"OUI-OUI AIME LES GARCONS"
J'emprunte la formule à
Laurent Chalumeau (Le masque et la plume) car elle me parait, toute cruauté mise à part, résumer le ressenti qui fut le mien en achevant la lecture du roman de
Philippe Besson. Une étrange niaiserie parsème le récit de bout en bout, et chaque page apporte son lot de lieux communs, de bavardages insipides. Besson est attiré par les hommes, la chose est entendue, et c'est au fond la seule petite transgression bourgeoise que celui-ci s'autorise. C'est tiède, mièvre, bourré de bons sentiments comme de la mauvaise littérature de gare, à ceci près que Un soir d'été transpire la prétention de faire intelligent.
Je partais pourtant avec un a priori vaguement positif. La lecture de L'arrière-saison au début des années 2000 m'avait laissé un souvenir plutôt agréable, sans que j'identifie vraiment s'il se rattachait à la sublime toile de
Edward Hopper - qui était l'argument, l'objet du roman - ou au roman lui-même. Cette ambigüité avait jusqu'ici bénéficié à Besson dans ma mémoire.
Récit autobiographique, Un soir d'été revient sur un épisode vécu par
Philippe Besson en 1985, où, à l'occasion de vacances sur l'île de Ré avec sa famille, un drame se noue parmi le groupe d'amis avec lequel il se retrouve tous les jours à la plage. La brusque disparition de l'un d'entre eux laisse une béance dans la mémoire de Besson. L'interrogation le taraude encore, et son désarroi ne tarde pas à devenir notre embarras, car cette disparition n'émeut jamais.
Un soir d'été ne m'a jamais embarqué, moins à cause du scénario (qui reste d'abord un prétexte en littérature) que par le mode de narration et le style suffoquant. de la première à la dernière page, le romancier tente vainement de nouer une fausse connivence avec le lecteur, une intimité artificielle sous forme de clins d'oeil entendus. En multipliant l'usage de parenthèses qui viennent expliciter le propos sous forme d'adresses au lecteur, ou avec l'intrusion de mots en italique dont on ne comprend ni l'intérêt, ni le sens. Ce n'est même pas un sous-texte (il faudrait qu'il y ait un texte). Besson souligne. Besson surligne. Ce roman relève du commentaire permanent : il énonce une idée, décrit une réalité, restitue un dialogue, puis passe son temps à les justifier. Sans aucun silence, sans repos pour le lecteur qui est invité de façon systématique à lire le roman avec les yeux de Besson. Partout, le verbe se fait didascalie. Mais si celles-ci ont été inventées au théâtre pour guider les acteurs et le metteur en scène en éclairant les intentions, ce mode narratif importé dans un roman produit une surcharge de démonstrations qui ne laisse aucune place à la sensibilité, à la perception du lecteur.
La fadeur du texte est renforcée par l'usage permanent du "On" qui généralise et dépersonnalise. On est tenu par la main par Besson qui nous somme, nous intime, nous enjoint à nous mêler à la meute. Lorsque le roman approche de la fin, Besson nous fait la leçon : "Il ne fait aucun doute qu'ON n'accorde pas assez d'attention aux autres, à leur détresse intime, dissimulé, aux signaux qu'ils nous envoient quelquefois, parce qu'ON est d'abord préoccupés de nous-mêmes, de notre propre plaisir, ou de notre propre désarroi, et qu'ON préfère l'inadvertance, ça n'exige pas d'efforts, ou qu'ON répugne à se "prendre la tête", question d'âge, parce que c'est l'été et que l'été rien n'est grave". C'est pénible comme un sermon de curé.
Le prétexte autobiographique semble ici autoriser toutes les approximations et bizarreries syntaxiques. Comme si le style lourdaud était au fond la résultante, l'effet produit par le trauma de la disparition près de 40 ans plus tard. C'est l'explication la plus présentable, la seule indulgence que j'aie pu convoquer pour me convaincre de terminer cette lecture.