«
La Carte postale », roman, lit-on sur la couverture. Voilà de quoi nourrir la perplexité du lecteur: cette enquête sur le sort des générations fauchées par le nazisme renvoie à la famille même de l'auteur et n'a rien, semble-t-il, de fictionnel. Mais il est vrai qu'on nous prévient d'emblée : « c'est un récit hybride que tu vas entendre. Certains faits sont donnés comme évidents, toutefois je te laisserai estimer la part des hypothèses personnelles qui ont finalement abouti à cette reconstitution »
C'est la mère qui annonce cela à sa
fille. Car la mise en situation fait dialoguer les deux femmes et nous devons faire semblant de croire en une
Anne Berest candide s'intéressant brusquement à ses ancêtres pour entraîner le lecteur à sa suite et lui tenir aimablement la main pendant qu'on crapahute dans l'arbre généalogique des Rabinovitch.
Camille Laurens a parlé à propos de ce livre de « Shoah pour les nuls ». Ce n'est pas faux. Et alors? En l'affaire, le didactisme ne nuit pas et le prix Renaudot des lycéens prouve que cela fonctionne. Les plus jeunes ont besoin qu'on leur explique à nouveau ce truc inimaginable d'un peuple destiné tout entier à disparaître. Les moins jeunes aussi d'ailleurs.
Ok donc pour ce dispositif un peu téléphoné et aussi pour le recours à la narration qui crée des personnages à défaut de ressusciter les morts. Il faut bien recourir à l'imagination pour que les millions de disparus ne soient pas seulement des statistiques.
Camille Laurens a également raison de relever la description discutable que fait Berest de l'entrée de Jacques dans la chambre à gaz. Elle imagine qu'un S.S. lui déboite l'épaule d'un coup de crosse pour l'obliger à avancer et finit son chapitre par un gros plan sur les pommeaux de douche. Et, effectivement, on ne voit pas trop en quoi ces détails forcément inventés et furieusement cinématographiques sont utiles ; ils sont même gênants de laisser croire que l'horreur des simples faits ne suffirait pas à dénoncer le nazisme. Ils sont gênants mais ce ne sont que 2 lignes sur 500 pages, pas de quoi instruire un procès en immoralité.
Mais quand même. Si Berest ne tombe jamais dans l'obscénité, elle s'en approche parfois. J'ai été très gênée de lire un pseudo échange de lettres entre les deux soeurs, Anne et Claire, qui mettent sous le nez du lecteur leurs difficultés à être soeurs et rivales en littérature. La description du ménage à trois entre la grand-mère et ses deux maris m'est aussi resté en travers de la gorge.
Ah, me direz-vous, qu'est-ce que c'est que cette pudeur de sainte-Nitouche qui s'offusque de détails un peu trop intimes mais qui a lu sans sourciller la mise à mort d'une famille à Auschwitz? Je répondrai d'abord que j'ai évidemment sourcillé et même un peu plus mais surtout que l'holocauste appartient à l'universel et à ce titre m'interroge sur ce que j'aurais fait, tandis que les problèmes familiaux des soeurs Berest ne concernent qu'elles.
J'admets qu'il est difficile, avec une famille follement romanesque comme la leur, de ne pas se vautrer dans la confidence à fort potentiel fictionnel. Mais ce n'est pas la même chose de parler de soi comme d'une petite-
fille de survivants ou comme d'une petite-
fille d'amants irréguliers. Et, à la fin du livre, la question des amours libres de Mamie prend toute la place, comme si la mort du reste de la famille obligeait à trouver une nouvelle inspiration pour de nouveaux rebondissements. Gênant.
J'ai le sentiment d'être excessive dans mon jugement. Mais
Anne Berest a le tort d'écrire après la sublime chronique de Mendelsohn : « Les Disparus » et ce livre, lui, est un chef-d'oeuvre.