Lecture-entretien avec Stefano Benni`
Comédie du Livre
La poésie au fond, c'est faire voler la lourdeur du monde sur la légèreté des vers, comme un caillou ricoche sur l'eau.
Le bar le plus réservé du monde est sans aucun doute Le Deuhôr de Cap Ice, sur les glaces de l’Arctique. Le propriétaire n'accepte pas les Méridionaux, mais comme Cap Ice est pratiquement à deux pas du pôle Nord, chaque client qui entre vient du sud, et se retrouve à la porte. A Cap Ice, outre le propriétaire du bar, ne vivent que deux autres habitants. L'un est dans un fauteuil roulant (et le Deuhôr n'accepte pas les handicapés). L'autre est un Esquimau (et le Deuhôr ne sert que les Blancs).
Le propriétaire passe donc son temps à préparer un cocktail qu'il est contraint de boire lui-même, car il ne peut le servir à personne. A la longue, il est devenu complètement alcoolique ; un jour enfin, après avoir suspendu à la porte du bar l'inscription "on ne sert pas les ivrognes", il s'est enfermé à l'extérieur et est mort gelé.
L'un des bars les plus étranges du monde est certainement "La Rencontre", un single bar de l'île micronésienne de Wahilulu. Il appartient à Mme Wanono et il est réservé aux single, c’est-à-dire aux personnes non mariées, ou qui vivent seules. L'île de Wahilulu compte trois habitants en tout et pour tout. Mme Wanono et les époux Jim et Helena Wehihoulani, qui se sont justement connus à La Rencontre, voilà quarante ans. Et donc, depuis quarante ans, plus personne n'entre dans le bar, mais Mme Wanono le laisse ouvert.
"On ne sait jamais, affirme-t-elle, un soir, quelqu'un pourrait se retrouver en panne dans la neige, chercher refuge ici et avoir besoin dune bonne soupe aux haricots et d'un peu de compagnie."
La manière dont Mme Wanono se consacre à son bar est admirable, d'autant que sur Wahilulu il n'y a ni routes, ni voitures, il ne neige jamais et il ne pousse pas de haricots.
Evidemment, un jour, les cheminées d'usine s'écrouleront, le fleuve s'asséchera, l'autoroute sera déserte, pleine d'épaves de voitures et de squelettes cramponnés aux volants, et les marguerites resteront maîtresses du monde.
L'arme bactériologique du siècle : l'ennui. Celle qui te persuade qu'attendre de vivre est moins fatiguant que de vivre.
Combien de livres merveilleux sont cachés dans le silence de celui qui vit immobile, muet, aveugle? Aurais-tu imaginé que derrière une vilaine couverture, dans une tête aussi mal bâtie, il y avait l'ordre et le désordre d'une histoire?
Il manque un élément: c'est qu'il y a de grosses différences entre les mangeurs de chocolat: ils se divisent en libéraux-lactistes, fondamentalistes fondantistes, blanchistes et noisettistes. Pour ne pas parler des jansénistes pralinistes et des boeristes.
- Et les nutellistes?
- Les nutellistes sont épicuriens.
Le bar le plus fréquenté du monde est incontestablement le pub Infierno de Tijuana, au Mexique. On a calculé que le bar, qui ne dépasse pas les soixante-dix mètres carrés, peut contenir jusqu'à trois mille personnes, les soirs de pointe.
Le mobilier du bar est des plus spartiates ; dix mille tonneaux de bière, pour la consommation, et dix mille tonneaux de bières - vides - pour y pisser. Mais depuis onze ans, on n'a vu aucun camion livrer de la bière au local, ce qui suscite une certaine inquiétude chez les clients.

- Comme vous le savez, le livre a été écrit durant l'année des sept icebergs, par un cachalot albinos, du nom de Mobius Benedicktus. Il fut persécuté toute sa vie par un baleinier auquel il avait arraché une jambe, lors d'un duel marin loyal. Naturellement, comme toujours, le provocateur avait été l'homme. Mais celui-ci, gonflé de haine, se mit à poursuivre Mobius à travers les océans... Quelqu'un sait-il comment s'appelait ce baleinier ?
- Crab ? suggéra une petite baleine potelée
- Non, soupira le prof.
- Calab ... non, Ahab, dit une baleine potelée
- Très bien Rayurine, c'est ainsi que sonne son nom dans la langue des hommes. Et bien, le récit de Mobius Benediktus poursuivi par Ahab, ses réflexions sur la mort et sur le caractère éphémère de l'existence, les aventures et les coups de théâtre, jusqu'au finale tragique, font de ce livre un chef d'œuvre pélagique qui ne peut être absent des archives ultrasoniques d'aucune baleine...
On en déduisait que dans l'âme de ces adolescents croissait une double nature : une moitié angélique qu'ils se plaisaient à arborer, sur leurs épaules et sur leurs lambrettas, une autre moitié diabolique qui s'étalait sur les murs, où ils la tartinaient comme de la merde.