Quelle petite merveille que ce livre, grinçant, désabusé, terrible et terriblement drôle.
Stefano Benni nous y élabore une épopée homérique passée sous acide, confrontant aux figures mythologiques de l'Iliade et de l'Odyssée la réalité, parfois crasse de l'Italie contemporaine telle qu'il la voit. Chaque élément de notre vie est passé au filtre de la métaphore antique, le plus commun prenant sous sa plume des tournures tout bonnement fantastiques. Son écriture est ainsi à prendre comme une oeuvre en soi, tant chaque mot semble porter en lui images, références et clins d'oeil venus taper dans le notre.
Le style, extraordinaire, fond dans son récit fantastique et réalisme, entretenant, par la seule force de la langue, une incroyable ambiguïté dans ce qu'il décrit. Bien bas mon chapeau, au passage, à la traductrice
Marguerite Pozzoli dont le plaisir à suivre les frasques langagières de Benni est à peu près aussi évident à la lecture que la difficulté de l'exercice (non pas dévoilée par des maladresses, mais par la réflexion que l'on se fait, devant la richesse que la plus petite phrase de cet ouvrage, qu'il est surprenant qu'il ne s'agisse pas là d'une VO, tant la personnalité de l'auteur y transpire à chaque ligne).
Il y dénonce par pirouette ce qu'il abhorre, il relève avec finesse ce qui l'attendrit, et nous embarque dans un récit prenant souvent des détours improbables, mais en évitant toujours par sa précision de tomber dans la lourdeur.
Ulysse, auteur/éditeur un peu ralenti, polygame polythrope, vorace et complice; Achille, handicapé mystique, érotico-trash, capable de renvoyer par le grotesque (au sens théâtral du terme) une gifle frappante de tragédie, d'humanité, nous plaçant dans une très inconfortable intimité, et dans une empathie que l'on réalise éviter au quotidien. Je me suis ces derniers mois beaucoup attachée dans mes lectures à la notion de marginalité... En voilà une autre, douloureuse et sans aucune pitié, mais tout particulièrement riche.
Cinq étoiles, sans la moindre hésitation, pour ce texte qui se dévore, si intelligent, et si souple. Je regrette d'en être sortie, et n'eurent été quelques très désagréables lectures obligatoires à venir, j'aurais très volontiers poursuivi un peu plus mon voyage au coeur de la prose virtuose, et carrément rock'n'roll de Benni.