Le Déchronologue en quelques mots, c'est l'histoire du pirate Henri Villon qui écume les Caraïbes au XVIIe siècle. Il est en quête d'or et d'argent, classique, et aussi de maravillas. Si tu n'as pas fait espagnol LV2, il s'agit de “merveilles” qui désignent ici des artefacts venus du futur. Maintenant, je te laisse imaginer un capitaine pirate avec un baladeur MP3 sur les oreilles ou en train de donner des ordres au reste de sa flotte par radio.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes de la flibuste si les choses en restaient là. Sauf que voilà, les couloirs temporels qui catapultent de menus objets de haute technologie finissent par déconner à fond les ballons. Une flotte romaine, passe encore, mais un porte-avions a vite fait de devenir la terreur des océans…
Bon bouquin, mais... On attaque d'emblée sur ce “mais”. le découpage ne suit pas l'ordre chronologique des chapitres. L'idée est intéressante et colle au thème du chamboulement temporel.
Deux options :
1) Tu lis dans l'ordre où les pages se présentent, tu commences par le chapitre I et avant d'arriver au II, tu auras lu les XVI, XVII et VI. C'est ce que j'ai fait dans un premier temps… Trop fouillis à mon goût, trop de spoilers.
2) Tu lis dans l'ordre classique des chapitres I, II, III jusqu'à XXV avec de fréquents détours relous par la table des matières pour trouver les bonnes pages. Si tu aimes les livres dont vous êtes le héros, tu t'y sentiras comme chez toi. Après avoir décroché de l'option 1, je suis parti sur cette solution. Sauf que que vérifier la table des matières à la fin d'un chapitre m'a chaque fois sorti du texte. Et c'est dommage.
Ce fouillis organisationnel se retrouve en arrière-plan du volet SF. Si les aventures du pirate Villon sont construites avec une extrême rigueur narrative, il reste beaucoup de blancs sur le thème des aléas temporels.
Les maravillas expédiées à rebrousse-temps, ok, on comprend qu'il y a une couille dans le pâté des univers parallèles. Mais quand des gens du futur se pointent, on patauge dans le pas clair. Certains viennent en observateurs, censés observer (logique) sans intervenir. Mais d'autres mettent leur grain de sel pour limiter les dégâts qui prennent de l'ampleur. Plus tard on apprendra qu'ils ne sont pour rien dans les failles temporelles, causées par des tiers… sur lesquels on ne saura rien. Les motivations, objectifs, moyens et responsabilités de tout ce petit monde (ces petits mondes même) restent floues.
Je suis sorti frustré du Déchronologue.
Je n'attends pas d'un récit de SF qu'il explique TOUT. Vu que certains points dépassent notre entendement ou nos connaissances, la chose est impossible et deviendrait suicidaire à s'aventurer dans le fantaisiste et le bancal. Pour le coup, Beauverger donne dans l'extrême inverse. Exprès en plus. Sitôt que Villon pose une question à un Targui, hop, l'auteur botte en touche à coups de “pas important” et autre “vous ne comprendriez pas”. Lui, peut-être pas, mais le lecteur, si. On ne sait à peu près rien alors qu'il aurait été facile de rendre les visiteurs du futur un poil plus loquaces sur le sujet. Sans rentrer dans des explications hyper touffues, rien que deux-trois détails, une paire de pistes, quelques hypothèses n'auraient pas été de trop.
Le père Beauverger s'est documenté sur les Caraïbes, la géographie, l'histoire, la politique, le microcosme pirate, le vocabulaire marin… Mieux, il a su restituer et intégrer cette masse documentaire avec intelligence. Pour brosser un contexte crédible, certes, mais aussi une ambiance, quelque part entre le journal d'époque, le film en costume, le roman de cape et d'épée.
Beuveries, bastons, batailles navales, séjour dans les geôles, tous les ingrédients du récit de pirates sont là. Je ne hurlerai pas au scandale du cliché, parce que l'ensemble est bien amené et bien ficelé, sans artifice grossier pour caser du passage obligé. de toute façon, le pirate relevant un stéréotype (jambe de bois, crochet, cache-oeil, perroquet sur l'épaule), on n'attend pas qu'il vive autre chose que des aventures de pirate.
Qui dit récit de pirate dit galerie de personnages qu'on qualifiera avec beaucoup d'imagination de “pittoresques” et “hauts en couleur”. le Déchronologue n'échappe pas à la règle avec ses figures classiques. le gouverneur, l'illuminé, l'hidalgo, le maître-artilleur… Ils respectent les canons du genre sans verser dans la caricature creuse. Chacun présente un intérêt en tant que personnage, avec son identité et son background. Ils n'ont pas vocation à être là juste par convention romanesque et pèsent sur les événements.
Côté style, Beauverger a pris le parti d'un récit à la première personne. Un choix risqué puisqu'il oblige le phrasé à sonner “d'époque” tout en restant intelligible pour un lecteur contemporain. le capitaine Duverger n'a rien d'un marin d'eau douce, il louvoie tranquille entre les anachronismes et les archaïsmes. Il donne l'illusion de l'ancien sans le côté vieillot, du moderne patiné par un maître-faussaire.
Le Déchronologue est une excellente histoire de pirates. Assez classique au fond mais bien fichue. Et… C'est tout.
Le découpage désordonné en rebutera plus d'un et sent l'artifice pour camoufler le classicisme des aventures de Villon. le versant SF paraissait prometteur, il contient de bonnes idées avec ces maravillas bien intégrées au XVIIe siècle, objets de commerce et de convoitise comme n'importe quel autre denrée du Nouveau Monde. Mais il laisse un arrière-goût de frustration et d'inaboutissement. Un élément majeur d'intrigue ne peut pas fonctionner à 100% s'il utilisé comme toile de fond à peine esquissée.
Un défaut majeur réside dans le manque de profondeur. Rien qui suscite un questionnement chez le lecteur sur tout ce qui se met en place à l'époque en matière d'impérialisme "Americanos", de colonialisme européen, de ces technologies miraculeuses qui n'impressionnent plus personne et deviennent un simple commerce, bref tout ce qui relève de "la dynamique du capitalisme" étudiée par Fernand Braudel.
Certes une histoire peut se contenter d'être une belle histoire. Mais c'est dommage de s'y limiter avec autant de thématiques et d'enjeux sous le coude. le Déchronologue aurait pu avoir la carrure d'un Dune, dommage qu'il ne soit pas allé au bout de ses idées.
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