Plus qu'un recueil de nouvelles, "
Manuel à l'usage des femmes de ménage" est une compilation d'instantanés, de tranches de vie fortement inspirées de celle de l'auteure, qui vous donneront, une fois le livre refermé, la double et paradoxale impression de vous être fait une nouvelle copine, et de la connaître depuis toujours...
Dire que la vie de
Lucia Berlin fut riche et mouvementée est un euphémisme...
Elle a vécu au Texas, au Chili, au Mexique, a fréquenté le monde de la diplomatie et celui des sans-abris, a rencontré des musiciens et des poètes, des indigents et des célébrités. Elle a connu la débrouille et la vie de bohème, a sombré dans l'alcoolisme après avoir subi dans son enfance celui de sa mère et d'un grand-père dentiste renommé, mais aussi à moitié fou et pervers. Elle a été femme de ménage, professeur d'université, assistante médicale. Elle a été mariée trois fois et a eu quatre fils, dont deux alors qu'elle n'avait pas encore vingt ans...
Nous découvrons les différentes étapes de sa vie au fil d'épisodes déroulés sans logique chronologique, anecdotiques ou tragiques, drôles ou mélancoliques, moments de bonheurs intenses ou temps sordides et effrayants. de cours d'écoles catholiques aux bancs de laveries automatiques, de centres de désintoxications en salles d'attente des urgences d'hôpitaux, dans les riches intérieurs de ses employeurs ou au coeur des cocons enchanteurs qu'elle parvenait à créer dans le plus modeste des logements, elle évoque les empreintes traumatiques de l'enfance, les pertes et les deuils qui ont marqué sa vie, la maternité et la vieillesse, les souvenirs de rencontres ou de routines quotidiennes dont elle extrait, souvent avec humour, la dimension cocasse ou pathétique.
Cela peut paraître idiot de dire ça, mais la première pensée qui m'est venue à cette lecture, c'est que
Lucia Berlin était quelqu'un de VIVANT. de manière naturelle et profonde, sans aucune concession vis-à-vis de tout ce qui peut vous tirer vers la reddition ou l'abattement.
Car "
Manuel à l'usage des femmes de ménage" est cimenté par une incroyable énergie, porté par cette intégrité qui caractérise l'auteure, et qui est à l'image de sa manière d'aborder l'existence : avec une entièreté parfaitement équilibrée, elle EST l'ensemble de ses réussites et de ses échecs, de ses effondrements et des fois, bien plus nombreuses, où elle s'est relevée, et elle semble éprouver pour chaque moment de sa vie, qu'il soit difficile ou heureux, une même forme de bienveillance interdisant tout jugement, et toute tentation d'occulter le pire. Cette attitude qu'elle a vis-à-vis de ses propres expériences, de ses propres faiblesses, cette saine distance qui permet l'acceptation sans complaisance ni apitoiement, elle l'adopte aussi avec les autres. Elle a éprouvé bien sûr, de la jalousie -notamment envers sa soeur, plus jeune- ou des déceptions, voire de la détestation -pour sa mère et sa cruauté-, mais sa nature la porte au pardon plutôt qu'à la rancoeur, à la résilience plus qu'à la vengeance.
Lucia Berlin aime les gens pour ce qu'ils sont, avec leurs défauts, leurs faiblesses, leurs différences.
Sa générosité, sa capacité à rebondir et à traquer l'émerveillement ou la fantaisie dans le moindre geste, l'événement le plus anodin, lui ont permis de vaincre toutes les épreuves. Elle-même conclut, dans le dernier texte du recueil, qu'elle "a vécu aussi longtemps parce qu'elle ne s'est pas accroché au passé, qu'elle a fermé la porte aux chagrins, aux regrets et aux remords…"
Son énergie et son humanité se traduisent dans son écriture, vive et spontanée, parfois même elliptique, et font de ce "
Manuel à l'usage des femmes de ménage", hommage à la vie, y compris à ses ratés, un vrai bonheur de lecture.
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