Robert Coublevie est un chemineau que sa femme Elia a quitté. Dans la vie, son occupation essentielle consiste à cheminer, à marcher, marcher le long de la ligne frontière Italie-France. Il a un ami chartreux, un moine qui marche parallèlement de l’autre côté de la ligne, côté italien. Ils se retrouvent régulièrement, proches des sommets, pour échanger quelques mots. Robert est accompagné de sa chienne Elia, qui porte le prénom de son ex-femme.
Mais parfois, les nécessités de la vie le poussent à redescendre en ville, à Briançon, où il retrouve les habitués du Café du Nord : Sylvain Taliano, le propriétaire du bar, Camille sa fille de 16 ans, Mounir le garçon, Tapenade, Tissot « l’agrégé des douanes », et même Elia son ex-femme.
Camille est une jeune fille un peu rebelle, dont la mère est morte quelque temps auparavant, d’une cirrhose du foie, elle qui ne buvait jamais …
Ce sont des pauvres gens. D’une pauvreté de misère qui va les conduire, lors d’un « repas de salauds » comme Camille les baptisent, à la mort de l’un d’entre eux, « l’agrégé des douanes », auteur d’une curieuse lettre d’amour :
« Nous avons déjà expérimenté tant de choses … Le désir nous a dressés l’un vers l’autre, puis éconduits en quelque sorte. Nous avons développé une amitié si sensuelle et si abrasive que, même sans jamais nous toucher, nous en sommes devenus esclaves (…) »
L’homme qui marche pourrait commencer comme un polar. Un homme meurt, et le petit groupe que forment les habitués du Café du Nord recèle autant de coupables potentiels. Au milieu la belle Camille tourne bien des têtes, mais pas celle de Robert, qui est une sorte de parrain pour elle, et qui l’a souvent aidée à faire ses devoirs. Camille connaît des endroits étranges dans cette petite ville de Briançon : non seulement l’immeuble où se déroule « le repas de salauds » dans la rue des Trois-Mariées, mais aussi un ancien transformateur EDF et ses orties …
Mais L’homme qui marche n’est pas un polar. On saura finalement ce qui s’est passé dans la nuit qui a suivi « le repas de salauds » et comment le douanier a trouvé la mort, mais ce n’est pas le pire. La réalité est encore plus sordide, qui dévoile la posture surprenante d’une Camille, victime, allant jusqu’à défendre son bourreau par compassion.
Il faudra atteindre la page 158 pour bien comprendre le propos de Yves Bichet.
Au-delà de la boue du quotidien qu’il décrit, il y a les fleurs. Les fleurs et les chapelles.
Des fleurs, on en trouve dans presque tous les romans d’Yves Bichet : dans les Terres froides il était question de chasseurs de vipères dans les violettes. Dans Le porteur d’ombre, Marc envoyait des fleurs à Léandra. Il y était question déjà d’un meurtre, où un certain Jamil était le suspect idéal, bien qu’en fait non coupable.
Ici, ce seront les gentianes trouvées au sommet qui console le narrateur de la bassesse humaine.
Yves Bichet va chercher dans la boue et dans la lie les signes d’une autre vie.
Ici, malgré le côté sordide des relations entre les hommes et les femmes qui forment le petit groupe, quelque chose résiste. Robert a une liste de mots rares et précieux qu’il garde pliée au fond de sa poche. Aux cotés de Naphtaline ou de Déçu, il va apposer Oblatif : qu’il définit comme « qui s’offre à satisfaire les besoins d’autrui au détriment des siens propres ». Robert va agir en oblatif comme Camille l’a fait elle aussi.
Mais Robert Coublevie ( Double vie ?) a aussi le rire facile. La fréquentation des sommets lui donne la possibilité de voir le monde et les hommes d’une autre manière. A force d’arpenter les mêmes sentiers, il cultive une empathie qui va le conduire à prendre sur lui le drame de Camille, jusqu’au bout, mais il le fera toujours avec un grand détachement.
L’homme qui marche est un livre sur les frontières : celle qu’on tutoie sur les sommets alpins, mais aussi celle qu’on peut franchir quand on est libre, loin de la morale des hommes.
Yves Bichet nous fait la démonstration qu’on peut être au-dessus de la mêlée, joyeux, libre, jusqu’au bout.
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