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EAN : 9782844855831
128 pages
Allia (06/09/2012)
4.54/5   23 notes
Résumé :
Présentation de l'éditeur
Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses. Le mot signifie modèle ou exemple mais aussi ce qui est central dans la pensée. Après des décennies consacrées à l'analyse et à la traduction du Tchouang-tseu, ouvre centrale de la pensée chinoise, Jean François Billeter s'attaque à la Weltanschauung, la vision du monde. Il décrit un ensemble d'expériences qui influencent la façon dont un individu perçoit l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
RENDRE LA PAROLE AU GESTE.

Lorsqu'il s'agit d'aborder un nouvel opus dans l'oeuvre pleine d'enseignement et riche de concepts méconnus ou nouveau de la pensée de Jean-François Billeter on sait d'avance que :

- L'on s'engage à y découvrir un concentré d'intelligence qui surprend d'autant plus qu'il est à la fois d'une lecture agréable, fine, jamais jargonnante et qui se déroule dans un beau français digne des grands classiques - que l'auteur connait à merveille - et, dans un même temps, que cette lecture sera exigeante, extrêmement dense, parfois ardue sous ses abords simples et faussement immédiats, qu'il faudra donc prendre son temps, revenir sur ses pas, confronter son expérience à celle de l'auteur, etc.

- On s'expose à devoir regarder le monde, à commencer par soi-même, autrement, à appréhender les choses les plus simples, les plus apparemment répétitives de l'existence - ouvrir une porte, porter un verre à la bouche, écouter des voisins de table, etc -, expliquer certains de nos moments les plus insaisissables - se mettre à "rêver" les yeux grands ouverts, à arrêter quelques instants la marche insatiable de la conscience pour retrouver un mot, comprendre une phrase, s'expliquer le monde.

Ainsi, c'est à la table somme toute très commune d'un café que le grand sinologue - l'auteur des extraordinaires Leçons sur Tchouang-Tseu, pour ne citer qu'un seul de ses ouvrages précédents, bref mais intense moment de culture, d'intelligence et de sagesse - entame dès potron-minet le cours impétueux et libre de ses réflexions, car c'est un lieu où il peut à la fois laisser les idées se développer sans contrainte mais aussi se laisser dériver vers le cours d'une conversation d'une autre tablée tout en étant empêcher à cette dispersion que l'on connait lorsque trop de livres, de documents, de souvenirs intimes vous environnent, assis derrière son bureau de travail. C'est en de tels lieux, rendus célèbres par un Jean-Paul Sartre avec ses habitudes du Café de Flore (mais c'était aussi le cas, déjà, de Denis Diderot), que Billeter va nous prodiguer, sans jamais tomber dans la moindre idéologie préconçue, sans esprit d'école ni de système, son paradigme tout à la fois lié au corps - mais un corps en quelque sorte revisité et totalement redéfini -, au geste, à l'activité. Ainsi, dépassant ce moi qui serait avant tout lié à la conscience, Billeter va prendre le temps d'analyser dans tous ses aspects les mouvements qui se coordonnent lorsqu'un geste s'accompli. Il va en déduire que la conscience seule n'en est pas l'origine, qu'il est même possible qu'elle n'en a rien ou peu décidé mais qu'en réalité ce mouvement, c'est à ce corps qu'on le doit, ce corps qu'il redéfini ainsi : «J'appelle "corps" toute l'activité non consciente qui porte mon activité consciente et d'où surgit le mot manquant ou l'idée nouvelle. Lorsque j'agirai, j'appellerai "corps" l'ensemble des énergies qui nourriront et soutiendront mon action.». Ainsi se pose ce nouveau paradigme, que le "corps" est l'Alpha de l'essentiel de nos activités, bien plus que ce que les philosophes tendent à en dire qui font de la conscience cet Alpha et bien souvent l'Oméga de toute nature et existence humaine. Billeter, de son côté, poursuivant le pressentiment de Novalis, se «représente la part consciente de [son] activité comme comprise dans l'activité générale du corps.» de totalité agissante, la conscience n'est plus qu'une portion de cette même activité

À partir de cette première et essentielle définition, J-F Billeter va en déduire ou reprendre à son compte un certain nombre d'idées liées à l'activité qui n'est rien moins que la vie elle-même : Ce qu'il nomme "l'intégration", l'imagination qu'il revisite aussi, la "puissance agissante", c'est à dire la possibilité qu'à mon corps à augmenter sa capacité d'action par l'apprentissage du geste, jusqu'à sa complète maîtrise, etc.

Ce qui est tout à la fois épuisant et fascinant avec la pensée de J-F Billeter c'est qu'elle se déroule à la manière d'une sorte de bobine autobiographique de la pensée, qu'elle coule, comme si tout ce que l'essayiste expose allait parfaitement de source - et c'est d'ailleurs le cas - mais qu'elle demande dans le même temps une concentration, une réflexion, un recul de tous les instants, qui obligent le lecteur à considérer, pour un temps indéfini, ce qu'il vient de découvrir, qu'il peut prolonger ou appliquer sans équivoque à ses propres grilles d'existence, de lecture, de recherches intérieures, les tordre même - J-F Billeter en appelle explicitement à se faire non seulement sa propre opinion mais, dans une large mesure, à se constituer son propre schéma philosophique, ainsi qu'il se l'est fait pour lui-même qui ne parvenait jamais à se sentir tout à fait à son aise à l'intérieur de pensées étrangères, exogènes, aussi puissantes les méthodologies et les systèmes philosophiques déjà explorés par le passé fussent-ils -.

Cette pensée n'a pas pour but de "révolutionner" la philosophie - l'auteur n'a a aucun moment cette prétention - mais, et c'est déjà énorme, s'essaie à lui redonner corps - c'est à dire vie - au plus profond de nos existences fugaces, souvent faites de vitesse insensée et de superficialité sans but véritable, et si l'on y retrouvera des prolongations à certaine réflexions d'un St Augustin, d'un Novalis et, plus encore, d'un Spinoza, celle-ci s'enserrent avec force dans notre contemporanéité... pour peu qu'on prenne le temps de s'asseoir à la table d'un café afin de prendre le temps, profondément, de laisser la pensée vagabonder, se perdre pour, enfin se retrouver. Un petit ouvrage dont la lecture se poursuit longtemps, très longtemps, après en avoir refermé les dernières pages et qui sont un pur bonheur pour l'esprit !

Pour mémoire, voici la définition du Paradigme qu'en donne Françoise ARMENGAUD, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes pour le compte de l'Encyclopedia Universalis :

Est paradigme ce que l'on montre à titre d'exemple, ce à quoi on se réfère comme à ce qui exemplifie une règle et peut donc servir de modèle. En tant que modèle concret devant guider une activité humaine et lui servir de repère, le paradigme se distingue de l'archétype, qui suggère l'idée d'une priorité ontologique originelle. Comme l'a montré P.-M. Schuhl, ce concept a chez Platon un sens pédagogique et propédeutique : le paradigme est l'objet « facile » sur lequel on s'exerce avant de traiter d'un objet ressemblant au premier, mais plus difficile ; ainsi, qui veut saisir et définir le sophiste, cet être protéen et fuyant, fera bien de se forger une méthode de définition aux dépens d'un être moins remuant, le pêcheur à la ligne ; de même, en politique, l'art du tisserand est un paradigme pour l'art royal du souverain.
La méthode paradigmatique, chez E. Lévinas, se fonde sur la thèse que « les idées ne se séparent jamais de l'exemple qui les suggère » ; elle dégage « les possibilités de signifier à partir d'un objet concret libéré de son histoire » ; cette méthode est solidaire d'une éthique de l'« acceptation » et de l'action comme préalables au connaître : c'est l'acte qui « fait surgir la forme où il reconnaît son modèle jamais entrevu jusqu'alors » (Quatre Leçons talmudiques, Paris, 1968).

L'historien des sciences et épistémologue Thomas Kuhn utilise à son tour le terme de paradigme d'une manière originale pour rendre compte de la manière dont se développent les sciences. Dans son ouvrage sur la Structure des révolutions scientifiques (traduction française, Paris, 1972), il caractérise comme paradigme de la science à une époque donnée un ensemble de convictions qui sont partagées par la communauté scientifique mondiale.
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« Je prendrais soin d'indiquer en quoi mes idées me paraissent répondre à des besoins qui m'étaient propres, afin que chacun fasse la part des choses et juge dans quelle mesure elles peuvent valoir pour lui. »
De son long séjour avec la pensée chinoise et tout particulièrement avec celle de Tchouang-Tseu, et de ses propres expériences de vie, Jean-François Billeter tente de dégager ce qu'il désigne ici comme un paradigme, c'est-à-dire extensivement une vision du monde et dans un sens plus restrictif, une manière d'être et d'agir que chacun, à partir de sa propre observation, peut décider ou non de faire sienne, de s'approprier.
Suite à une première lecture, on est frappé par l'écart étrange qui semble s'installer entre l'apparente facilité de ce qui est proposé là et la difficulté de pouvoir le mettre en pratique. Force nous est pourtant de constater, que ce n'est pas à une trop grande abstraction de la pensée de Billeter que nous devons cette fâcheuse résistance, mais à un obstacle qui semble résider en nous, comme un ensemble de « mauvaises habitudes » que nous n'avons pourtant nullement choisies.
« Je donne au mot « corps » une acceptation nouvelle. J'appelle « corps » toute l'activité non consciente qui porte mon activité consciente et d'où surgit le mot manquant ou l'idée nouvelle. (...) je me représente nos différentes formes d'activité consciente comme comprises dans l'activité du corps, le corps n'étant rien d'autre que de l'activité. »
C'est par l'analyse du geste que Billeter tente alors de démontrer la nature de cette activité. Car «le geste fournit un paradigme, celui de l'intégration» qui se réalise dans une suite d'étapes, de paliers qui permettent l'acquisition d'une connaissance nouvelle de la réalité : les lois de l'activité, lesquelles «serviront, en quelque sorte, d'instruments de navigation.»
Il ne saurait être question de résumer ici, l'ensemble de ce petit ouvrage de Billeter à la fois si simple et si complexe, car il ne doit pas faire illusion : « il sera vite lu, mais le travail de l'imagination auquel il invite exigera patience et longueur de temps. »
J'espère simplement à travers cette introduction avoir pu éveiller l'intérêt de quelques-uns pour ce remarquable petit livre que je vais certainement garder « sous la main » quelque temps.
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critiques presse (1)
Telerama
27 novembre 2012
Une expérience inouïe, aussi puissante que délicate.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
16. J'ai passé une partie de ma vie à essayer les idées des autres. Je me disais que je finirais par trouver celles qui me conviendraient. Puis un jour, las de chercher, j'ai décidé de m'en tenir à ce que je pouvais observer par moi-même et de m'intéresser aux seuls problèmes que me posait ma propre existence, même si elle me paraissait réduite. C'était le moyen, pensais-je, d'arriver à quelques certitudes limitées, faute de mieux. J'ai accumulé les observations, elles se sont multipliées, puis un renversement s'est produit. Entre certains faits que je remarquais, des rapports sont apparus, des motifs se sont formés. Je me suis aperçu que je tenais le début d'une pensée qui m'était propre. J'ai d'abord cru qu'elle se situait à la marge du monde des idées, puis je me suis rendu compte qu'elle me mettait en position de dialoguer avec d'autres. Je disposais même d'une pierre de touche pour juger la pensée des autres et mieux déterminer en retour ma propre vision des choses.
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La crise actuelle pose avec une acuité sans précédent la question des fins. Quel usage l'humanité doit-elle faire des pouvoirs exorbitants qu'elle a développés ? Doivent-ils servir aux uns à dominer les autres, à créer des systèmes qui installent dans l'aveuglement ceux qui en profitent et dans la souffrance ceux qui en sont victimes ? Doivent-ils servir à ravager la nature et à détruire les conditions de vie sur la planète ? Devant le danger qui grandit, je suis chaque jour frappé par l'impuissance de la pensée critique et par l'insuffisance des solutions partielles. La critique fait son oeuvre, certes. Elle analyse, perce à jour le mensonge et les illusions, mais elle s'épuise à dénoncer l'incessant développement des maux qui nous assaillent. Quant aux solutions ponctuelles, elles sont constamment menacées d'être englouties par le courant principal. La commune faiblesse de la critique et des expériences limitées à un seul domaine est qu'elles ne permettent pas de poser la question première : celle qui est de savoir quelle est la nature propre de l'homme et quelle est par conséquent la meilleure organisation politique qu'il puisse se donner.
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De cette adaptation incessante au changement naît notre sentiment habituel de l'écoulement du temps.
La dépression en fournit la preuve a contrario. Lorsque mon activité se mue en souffrance parce qu'en elle des forces s'opposent et se paralysent, et que je réduis mon activité pour diminuer la souffrance, je m'enferme contre mon gré dans une sorte de temps immobile qui est une torture. L'adaptation ne se fait plus. Les changements qui se produisent au-dehors me terrifient parce que je n'ai plus la capacité de les absorber. Quand plus tard les forces qui me paralysaient se relâchent, que le mouvement renaît et que l'intégration reprend, bref : quand la vie recommence en moi, le temps reprend son cours et s'ouvre à nouveau sur l'avenir et l'inconnu.
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Cette critique de l'objectivité des "mondes" dans laquelle nous vivons et des "choses" dont ils se composent est le point le plus difficile de toute philosophie. Elle paraît oiseuse au sens commun dont c'est le propre, partout et toujours, de ne douter ni du monde dans lequel il vit, ni des choses qu'il y trouve. Elle est le point le plus difficile, mais aussi celui qui a les plus grandes conséquences pratiques, car qui dit pluralité des mondes dit conflit des mondes.
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C'est le propre de l'homme de pouvoir être cause efficiente, à des degrés divers, et de produire du nouveau, qui l'étonne lui-même. Cela lui arrive parce qu'il a en lui une dimension d'inconnu et qu'il s'y forme des phénomènes d'intégration dont il ne connait que très partiellement (ou pas du tout) les sources. Et c'est pour cette raison qu'il a été et restera toujours pour lui-même une énigme.
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