je continue de penser que tout est donné à l'écrivain pour qu'il en use: le plaisir et la douleur, le souvenir et l'oubli.
p94. Etre femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s’accommode. Etre homme est une illusion et une violence que tout justifie et privilégie.Etre tout simplement est un défi.
Dans ce corps clos, il est une jeune fille
Dont la figure est plus brillante que le soleil.
De la tête aux pieds elle est comme l'ivoire,
Ses joues comme le ciel et sa taille comme un saule.
Sur ses épaules d'argent deux tresses sombres
Dont les extrémités sont comme les anneaux d'une chaîne
Dans ce corps clos, il est un visage éteint,
Une blessure, une ombre, et un tumulte,
Un corps dissimulé dans une autre corps...
Mais les mauvaises manières, les gestes vulgaires peuvent avoir parfois un peu de poésie, juste ce qu'il faut pour ne pas se mettre en colère.
Le conteur est mort de tristesse. On a trouvé son corps près d'une source d'eau tarie. (...) Quant au manuscrit, il brûla avec les habits du vieux conteur. On ne saura jamais la fin de cette histoire. Et pourtant une histoire est faite pour être racontée jusqu'au bout.
La place est propre. Plus de charmeurs de serpents, plus de dresseurs d'ânes ni d'apprentis acrobates, plus de mendiants montés du Sud à la suite de la sécheresse, plus de charlatans, plus d'avaleurs de clous et d'épingles, plus de danseurs ivres ni de funambules unijambistes, plus de djellabas magiques aux quinze poches, plus de gamins simulant l'accident sous un camion, plus d'hommes bleus vendant des herbes et du foie de hyène pour jeter le sort, plus d'anciennes putains reconverties dans la voyance, plus de tentes noires fermées sur le mystère à garder précieusement au fond de la mémoire, plus de joueurs de flûte qui charment les jeunes filles, plus de boutiques où l'on mange des têtes de mouton cuites à la vapeur, plus de chanteurs édentés et aveugles qui n'ont pas de voix mais qui s'entêtent à chanter l'amour fou de Qaiss et Leila, plus de montreurs d'images érotiques aux fils de bonne famille, la place s'est vidée. Elle n'est plus une place tournante. Elle est juste un lieu propre pour une fontaine inutile.
Sachez que je ne vous suis pas pour vous espionner ; je vous suis pour avoir l'illusion d'accéder à l'inaccessible.
J'ai toujours su qui tu es, c'est pour cela, ma soeur, ma cousine, que je suis venue mourir ici, près de toi.Nous sommes toutes les deux nées penchées sur la pierre au fond du puits sec, sur une terre stérile, entourées de regards sans amour. Nous sommes femmes avant d'être infirmes, ou peut-être nous sommes infirmes parce que femmes...
Les rapports entre les deux familles n'ont jamais été bons. Jalousie, rivalité, alimentaient une petite guerre silencieuse. Mais on sauvait souvent les apparences. C'est ce que certains appellent l'hypocrisie. Les deux frères ne s'aimaient pas beaucoup. Les femmes prenaient évidemment chacune le parti de son mari. En fait, les hommes se détestaient en silence. Les femmes se chargeaient de maintenir vive la tension.
Je ne suis pas déprimé, je suis exaspéré. Je ne suis pas triste, je suis désespéré. Ma nuit ne m'a rien donné. Elle est passée, inaperçue. Calme, vide, noire.