergie que ce à quoi elle est destinée ».

Pour l'auteur, la science ne sauvera pas le monde en trouvant comment réduire les émissions de CO2 mais en proposant un autre chemin. Selon lui, notre science a besoin de philosophie, de poésie pour ne pas devenir quelque chose d'impérial et incontestable réduit à la technique et déshumanisée. le développement des avancés scientifiques ne doit pas nous échapper. La science ne peut plus continuer à être complice de l'artificialisation de notre monde et doit reconquérir son humanité, sa poésie, c'est à dire savoir faire corps avec le monde et pouvoir encore s'étonner devant celui ci.

Venons en au fait, qu'est ce donc que l'hypothèse K me direz vous ? Et bien c'est une vision de la catastrophe écologique qui nous menace et des propositions pour y faire face que je vous laisse découvrir. Et pourquoi ce nom ? Pour deux raisons : l'une scientifique, l'autre littéraire dont la démonstration est très intéressante. Mais il faudra lire pour en savoir plus.

J'ai dévoré cet essai audacieux et courageux entre science et littérature. Je me suis complètement retrouvée dans un grand nombre des idées exposées. Sur la question environnementale j'ai souvent l'impression que la vie même est sacrifiée sur l'autel de l'économie et du high tech et que faire du covoiturage ou cultiver ses carottes ne va pas changer grand-chose. J'ai la désagréable impression que l'avenir de notre planète est entre les mains de technocrates issus de grandes écoles qui ne savent plus ce qu'est la vraie vie : le chant d'un oiseau, l'ombre d'un arbre, le vent iodé porteur de promesses, la sensation de l'herbe sous les pieds nus et non pas un écran de PC, une grosse bagnole qui va vite ou le dernier tour appris par une IA. Alors voir ce cri du coeur porté par un homme de science ça fait du bien au moral même si reste à savoir s'il sera juste un tout petit peu entendu et écouté.
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Alors il faut vraiment s'accrocher au pinceau.

Personne ne déteste Aurélien Barreau. Lorsqu'on l'évoque, le plus souvent les gens réagissent par un "Je l'aime bien" qui fait référence à son look et à sa posture cool. J'ai suivi (enfin, façon de parler) quelques conférences d'astrophysique postées sur You-tube par celui qui intervient à l'université de Grenoble. Des conférences genre "pour débutant", sur les particules élémentaires je crois. Mais très vite, j'ai décroché. le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai trouvé cela ardu et pourtant j'avais quelques bases…

Le livre, je préfère le dire tout de suite, est à l'avenant. Mais, si on le décode un peu et qu'on va à l'essentiel, il nous délivre un message…révolutionnaire !

"Michel-Ange exténué, j'ai taillé dans la vie
Mais la beauté, Seigneur, toujours je l'ai servie."
Jean-Genet nous met d'emblée au parfum .

Aurélien Barreau grâce à une exergue et une introduction nous prie de bien vouloir l'excuser par avance : il ne cherche d'aucune manière à donner des leçons et encore moins à cracher dans la soupe. Penser, c'est toujours contre soi. Voilà qui est clair.

Puis très vite, il fait un certain nombre de constats dont tout le reste va découler.
Nous vivons une catastrophe civilisationnelle, un effondrement de la vie et une perte de sens. le premier étant, en partie, une conséquence de la seconde.
Ce petit essai ne propose donc, selon lui, qu'un "renouveau poétique et ontologique". Soit une redéfinition du réel. En porosité à l'inouï. En invite à l'extraire…

Le premier chapitre s'intitule : "Bien sûr, bien sûr…"
Il rappelle l'évidence de l'anéantissement biologique global, de l'avénement de la sixième extinction de masse : un tiers des insectes, des mammifères sauvages et des arbres ont disparus. Aucun retour en arrière n'est possible. Il ne s'agit pas seulement du réchauffement climatique mais aussi de la pollution, des forêts rasées ou brûlées , d'un taux d'extinction des espèces sans doute plus de mille fois supérieur à la normale, de millions de tonnes de déchets produits chaque jour.
L'eau de pluie est impropre à la consommation et toute l'Europe est contaminée aux "polluants éternels". Les centaines de milliers de réfugiés climatiques attendus ne sont guère compatibles avec un monde sans guerre ni génocide ou dictatures.
Le cas de l'effondrement de la vie sur terre est aussi incontestable que…la rotondité de la planète. Et la célérité de cette extinction dépasse nos pires anticipations .
À partir de ce constat sans appel, Aurélien identifie les responsables : les techno-sciences au service du productivisme, nous propose de changer radicalement d'ontologie et nous fait quelques propositions. C'est donc l'objet des chapitres suivants.
"Et pourtant"
Ce chapitre est important car il fonde le principe de décroissance porté par AR
La science a fait beaucoup plus de mal que de bien. Je cite :
"La science est souveraine en sa capacité à remanier ses propres construits, mais elle est absolument étrangère à toute revisitation substantielle de la méta-architecture"
Suit un réquisitoire implacable sur les méfaits de toutes les technologies qui ont provoqué un extraordinaire effondrement de notre "puissance d'être", une véritable réification consentie. Je cite à nouveau:
"Lire un texte écrit par une intelligence artificielle revient à faire l'amour avec une poupée gonflable"
La référence au réel s'est perdue dans une double déréférentialisation (perte du lien au monde et à l'auteur). Nous effaçons toute altérité. Il faut "convoquer ce carcan axiologique et ontologique".
Tout, ou à peu prés est à figer, pour arrêter la destruction systématique du vivant. AB ne veut pas d'une société technocratique sans visée et sans désir, sans intention et sans projet, vouée à peaufiner les fonctions qui ignorent leurs raisons.

"L'évident"
C'est le chapitre le plus rigolo du livre puisqu'il s'adresse surtout aux chercheurs.
Plus de viande à la cantine, rénovation énergétique des locaux, arrêter les colloques à l'étranger, arrêter de publier pour publier, se débarrasser du fantasme théandrique, ne plus admirer les spationautes, esquiver Twitter et Rihanna(!), faire une césure dans l'élan extracteur et arrêter de se voiler la face: la recherche n'est pas un geste irréfragalement bienfaisant: regardez le coût du futur méga-accélateur de particules qui ne servira pas à grand chose !
"La science peut bien éclairer le monde mais elle laisse la nuit dans les coeurs" proposait Durkheim cité par AB

Pour ne pas alourdir cette chronique, je vais rassembler les chapitres suivants ."L'important", "L'exemple", L'hypothèse K" se confondent facilement :
La science est un outil redoutable au service des puissantes dominantes, elle est investit d'un caractère religieux mais c'est une trans immanence échouée.
Il faut donc TRAHIRE, trahir l'origine, l'attendu, l'inertie, l'identique des thèmes institués pour réhabiliter une dynamique de l'errance.
Il s'agit de poétiser la science pour la refonder, déplacer nos expectatives, apprendre à aimer l'onto-poéto-logie oubliée ou effacée.
AB convoque Baptiste Morizot pour prouver qu'une science peut exister qui saurait subvertir les réponses en promesses hétèrotopiques, les accueillir en surprises uchroniques…
Il convoque aussi Freud, Valéry, Bergson, Anders, Deleuze, Wittgenstein, Bruno Latour et Jacques Ellul. Il s'agit de militer pour une science oblique, irrévérencieuse et incongrue, qui risque l'inconnue, polysémiquement juste.
Une science nomade, touareg ou tzigane, un espace ensemencé d'étonnement.
"Hanter poétiquement la science pour libérer son extraordinaire puissance d'insoumission"
Et de réhabiliter Alexander Grothendiek dans son ascèse de roi tragique des mathématiques.

Alors, alors pourquoi Hypothèse K.
K c'est le cancer, la science étant aujourd'hui ontologiquement métastatique.
K c'est Kafka
L'Hypothése K c'est "la prolifération technométastatique du cancer numéromachinique porté par un hôte-humain hébété et engourdi mais déjà symptomatique"

Il faut donc habiter poétiquement le monde. Concrètement, que cela signifie-t-il ?
AB est formel : "Rien, parce que précisément ça n'ambitionne rien "

Voilà, voilà, je vous avais un peu prévenu et j'ai beaucoup traduit, en tout cas, je l'espère.


Aurélien Barreau, aussi compliqué soit-il à lire, est absolument incontournable car il nous annonce "une expectative assumée d'une révolution du sens, d'une révolution du signe ."

Arrêtons-nous de consommer, de produire ! Faisons tous ensemble un grand Haïku à la gloire de la décroissance et à l'avenir de nos petits-enfants !! Ré-écoutons le chant des oiseaux, marchons pied-nu dans l'herbe.
Rêvons avant qu'il ne soit trop tard.
Rêvons, les ami(e)s.
Rêvons...


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Du Aurélien Barrau pur jus dans le texte, qui déplore une fois de plus notre effondrement civilisationnel et le compare malicieusement à la progression inexorable d'un cancer métastatique inarrêtable avec son hypothèse K. « K » comme Karkinos, du grec ancien désignant le crabe ou « K » comme Kafka. Un essai bien conduit, une réflexion sur la contribution de la science à la marche du monde sous ses aspects négatifs et positifs et la nécessité d'un pas de côté du scientifique par la pratique d'un art (la poésie et Jean Genet en particulier ayant sa préférence!).On se régale de cette prose, parfois alambiquée, mais toujours avec l'emploi du mot juste qui contribue à renforcer l'argumentation de l'auteur.
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Court mais dense ,ainsi pourrait-on qualifier cet essai d'Aurélien Barrau .L'astrophysicien revient sur le sujet qui lui tient à coeur celui de la catastrophe écologique en cours. Il s'attache en particulier au rôle de la science et des scientifiques tant comme cause que comme remède . Dans un constat rigoureux , il montre comment une certaine conception de la science entraîne la prolifération mortifère de la technologie (qu'il compare à un cancer) et un appauvrissement dans notre approche du réel . Les derniers chapitres ,dans lesquels il envisage une science rendue à son rôle subversif et poétique, sont à la fois stimulants par leur originalité mais aussi parfois un peu obscurs (pour moi ,lecteur lambda) par abus d'un langage frôlant la préciosité. Une lecture à conseiller toutefois en nos temps où l'intelligence devient une denrée rare.
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J'ai d'abord pensé au K de Buzatti (que je relis par hasard actuellement), retrouvé ici des similitudes avec le fameux recueil de nouvelles de l'écrivain italien. L'illusion déliquescente du pouvoir, celle du bonheur factice (façonné par la possession, la domination), l'inéluctabilité de la mort et, dans le même temps, l'épiphanie renouvelée de la vie qui nait, foisonne, magnifiée par l'éphémère, sublimée par la simple contemplation. Pour peu qu'on y prenne garde. Qu'on sorte des sentiers battus, afin de vagabonder, se perdre pourquoi pas, en chemin. Exister.

On comprend plus tard, que l'analogie est d'ordre oncologique (carcinologique). La métaphore est celle de la technologie prédatrice épuisant les ressources de la planète, son énergie…comme la nôtre du reste.

Aurélien Barrau nous enjoint à redescendre du piédestal sur lequel les croyances qui traversent nos sociétés « modernes » nous ont placés, érigeant des dogmes profondément ancrés dans nos esprits, bâtissant de monstrueuses forteresses de certitudes. Pétris d'orgueil et de vanité, nous nous acharnons à dresser une muraille étanche entre nous, homo sapiens, et le reste du vivant. Voilà qui est bien commode, mais si terriblement pauvre intellectuellement, émotionnellement ! Sur cet autel froid, nous pouvons légitimer tous nos actes, surtout les plus vils, sacraliser presque la destruction systématique du beau. Nous ! êtres transcendants qui avons apparemment hérité de la Terre comme d'un jouet que l'on accapare. On peut ajouter aussi notre propension à s'extraire de cette « Nature », dont on définit mal les contours, dont on a souvent peur, car, dans l'imaginaire collectif, elle est, par essence, chaotique, parfois terrifiante, échappant de fait à notre contrôle, notre volonté.

Est-il impensable d'envisager de cesser (un peu) cette course effrénée, absurde ? Peut-on encore se convaincre, tels de fanatiques sectateurs, que l'on pourra exploiter jusqu'à l'os des ressources qu'on se représente inépuisables ? Est-il si aberrant, utopique, imbécile, d'oser freiner, s'arrêter par moment, contempler les vagues grises, un coin de jardin où s'active une colonie de fourmis, avant que la mort ne nous cueille et que dans un dernier spasme, on soit submergé par le regret ?

J'ai un profond respect et une admiration sincère pour l'érudition d'Aurélien Barrau, son aisance à l'oral comme à l'écrit, sa capacité d'abstraction, de conceptualisation, la construction élégante de sa pensée, de son raisonnement.

Qui suis-je au fond pour sanctionner d'une note désincarnée un poète sur un site comme celui-ci ? Cela n'a aucun sens. Alors je prends le parti d'évaluer mon seul ressenti émotionnel à la lecture de cet ouvrage.

L'heure n'est plus au constat. L'effondrement sans précédent et vertigineux du vivant, le dépassement de toutes les limites définissant l'habitabilité de la planète, on y est.

D'autres le font aussi, insistant sur la nécessité d'une vision systémique du phénomène et non d'en extraire quelques composantes symptomatiques (la part du réchauffement climatique liée aux gaz à effets de serre par exemple). Souvent, ce sont (et c'est effrayant) les plus « simples » (et les plus « consensuels ») de nos problèmes que l'on met en avant (occultant le reste), car, pour ceux-là, des « solutions technologiques » sont potentiellement envisageables. En gros, concevoir « l'obstacle » (pour ne pas dire le « péril »), que du point de vue de l'ingénierie, de la technique. Donella H. Meadows l'évoquait déjà au siècle dernier dans « Pour une pensée systémique ». Arthur Keller, dans ses conférences poursuit brillamment ce travail et expose avec beaucoup de clarté le contexte actuel ainsi que la vision biaisée que l'on peut en avoir. Je conseille aussi « Ralentir ou périr » de Timothée Parrique, essai d'économie admirable et implacable. Lui parle de « post-croissance » pour ne pas commettre le crime de lèse-majesté d'employer le terme honni de « décroissance ». Prospérer, sans croissance, être heureux sans 6G ? Bon sang c'est si dur à imaginer ?

Mais cette nécessité vitale, ontologique (presque) à au moins « freiner » n'est pas rentrée dans les moeurs. L'illusion, l'endoctrinement, la chimère du Dieu « progrès », de l'émancipation par la technologie et la possession matérielle ont la vie dure. La vision néo-colonialiste du monde transparait en fond, comme une vieille lune, où tous ceux qui n'avancent pas au même rythme, refusant « la marche vertueuse du progrès » sont déconsidérés, raillés, conspués ou caricaturés.

Amish, âge des cavernes… .

Comme les conquistadors d'antan, voilà que les libéraux vénérant le « marché » viennent prêcher la bonne parole, prêtres missionnaires évangélisateurs d'un modèle productiviste inepte, dépassé, triste, prédateur jusqu'à la destruction. La loi du plus fort, le règne de l'individualisme, la concentration insensée des richesses par une poignée, et par-dessus tout, le « tour de force », faire accepter cela à tous les autres.

Ma seule nuance dans cette « Hypothèse K » tient dans la définition même du mot « Science » puisque qu'Aurélien Barrau exprime souvent l'idée qu'on nous vole les mots, qu'on les vide à dessein de leur substance et de leur sens pour mieux s'en servir dans des logorrhées serviles et mièvres.

J'ai eu du mal à associer des qualificatifs de « prosaïque » et de « poétique » à la Science comme l'envisage l'auteur même si je crois deviner le sens de son propos, l'urgence de son propos ! Cette notion de « trahison » salvatrice, je l'appréhende sans en mesurer les conséquences. La faute sans doute, à mes capacités limitées à voir aussi loin que lui, à concevoir ce nouveau paradigme dont il dessine les contours, mais qui reste encore nébuleux pour moi.

Je continue (à tort surement) d'attribuer à la Science une signification épistémologique. C'est, je crois, avant tout, un contrat tacite entre les chercheurs, les hommes, une méthode rationnelle d'explication de la nature avec les seules ressources de la nature. En tout cas c'est le postulat vertueux. L'objectif est la cohésion des sociétés par une construction du savoir collectif, auquel on peut adhérer, car réfutable, en mouvement et non dogmatique. J'aime bien une phrase de Patrick Tort qui résume cela de manière un peu provocante en disant que « La religion c'est la vérité révélée, la science c'est la vérité démontrée ».

À écouter aussi, ou lire, Guillaume Lecointre qui expose clairement les « piliers » fondateurs de la Science : scepticisme initial ; réalisme ; rationalité (logique et parcimonie) et matérialisme méthodologique. Ce sont les règles du jeu qui permettent d'avoir « confiance » (au sens où l'entend Gérald Bronner par exemple, dans la « Démocratie des crédules »). Confiance mesurée, emprunte d'esprit critique, mais confiance quand même « l'essence de toute vie sociale est la confiance – Gérald Bronner ».

On laisse à la porte de l'édifice où l'on bâtit les savoirs ses certitudes, la métaphysique, tout comme l'intentionnalité. Bien entendu on pourrait me rétorquer « constructivisme des faits », « relativisme social, historique ou conceptuel », mais la Science est un pari sur le long terme. Ne restera plus rien, tôt ou tard, du messager qui a proféré telle ou telle théorie, loi, mais bien uniquement le message si celui-ci n'est pas réfuté par la démonstration. Les principes de la thermodynamique par exemple sont consubstantiels d'une époque d'industrialisation naissante, de la surrection des « machines ». Mais pour autant, on a oublié la plupart de ses fondateurs alors que les formules s'appliquent encore.

Il y a la donc d'un côté la « Science » (inévitablement amorale) et de l'autre, « les usages de la science ». Bâtir une centrale nucléaire ou fabriquer des bombes atomiques est un choix, qui ne dépend plus des mécanismes intrinsèques d'élaboration collective des savoirs, de l'universalisme de la construction des connaissances, mais, s'inscrit dans une strate différente de la société, que l'on peut assimiler à la sphère citoyenne, politique, philosophique et par essence, cette fois, morale. Peut-on reprocher à Ernest Rutherford, par exemple, ses travaux sur la physique nucléaire (lui qui en est un des pionniers), les conséquences de ses recherches (auxquelles il ne conférait d'ailleurs que peu de perspectives ou d'application réelles) et par capillarité, le rendre responsable d'Hiroshima ?

Je comprends bien qu'on pourrait, bien en amont, nuancer sur le cap, les attendus de la Science, mais n'est-ce pas déjà rompre avec ce contrat tacite et universaliste qui rendent les contenus partageables et objectifs ? N'est pas là déjà, orienter le débat par conviction et se risquer sur des chemins inconnus ? Mais peut-être aussi que l'urgence de la situation nous contraint à arbitrer rapidement ce choix cornélien.

Redéfinir la Science, comme le souhaite Aurélien Barrau, en se référant à l'un des premiers récits scientifiques, de Rerum natura et sa composition poétique (en hexamètres dactyliques), je me sens un peu perdu, perplexe face à cette idée.

Mon propos est déjà trop long, je m'en excuse. Ce que je retiens de ce livre, c'est la position sans concession d'Aurélien Barrau, sa révolte (que n'aurait pas renié Jean Genet qu'il admire, je crois), quitte à choquer ou risquer d'être déconsidéré, lui qui pourrait se satisfaire de sa notoriété, de son statut et de son parcours.

Peut-être oui, se tourner vers la poésie, la contemplation à l'heure ou un premier ministre, aux allures improbables d'homoncule grotesque, esprit sclérosé, réactionnaire, d'un autre siècle, engoncé dans une carapace juvénile, assène, lors d'un discours de politique générale insane, des coups de canon qui montrent que l'espoir d'un changement profond de mentalité s'envole chaque jour un peu plus. Les mots, froidement martelés : « production », « progrès », « réarmement », « consommation » sont autant de clous sur le cercueil de notre humanité.

Je regarde le monde qui m'entoure, m'étonne du peu de considération devant le constat effroyable de l'éradication systématique de la vie. « Silence dans les champs », « Nature silencieuse », business as usual, cocon technologique. Circulez, il n'y a (plus) rien à voir ni à entendre ! Et, face à cela, on rencontre beaucoup de mépris, de suffisance, de sophismes faciles qui catégorisent, ostracisent, disqualifient. le dogmatisme du libéralisme économique, des logiques illogiques du « marché » auront remporté la bataille politique et des esprits. Voilà rendus milliardaires des vendeurs de sacs à main ou des personnages vulgaires, boursoufflés d'arrogance, pensant désormais pouvoir conquérir l'espace, bafouant les cieux, poussés par une grotesque mégalomanie, dépensant des fortunes afin de planter un insignifiant drapeau sur une planète morte. Et après ?
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