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Citations sur Plats du jour : Sur l'idée de nouveauté en cuisine (38)

Sans doute faut-il voir dans cette simplification de la cuisine (après la fin du règne de Louis XIV, au XVIIIe siècle ...) une conséquence du cartésianisme dont il a été question plus haut : le désir de clarté, la rationalité poussent à s'interroger sur la nécessité et à supprimer l'inutile. Par ailleurs, la question du changement d'échelle est trop souvent négligée : les obligations du service à la française - la nécessité d'occuper l'espace au maximum, le "devoir" d'ostentation - impose dans les grands repas, pour des questions de visibilité et de diversité, une certaine surcharge ; celle-ci n'a plus de raison d'être dans un repas en petit comité, devenu le symbole même du bon ton et pris le plus souvent autour d'une table ronde ou ovale, où les deux préoccupations principales sont le raffinement culinaire et les plaisirs de la conversation, voire du libertinage.

L'autre grande préoccupation de la cuisine du XVIIIe siècle est donc la santé. Ainsi Marin peut-il, à propos de sa recette de "quintessence ou restaurant", faire ce commentaire : "Mais je suis pour la façon la plus simple, & je crois que c'est la meilleure pour le goût & pour la santé."
Il n'est pas indifférent , d'ailleurs, que ce nom donné au bouillon très concentré qui sert de fond aux diverses sauces (...) soit celui de "restaurant", c'est-à-dire de fortifiant, de reconstituant : ainsi, ce qui constitue la base de la cuisine est aussi un gage de meilleure santé.

Cela restera le plus souvent un vœu pieux, il faut bien le dire, et la question du luxe traversant tout le siècle, il n'est pas étonnant de la retrouver aussi dans ce domaine : le luxe est moralement et physiquement destructeur. C'est l'argument donné par Jaucourt quand il rédige l'article "Cuisine" de l'Encyclopédie (...)
La préoccupation diététique rejoint ici le souci de naturel, dont on a vu qu'il est au cœur même de l'esthétique culinaire française. Ce souci est aussi celui de Jean-Jacques Rousseau dans Emile où la question de l'alimentation tient une grande place : "Enfin, plus nos goûts sont simples, plus ils sont universels" ...
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Il paraît certain que cette prolifération de livres de cuisine (vers les années 1730-1760) ait eu un effet mécanique sur la production de nouveauté : en instituant la concurrence entre les différents auteurs, ceux-ci sont amenés, d'un livre à l'autre, voire d'une édition à l'autre, à imaginer de nouvelles recettes pour se démarquer les uns des autres, et d'autant plus que le plagiat est fréquent.
Par ailleurs, la diffusion des modèles a un effet multiplicateur : le cuisinier qui trouve son inspiration dans ces ouvrages souhaitera se distinguer, apporter sa touche personnelle, faire œuvre originale, même modestement.
Le système mis en place au cours des décennies précédentes, principalement dans la haute cuisine, facilite ces variations.
Comme le souligne Jean-François Revel, la première chose - l'unique, peut-être - que demande un patron à son cuisinier, est de proposer des plats encore jamais vus.
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Cet intérêt pour les légumes semble avoir une origine italienne, mais comme beaucoup d'autres emprunts à la culture de ce pays, dans des domaines aussi divers que l'architecture ou le ballet, l'art des jardins ou l'opéra, les Français s'en emparent pour en faire un usage original. (...)

Des nouveautés concernant l'aménagement et l'équipement des cuisines apportent des solutions techniques qui permettent cette évolution culinaire : ainsi en est-il du potager et de la batterie de cuisine moderne qui se généralisent à cette époque.

Le potager est une sorte de fourneau en maçonnerie offrant plusieurs "feux". Il s'agit, en fait, de cavités creusées dans le plan de travail situé à hauteur d'appui ; celles-ci, munies au fond de grilles pour permettre l'évacuation des cendres, sont remplies de braises prises, elles, dans la cheminée.
Le potager, qui semble d'origine italienne (...), a de nombreux avantages par rapport au feu ouvert de la cheminée : d'une part, il offre un choix de sources individualisées de chaleur plus contrôlable, de l'autre, il permet de travailler debout. Le cuisinier peut ainsi mieux surveiller le contenu de ses casseroles et multiplier les préparations.

Comme le soulignent Françoise Sabban et Silvano Serventi :
"Les préoccupations des cuisiniers en matière de cuisson ne s'arrêtent pas au respect des primeurs et des chairs rôties, elles concernent le processus dans son ensemble. En témoigne la précision des textes des recettes, surtout chez les successeurs de La Varenne, et en particulier chez Massialot. S'il est une étape que l'on surveille de près, c'est bien celle-ci. Il n'est pas rare que soit indiquée l'intensité du feu, bien précisé le mode ou l'instrument choisi, ou encore le temps nécessaire selon la nature du mets préparé." (Sabban et Serventi, 1998)

Apparu en France au cours de la Renaissance, le potager voit son emploi se généraliser au XVIIe siècle, du moins dans les cuisines des maisons connaissant un certain train (...) La casserole, telle qu'on la connaît encore aujourd'hui, apparaît, elle, au XVIIe siècle. D'abord en fer battu, puis en fer-blanc, ce n'est qu'au siècle suivant qu'elle se fabriquera en cuivre étamé.
L'adoption de cet ustensile, parfaitement adapté à la cuisson sur le potager, permet un contrôle précis de son contenu et facilite ainsi la confection des roux qui servent désormais à lier les sauces ou à la préparation des ragoûts.
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Abandon progressif des sauces acides, héritées du Moyen-Age, pour d'autres, à dominante grasse, adoption d'une nouvelle technique de liaison, celle du roux, sans doute d'origine espagnole et, au-delà, arabe, séparation de plus en plus nette du salé et du sucré, repoussant ce dernier à la fin du repas, presque totale disparition des épices, part plus importante accordée aux légumes - on connaît le goût immodéré de Louis XIV pour les asperges et la folie des petits pois qui s'est emparée de la Cour et de la Ville (...) Mise au point des "ragoûts", ces fameux "plats en sauce" gloire de la cuisine nationale, qui permettent de varier les entrées, codification du service à la française qui tend à distinguer les modes de cuisson et les différentes combinaisons, sont autant de traits désormais distinctifs de la table en France.

Certains innovations de l'époque peuvent se rattacher à cette recherche du "naturel" dont Bonnefons (l'auteur des "Délices de la Campagne", publié en 1654, trois ans après "Le Cuisinier françois" de La Varenne) se fait l'interprète.
Ainsi en va-t-il de l'abandon des épices, mais aussi de l'adoption des sauces grasses, de la séparation de plus en plus franche entre salé et sucré.
Ce lien est assez clair concernant la question des épices, il ne l'est pas moins pour le changement de base des sauces : en effet, au lieu de contraster avec la saveur du mets, comme le faisait l'acidité, l'onctuosité du beurre ou de la crème l'accompagne au contraire, l'amplifie en lui donnant de la persistance.

De même, la distinction entre salé et sucré correspond sans doute à une reconnaissance du sucre en tant qu'ingrédient à part entière plutôt qu'en tant qu'épice comme il l'était jusque-là, et l'usage indifférencié que cela impliquait : il n'est plus question désormais d'en saupoudrer tous les plats comme on pouvait le faire de la cannelle ou du gingembre.
D'ailleurs apparaissent des traités de pâtisserie distincts des livres de cuisine qui prennent en charge la confection des pâtes mais aussi de tout ce qui appartient au domaine du sucré.

De même, la part plus grande accordée aux légumes correspond certainement à cette recherche du naturel.
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Trois ans plus tard (après la publication en 1651 du "Cuisinier françois", livre de François Pierre La Varenne, cuisinier français), en 1654, paraît "Les Délices de la Campagne" de Nicolas de Bonnefons. Ouvrage assez différent, car il ne s'adresse pas au même public et son auteur n'est pas cuisinier mais valet de chambre du jeune Louis XIV. Il n'en est pas moins fondateur pour autant. Il s'agit d'une sorte de complément au "Jardinier François" du même auteur, publié la même année que "Le Cuisinier françois" de La Varenne : après avoir traité de l'art du jardin potager et de celui du verger dans son premier ouvrage, Bonnefons dans ces "Délices de la Campagne" nous instruit sur la meilleure façon d'utiliser leurs produits.
Alors que "Le Cuisinier françois" est destiné en priorité à l'aristocratie - même si son titre indique qu'il s'agit de mets "qui se servent tant sur la table des grands que des particuliers" -, "Les Délices de la Campagne" l'est aux "dames ménagères".

Si les préparations en sont plus simples, elles reflètent également l'un des traits les plus innovants traversant tout le livre de La Varenne, la recherche du "vrai goût". Et Bonnefons le revendique de manière radicale (...)
Même si chez lui subsistent aussi des archaïsmes, si les épices n'ont pas totalement disparu, cette revendication du goût "naturel" est l'antithèse absolue de l'esthétique du déguisement et de l'artifice qui régnait sur la cuisine jusqu'alors. Peu d'années plus tard, un auteur qui s'est opposé à La Varenne, connu par les seules initiales L.S.R., renchérit sur ce principe, l'étendant aux préparations de viandes (...)

Cette exigence nouvelle s'est avérée fondamentale dans la cuisine française et, malgré des éclipses momentanées, l'a sous-tendue toujours, conduisant à la conception de la cuisine (...) un assemblage d'éléments distincts traités de telle sorte que leurs qualités "naturelles" soient mises en valeur et que l'ensemble magnifie l'ingrédient principal.
De plus, la cuisine française a tendu périodiquement, jusqu'à aujourd'hui, à vouloir se régénérer sous les auspices du "produit" et d'un retour au naturel.
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Le milieu du XVIIe siècle voit éclore un phénomène que l'on pourrait presque considérer comme nouveau, la publication de livres de cuisine FRANCAIS.
(...) Aussi la parution en 1651, à Paris, du "Cuisinier françois" de François Pierre La Varenne est-elle un événement, mais ne constitue pas une exception à ce seul titre : les livres italiens qui, traduits, circulaient en France et représentaient le comble de l'élégance, étaient l'œuvre de maîtres d'hôtel et non de cuisiniers. François Pierre La Varenne, lui, est cuisinier (...)

Ce nouvel état de fait, constituant un premier pas vers l'autonomie de la cuisine, ouvre sans doute d'autres perspectives à celle-ci. Ce livre apparaît donc comme fondateur. Il inaugure une nouvelle ère éditoriale et celle-ci s'avère prospère : non seulement cet ouvrage et d'autres qui suivront, de cet auteur ou de confrères, connaissent de nombreuses éditions et de non moins nombreuses contrefaçons, mais ils entrent pour certains - Le "Cuisinier françois" en particulier - dans la fameuse Bibliothèque bleue, touchant de cette manière, grâce au colportage, des lecteurs de différentes classes sociales, et jusque dans les provinces les plus reculées.

Mais la rupture la plus radicale se trouve plutôt dans le contenu et dans la manière de le présenter : La Varenne propose des recettes reflétant véritablement son époque et entérine ainsi les changements de goûts survenus au cours des décennies précédentes, ce long travail préparatoire qui a permis aux palais français de se détacher des habitudes médiévales, même si certaines subsistent encore.

Il organise aussi son livre de manière beaucoup plus rationnelle que ce qui se faisait auparavant, classant les recettes par services, pour le gras, le maigre et le Carême. Certes La Varenne fait encore souvent preuve d'archaïsme, mais il offre cependant un grand nombre de recettes véritablement innovantes : comme le souligne l'historienne Beatrice Fink, il s'agit du premier livre proposant des recettes fondées sur le principe moderne de la liaison et non plus du simple mélange.
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Mais, en définitive, qu'est-ce donc que la nouveauté en cuisine ? La réponse n'est pas univoque ...
En effet, elle semble pouvoir être abordée de deux façons, suivant que l'on se place du point de vue du praticien, de celui qui produit, ou bien du point de vue du mangeur, de celui qui consomme.
La première pourrait être qualifiée de technique, la seconde de socioculturelle.

Bien évidemment, l'une et l'autre recouvrent un certain nombre de sous-catégories et peuvent interférer l'une sur l'autre, ce qui arrive souvent, mais pas forcément de manière bien synchrone.
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La cuisine semble, aujourd'hui, susciter un intérêt planétaire : des pays autrefois peu suspects de gourmandise s'avèrent en être devenus des consommateurs frénétiques, d'autres, qui semblaient voués à des nourritures plutôt rustiques, jettent les traditions par-dessus les moulins et deviennent les militants d'une avant-garde que certains souhaiteraient révolutionnaire, d'autres encore, qui peuvent s'enorgueillir d'un héritage quelquefois encombrant, ne savent que faire pour donner un coup de jeune à celui-ci et paraître toujours à la page.

Et si cet engouement ne se manifestait seulement que dans les cercles d'initiés, les médias spécialisés ... il semble, au contraire, tout contaminer : les pages ou les émissions économiques, les rubriques consacrées aux faits de société, les sommaires des magazines et les grilles des programmes de la télévision, sans parler d'Internet où blogs et sites consacrés à la cuisine ou à la gastronomie constituent un secteur florissant.

Cet univers qui, pendant longtemps, a cultivé une image pondérée, voire conservatrice, semble tout à coup pris d'un irrépressible besoin de nouveauté et d'innovations. Comment en est-on arrivé là ?
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