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Citations sur Mémoires d'une jeune fille rangée (410)

Cela me reposait beaucoup de ne plus voir Jacques ; je ne me tourmentais plus. Les premiers rayons du soleil me réchauffèrent le sang. Tout en continuant à beaucoup travailler, je décidai de me distraire. J'allais souvent au cinéma, l'après-midi ; je fréquentais surtout les studio des Ursulines, le Vieux-Colombier, et le Ciné-Latin : c'était, derrière le Panthéon, une petite salle aux sièges de bois, dont l'orchestre se réduisait à un piano ; les places n'y coutaient pas cher, et on y reprenait les meilleurs films de ces dernières années ; j'y vis La Ruée vers l'or, et beaucoup d'autres Charlot. Certains soirs, ma mère nous accompagnait ma soeur et moi au théâtre. Je vis Jouvet dans le Grand Large où débutait Michel Simon, Dullin dans la Comédie du bonheur, Mme Pitoeff dans Sainte Jeanne.
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Nous nous demandions avec inquiétude Poupette et moi si notre affection résisterait à l'âge. Les grandes personnes ne partageaient pas nos jeux ni nos plaisirs. Je n'en connaissais aucune qui parût beaucoup s'amuser sur terre : la vie n'était pas gaie, la vie n'était pas un roman, déclaraient-elles en chœur.
La monotonie de l'existence adulte m'avait toujours apitoyée ; quand je me rendis compte que, dans un bref délai, elle deviendrait mon lot, l'angoisse me prit. Un après-midi, j'aidais maman à faire la vaisselle ; elle lavait des assiettes, je les essuyais ; par la fenêtre, je voyais le mur de la caserne de pompiers, et d'autres cuisines où des femmes frottaient des casseroles ou épluchaient des légumes. Chaque jour, le déjeuner, le dîner ; chaque jour la vaisselle ; ces heures indéfiniment recommencées et qui ne mènent nulle part : vivrais-je ainsi ?
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Cette année-là, comme les autres années, le mois d'octobre m'apporta la joyeuse fièvre des rentrées. Les livres neufs craquaient entre les doigts, ils sentaient bon ; assise dans le fauteuil de cuir, je me grisai des promesses de l'avenir.
Aucune promesse ne fut tenue. Je retrouvai dans les jardins du Luxembourg l'odeur et les rousseurs de l'automne : elles ne me touchaient plus ; le bleu du ciel s'était terni. Les classes m'ennuyèrent ; j'apprenais mes leçons, je faisais mes devoirs sans joie, et je poussais avec indifférence la porte du cours Désir. C'était bien mon passé qui ressuscitait et pourtant je ne le reconnaissais pas : il avait perdu toutes ses couleurs ; mes journées n'avaient plus de goût. Tout m'était donné, et mes mains restaient vides. Je marchais sur le boulevard Raspail à côté de maman et je me demandai soudain avec angoisse : « Qu'arrive-t-il ? Est-ce cela ma vie ? N'était-ce que cela ? Est-ce que cela continuera ainsi, toujours ? » À l'idée d'enfiler à perte de vue des semaines, des mois, des années que n'éclairaient nulle attente, nulle promesse, j'eus le souffle coupé : on aurait dit que, sans prévenir, le monde était mort. Cette détresse non plus, je ne savais pas la nommer.
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Les jours de pluie, nous restions à la maison. Mais si je souffrais des contraintes que m'infligeaient des volontés humaines, je ne détestais pas celles que m'imposaient les choses.
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Mes mérites s'inscrivaient sur un registre qui en éternisait la mémoire. Chaque fois, il me fallait sinon me dépasser du moins m'égaler à moi-même : la partie se jouait toujours à neuf ; perdre m'eût consternée, la victoire m'exaltait. Mon année était balisée par ces moments étincelants : chaque jour menait quelque part. Je plaignais les grandes personnes dont les semaines étales sont à peine colorées par la fadeur des dimanches. Vivre sans rien attendre me paraissait affreux.
J'attendais, j'étais attendue. Sans trêve je répondais à une exigence qui m'épargnait de me demander : pourquoi suis-je ici ?
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Mon père ne détestait pas se mettre en avant, mais j'appris de maman à m'effacer, à contrôler mon langage, à censurer mes désirs, à dire et à faire exactement ce qui devait être dit et fait. Je ne revendiquais rien et j'osais peu de chose.
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La littérature permet de se venger de la réalité en l'asservissant à la fiction ; mais si mon père fut un lecteur passionné, il savait que l'écriture exige de rebutantes vertus, des efforts, de la patience ; c'est une activité solitaire où le public n'existe qu'en espoir.
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Mais je refusais de céder à cette force impalpable : les mots ; ce qui me révoltait c'est qu'une phrase négligemment lancée « Il faut... il ne faut pas », ruinât en un instant mes entreprises et mes joies. L'arbitraire des ordres et des interdits auxquels je me heurtais en dénonçait l'inconsistance.
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Faire le mal, c’était la manière la plus radicale de répudier toute complicité avec les gens de bien.
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Renoncer à l’amour me paraissait aussi insensé que se désintéresser de son salut quand on croit à l’éternité.
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