Citations sur Paris-Briançon (400)
L’aplomb, c’est inné. On peut certes le cultiver mais il faut au moins en posséder au départ. Manon a été bien servie. (p.37)
Pourtant, personne ne pense encore à Briançon, en tout cas pas comme à quelque chose de concret, certains peut-être y pensent comme à une promesse. (…) Non, pour le moment, on songe sans doute encore à la ville qu’on a laissée derrière soi, à la maison, a-t-on bien fermé la porte, à ce qu’on a glissé dans les valises, se peut-il qu’on ait oublié quelque chose, c’est idiot de se poser ce genre de questions maintenant mais on ne peut pas s’en empêcher. (p.42)
Et voilà qu'on se laisse gagner par la régularité des secousses, bercer par le roulis.
Mais il est trop tôt pour se coucher, beaucoup trop tôt, même pour rester étendu. Alors on se redresse et on rejoint le couloir, là où il pourrait y avoir un peu de vie, le contraire de cette claustration à laquelle on ne s'est pas encore accoutumé.
"Les voilà donc libres, libres de retourner dans le monde réel.
Ils en sont soulagés, évidemment, et cependant ils éprouvent des sentiments mélangés. L'autre monde, celui du fracas et de la stupeur, celui des débris et de la peur, du sang et du fer, a été le leur, le leur uniquement, pendant deux heures, ils y ont connu ce que personne ne connaîtra, ce que personne ne pourra comprendre ni même entrevoir, ce qui les tiendra résolument à part."
Le silence s’est installé, sans qu’on soit capable de déterminer si sa texture est celle de l’embarras ou de la complicité. Chacun, machinalement, regarde dans une direction opposée, Alexis vers la vitre et la nuit enveloppante, Victor vers la porte fermée et sa promesse de discrétion.
Hugo, Dylan et Leïla pourraient se dire : cette société ne nous attend pas, elle ne nous fera pas de cadeaux, l’époque est même hostile, on va galérer à trouver notre place, on ne nous proposera pas de CDI, peut-être même pas de CDD, peut-être même pas de stages. Ils pourraient ajouter : la planète est foutue, les ouragans, les inondations, les incendies se multiplient, la fonte des glaces s’aggrave, la viande est industrielle, les pesticides sont partout, on s’empoisonne chaque jour. Ils pourraient surenchérir : ce monde est fou, les guerres prolifèrent, des dingues dirigent des empires, des terroristes décapitent des innocents à la machette, des dieux méchants gouvernent les esprits. En réalité, ils se disent tout cela, ils y pensent même régulièrement, mais pas ce soir, pas maintenant, pas dans cette nuit printanière, pas dans ce compartiment mouvant. Non, ce soir, ils ont juste envie d’osciller au rythme du train qui les conduit vers des sommets, vers des ailleurs.
Epoque vulgaire, où plus rien n'est privé, où tout est spectacle, et surtout la souffrance, surtout la désolation, où la décence pèse si peu devant la prétendue "priorité à l'information", où le goût de l'immédiateté prive de tout discernement, où les dommages collatéraux constituent un détail dérisoire.
D'ailleurs, elle s'interroge sur la mécanique de ce fichu moteur, elle sait que ça a à voir avec les câbles électriques auxquels le train est relié mais elle est loin d'imaginer, comme l'écrasante majorité des gens, que l'électricité captée par un pantographe traverse un disjoncteur, puis subit une transformation de ses caractéristiques physiques, sa tension, sa fréquence au sein d'un transformateur, d'un redresseur et d'un onduleur, avant d'atteindre le moteur de traction, où elle est convertie en énergie mécanique, et puisqu'elle n'obtiendra pas de réponse à ses interrogations saugrenues, elle s'adosse à la porte d'accès, c'est encore le plus sûr moyen de lutter contre cette instabilité, de ne pas perdre l'équilibre.
P 112
Catherine avait commencé par les houspiller gentiment à propos de leur obsessions des écrans : "Dans le métro, quand je vous regarde, vous êtes alignés et vous avez tous la tète penchée sur un portable, on dirait des animaux de batteries. Et personne ne parle à personne. Vous êtes enfermés dans votre propre monde. Entre ceux qui sont sur Facebook, ou je ne sait quoi, ceux qui tapent des messages comme s'ils n'avaient que des urgences, ceux qui jouent à des jeux avec des flingues ou des bagnoles et qui shootent à tout va, franchement c'est déprimant."
À Die, Alexis se souvient qu’il se trouve au pied du Vercors. Dans sa tête résonne aussitôt, et machinalement, la chanson de Bashung, qui parlait d’y sauter à l’élastique. Et c’est idiot, car enfin il y aurait d’autres évocations plus évidentes, mais chaque fois qu’il a fait le trajet c’est pourtant celle-ci qui lui est venue et c’est encore elle qui surgit. Ça disait « La nuit, je mens ». Il a appris que la nuit, on peut également dire la vérité. Il contemple Victor, sortant des limbes. Un personnage de David Hockney dans un décor d’Edward Hopper. Alexis, en peinture aussi, connaît ses classiques.