Et puis, d'un coup, la réalité s'imposa à elle : elle n'était plus à Paris mais en Tanzanie ; elle ne se trouvait pas dans sa chambre confortable, mais sous une simple tente...
Dehors, tout près, le rire lugubre qui l'avait tirée de son sommeil se faisait de nouveau entendre. La jeune fille se recroquevilla sous ses draps :
« Une hyène!... ce doit être cet animal que j'entends marcher. »
Elle savait que ces nécrophages ne s'attaquent jamais aux êtres vivants et ne se nourrissent que de cadavres ! Cela la rassura à demi.
« Il y a quelques siècles, il aurait pu être un corsaire, ou un condottiere... l'aventure aurait été son lot. Mais n'était-ce pas l'aventure qu'il était venu chercher ici, en cette Tanzanie où la civilisation n'a pas encore dépassé les grandes villes ?
Il ne l'aimait pas. Elle devait l'oublier. Elle l'oublierait, elle y était décidée. Mais du moins laisserait-elle à ce misogyne le souvenir d'une femme qui, sur le plan professionnel, le valait bien.
Elle le réalisait maintenant : elle avait été troublée par cet homme plus qu'elle n'avait voulu se l'avouer, sur le moment. Elle revit les yeux sombres, la musculature puissante, les mains qui l'étreignaient, prenaient possession d'elle comme si elle n'eût été qu'un jouet... Et puis la voix mordante, la désinvolture insolente avec laquelle il avait lancé : « j'ai voulu vous montrer ce qu'une femme risque... » Dehors, les bruits de la nuit tanzanienne la faisaient frissonner de crainte... Mais qu'y avait-il de plus dangereux pour elle : le léopard qu'elle entendait toujours feuler dans le lointain, ou cet homme tout à la fois odieux et... et envoûtant?
Elle était tout à fait décidée à rester. Quoi qu'il arrive.
D'abord, ses travaux la passionnaient. Ce n'était plus de la recherche scientifique, sans motivation spéciale, comme elle l'avait pratiquée jusqu'alors. A présent, il s'agissait de sauver des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants. Pour la première fois, Guenola était en contact direct avec la vie. Ce qu'elle faisait ne restait pas au secret du laboratoire : elle luttait avec des médecins pour combattre un fléau, et ce combat acharné, elle était bien décidée à le mener jusqu'au bout. Et cela, malgré tous les obstacles qu'on pourrait mettre en travers de sa route.
Patrick n'était qu'un rêve, une illusion contre laquelle elle devait lutter. Il n'était pas possible qu'elle fût amoureuse de lui. La jeune fille en était certaine : il l'attirait physiquement, c'était tout. Cette beauté masculine, cette virilité qui se dégageait de lui, ces yeux sombres, pareils à un lac noir de montagne... et même cette arrogance du patron qui a l'habitude d'être respecté par tous, infirmières et médecins, tout cela agissait sur elle comme un aimant.