Agatha emmagasine images et sensations qui nourrirront plus tard ses personnages de vieilles dames, à commencer par Miss Marple, et ses descriptions d'une Angleterre traditionnelle, un peu désuète, qui plaisent à ses lecteurs.
Même s'il lui arrivera de s'inspirer de personnes qu'elle connaît bien pour camper ses personnages, la romancière se dit convaincue que le cas de figure idéal pour initier une intrigue est une information qui accroche l'imagination, mais qui est suffisamment ténue pour ne pas l'enfermer.
La romancière dramaturge (une combinaison alors peu fréquente, surtout pour une femme) est donc parfaitement consciente que, pièce après pièce, il lui faut conquérir les spectateurs : elle comparera les pièces de théâtre à des chevaux de race qui parfois étonnent, parfois déçoivent leurs propriétaires.
Début 1925, la vie d'Agatha semble se stabiliser dans une phase heureuse et prendre définitivement la voie sur laquelle elle s'était engagée en amatrice: elle sera écrivain, maintenant elle en est certaine.
Après le départ de Madge commença la deuxième étape de ma vie. Nous n'étions plus à présent les Miller, une famille, mais juste deux personnes qui vivaient ensemble : une femme entre deux âges et une petite fille en herbe et naïve.
Un soir de 1930, Agatha se rend à l'Escargot, dans Greek Street, un restaurant de cuisine française récemment ouvert dans le quartier de Soho. C'est là que le Détection Club procédé à l'intronisation de ses membres. Quelques mois auparavant, Dorothy Leigh Sayers et Antony Berkeley Cox, deux grands noms du roman d'intrigue, ont eu l'idée de réunir leurs pairs en une association prestigieuse où l'on veillera à la promotion de la littérature policière. Leur ambition est de codifier ce genre qui n'en est encore qu'à ses balbutiements : Sherlock Holmes, l'archétype du détective est né il y a moins de 50 ans !
Son terrain d'action est impressionnant: trente-trois romans, cinquante-six nouvelles, une pièce de théâtre le montrent en train d'élucider autant de meurtres, et toujours - il s'en vante - grâce au travail de réflexion intense qu'il mène sur les éléments qu'il a collationnés lors de nombreux interrogatoires. Ces indices sont autant de pièces d'un puzzle qu'il doit assembler pour comprendre ce qui s'est passé. Quand enfin il estime les avoir réunies, il se retire pour réfléchir, les trie avec méthode, les combine... Soudain, tout devient logique, les faits s'emboîtent comme les pièces d'un puzzle: la vérité éclate au grand jour. Le détective peut alors convoquer les comparses du drame et démonter devant eux, avec une précision et une logique imparables, le processus qui l'a conduit à identifier le meurtrier. La méthode Poirot tiendra en haleine des millions de lecteurs.
La vie d'Agatha est-elle devenue ce long fleuve tranquille qu'elle décrit dans son autobiographie et dont ses proches perpétueront le récit ? Rien n'est moins sûr...
Tous les matins, un domestique apporte aux occupants de chaque tente un pichet d'eau chaude en même temps qu'une tasse de thé : Agatha déclarera avec humour à un journaliste que l'eau du Tigre est bien supérieure à celle de la Tamise pour préparer sa boisson favorite.
Sans doute le milieu dans lequel la fillette évolue lui permet-il de déployer pleinement une imagination hors du commun. Son éducation, pour être encadrée, lui laisse une grande liberté. La relative solitude qu'elle connaît, loin de lui peser, lui donne le temps de rêver. Elle y acquiert une capacité précieuse : ignorer l'ennui.