J’étais en train de penser au fait que je venais de sauver des flammes la baraque du croque-mort lorsque j’entendis un branle-bas à l’extérieur. Les pas étaient pressés, et les voix, sourdes. On tapait des bottes contre les rondins de la cabane. En l’espace de quelques secondes et sans que j’eusse le temps de réagir, Desmond entra dans la boutique, dans la pièce voisine de celle où je me trouvais et dont je n’étais séparé que par un rideau opaque. Je distinguai une voix de femme.
— Gustave… Quelle aventure ! lança-t-elle d’un ton exprimant le soulagement.
La porte de la cabane claqua, et on glissa son verrou. J’entendis des bruits de vêtements et le frottement de tabourets sur le plancher.
— Alicia…
Paniqué, je compris que Desmond était en compagnie de sa bien-aimée ! Crottin de citrouille, si je ne bougeais pas de ma place, j’allais être témoin d’un rendez-vous d’amour, comme disait Ti-Khuan !
Desmond et Alicia ne pouvaient pas m’apercevoir, mais ils n’allaient sans doute pas tarder à pénétrer dans le bureau pour se servir une tasse de thé. Je serais forcément découvert ! Que pourrais-je leur annoncer? Que j’avais été surpris par leur arrivée, alors que je n’avais aucun droit de me trouver sur les lieux ? Je pouvais parler de la bouilloire qu’ils avaient oubliée sur le feu. Dans tous les cas, je devais agir vite !
Deux solutions s’offraient à moi : je pouvais sortir de ma cachette d’un air penaud, en traversant la pièce voisine et en m’excusant — rien qu’à y penser, j’en avais la chair de poule ! — ou sortir de la cabane par l’unique fenêtre du bureau.
— Alicia, si j’avais pu imaginer qu’un jour nous pussions être ensemble ainsi… murmura Desmond, qui avait retrouvé sa verve depuis la veille.
Je décidai de sortir au plus vite par la fenêtre du bureau.
Sans faire de bruit, je grimpai sur une chaise et agrippai la poignée de l’ouverture. Tandis que je tentais d’ouvrir la fenêtre, qui paraissait coincée par la glace formée sur le cadre extérieur, Desmond et Alicia poursuivaient leur conversation.
— Tout à l’heure, en vous attendant dans votre atelier, j’ai commencé à nous préparer du thé, se souvint-elle. En voulez-vous une tasse ?
— Je crois que ce n’est pas le moment, Alicia.
— Pourquoi n’avez-vous pas voulu laisser ce cercueil dans la tente-morgue, avec la charrette que nous venons d’y déposer ?
La tempête avait apporté quinze centimètres de neige sur les monts Selkirk, et les parois du canyon étaient d’une blancheur étonnante à la lueur de la lune.
Il jugea l’endroit parfait; il y avait juste assez de lumière pour qu’il agisse avec discernement, et juste assez de noirceur pour qu’il mène son affaire à l’abri des curieux.
À l’approche des fêtes et en raison des conditions météorologiques difficiles qui ralentissaient la progression des travaux sur le chantier de construction de la voie ferrée, les habitants du campement avaient plus de temps pour vaquer à leurs occupations, leur préférée étant de passer leurs soirées dans les saloons. Il ne risquait pas d’être dérangé. Personne ne s’aventurerait sur ce sentier glissant si tard dans la nuit.
Il vérifia la position des deux corps au fond de la calèche.
Le cheval était confiant. Il l’approcha du gouffre, au creux duquel on entendait couler les eaux de la Beaver.
Une fois qu’il fut prêt, il piqua la croupe du cheval avec la pointe de son couteau et poussa la calèche, qui glissa hors du sentier. La bête se cabra et rua, emportée par le poids de l’attelage, qui dévala la pente.